objets religieux
Stephen Mayes / Unsplash

Foi en résine

Pendant les vacances des fêtes, je me rends pratiquement chaque année dans les grands sanctuaires nationaux du Québec pour y admirer les crèches et les décorations de Noël. Le comité marketing ayant bien fait son travail, un petit crochet à la boutique d’objets religieux suit souvent la visite puisqu’elle est invariablement placée dans les entrées et les sorties ou près des toilettes.

Je dois dire que je n’y achète rien. Je devrais pourtant être le public cible puisque j’aime beaucoup la sculpture et la numismatique et que j’adore l’art religieux. J’en ai même fait le sujet de mon mémoire de maitrise ! 

Mais non, rien ne m’intéresse dans ces endroits où la majorité de ce qui est sur les tablettes est faite de résine de qualité plus que discutable. 

Tout a l’air de sortir du magasin à 1$, mais avec des prix plafonnés dignes des boutiques souvenirs des grands quartiers touristiques qui eux aussi vendent du cheap de toute sorte made in China

Changement de paradigme

Pour l’historien d’art que je suis, le contraste avec la qualité des objets religieux anciens est frappant. Il n’y a pas si longtemps encore, dans les années 1940, il aurait été impensable de voir des objets dédiés à la piété d’aussi piètre qualité.

Il y a bel et bien eu un changement de paradigme quelque part. Ces changements ont deux causes :

  1. une modernisation rapide des moyens de production et
  2. une pensée économique qui se base sur la consommation pour assurer la croissance. 

Dans le domaine religieux, cela a eu comme conséquence une modernisation des objets destinés aux fidèles et à la liturgie. La production matérielle de masse s’est malheureusement très souvent accompagnée d’une pauvreté artistique et qualitative évidente. 

L’Église, en participant au triomphe du « beau, bon, pas cher » jusqu’en son sein s’inscrit totalement dans le modèle économique de son temps. 

Ce n’est pas parce que c’est produit en masse et en série que ça devrait obligatoirement être mal exécuté. Et en prime dans des matériaux de piètre qualité. 

Au niveau architectural, la tendance a été la même. Historiquement, les Canadiens français étaient pour la plupart pauvres comme Job, issus d’une nation de porteurs d’eau, d’ouvriers et d’agriculteurs qui, à force de sacrifices motivés par la foi, ont érigé des temples qu’on dirait financés par Crésus. 

On construisait du beau et du durable malgré des moyens financiers souvent déficients. 

Contamination capitaliste

Or, depuis les années 1950, on ne construit plus les églises, comme le reste, en pensant à la postérité. On comble un besoin immédiat.

La mentalité est au low cost et au jetable après usage. L’Église, en participant au triomphe du « beau, bon, pas cher » jusqu’en son sein s’inscrit totalement dans le modèle économique de son temps. 

Aujourd’hui l’héritage des périodes antérieures est tombé dans l’indifférence générale. À quoi bon préserver si l’on est en mesure de remplacer à faible cout ? 

Les chantres du marketing ont convaincu toutes les strates du corps social, dont l’Église, que toujours consommer est la seule voie possible. Cette mentalité détruit l’idée de durabilité des biens matériels puisque l’économie se base sur la consommation incessante de nouveaux biens.  

Or, l’histoire et le patrimoine transmis par nos ancêtres nous prouvent exactement que le contraire est non seulement possible, mais souhaitable ! 

La solution de la durée

Il est tout à fait possible de produire un bien ou un bâtiment qui répondra à un besoin immédiat en l’inscrivant dans la durée. En agissant ainsi, on comble non seulement le besoin actuel, mais celui des générations futures. 

objets religieux
Église Saint-Martin, Yport, France, Michael Fousert / Unsplash

Pour exemplifier, prenons simplement le cas d’une église paroissiale millénaire, ou même centenaire, qui est encore en activité. Le bâtiment, certes au prix d’un entretien régulier et de rénovations, est tout à fait apte à répondre au même besoin maintenant que lors de sa construction. Il est même possible dans certains cas d’en changer complètement l’usage tout en gardant la structure. 

Si l’on peut transformer une église désaffectée en bibliothèque, en école ou en condo, c’est parce qu’on a conçu sa structure correctement. Toujours est-il que le bâtiment sert la communauté tout comme il la servait déjà il y a plusieurs générations, indépendamment du fait que l’usage reste liturgique ou qu’il évolue.

Même chose pour la statue achetée par votre arrière-grand-mère, elle sert toujours de support dévotionnel si vous êtes croyants. Pour ceux ayant déserté l’Église, elle sera, par son esthétisme, un élément de décor agréable dans un coin de la maison, du restaurant ou du bar. L’usage change, mais l’objet, comme le bâtiment, s’il est bien conçu, demeure. 

Le pape François semble très préoccupé par la question écologique qui découle notamment de la consommation de biens. Une bonne façon de commencer cette nécessaire révolution écologique serait sans doute de se soustraire à cette tendance de production du jetable pour revenir vers une production locale de biens durables. 

En espérant que les gérants de boutiques souvenirs des sanctuaires lisent l’encyclique…


Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.