Le 17 mai 2023, le Musée de la Civilisation a inauguré l’exposition Unique en son genre, qui propose « une série de contenus afin d’éclairer et favoriser une meilleure compréhension des dynamiques qui sont liées [à l’identité de genre] ». Cette exposition est présentée comme une œuvre éducative visant à ouvrir le dialogue. Cependant, elle se révèle être une véritable propagande. Ariane Beauféray et Laurence Godin-Tremblay, deux doctorantes formées respectivement en science et en philosophie, nous expliquent pourquoi.
Une exposition pour informer?
« Nous sommes un musée de société qui évolue avec celle-ci et qui doit donc rester agile pour suivre cette évolution (et parfois même pour tenter de devancer la société en la “brassant” un peu) », indiquait en 2021 Stéphan La Roche, PDG du Musée de la Civilisation.
Comme les questionnements de genre sont en croissance au Québec, il semble opportun d’y dédier une exposition. Cela correspond par ailleurs à l’une des missions du musée, qui est de « faire connaître l’histoire et les diverses composantes de notre civilisation ». Selon le PDG, le musée mène à bien cette mission en « transmettant des connaissances » et en interpelant l’esprit critique du visiteur grâce à « des points de vue multiples pouvant rejoindre le plus grand nombre ».
Lors de notre visite, nous avons toutefois observé que l’exposition vise plutôt à convaincre le visiteur qu’à l’informer, en imposant un point de vue unique et biaisé sur le genre. Or, il existe un mot pour qualifier une œuvre qui fait la promotion d’une idéologie en présentant une perspective réduite et déformée de la réalité : ce mot est propagande.
Dans ce texte, nous dressons tout d’abord un portrait général de l’exposition, de ses créateurs et de leurs intentions. Puis, nous commentons plusieurs aspects présentés en suivant la chronologie de l’exposition. Nous terminons en proposant une réflexion sur le concept de genre. Bonne visite avec nous!
PREMIÈRE PARTIE
Propos général, origines et intentions
Repentez-vous de votre binarité
Dès l’entrée, l’exposition impose au visiteur ses « vérités ». Elle lui dicte le seul vocabulaire adéquat pour parler de l’expérience humaine et scinde l’identité de tous en cinq composantes (sexe, genre, identité de genre, expression de genre, attirances sexuelle et romantique). Toutes ces composantes se trouveraient sur un continuum, et les médecins « assigneraient » sexe et genre à la naissance.
Puis viennent les exemples concrets : biologie, culture et témoignages illustrent le propos principal. Et ce propos est fort simple : il faut sortir de la binarité imposée par la société. Car « deux catégories, c’est insuffisant! ».
Quitter la binarité et adhérer plutôt au continuum du genre se compare à passer d’une vie en noir et blanc à une vie en couleurs, plus nuancée et plus riche. À la fin de l’exposition, on comprend que délaisser la binarité oblige également à faire disparaitre la masculinité et la féminité. En effet, « malgré les normes sociales qui encadrent l’expression de genre, il n’y a pas de caractéristiques fondamentalement féminines ou fondamentalement masculines. Les caractéristiques sont tout simplement humaines et tout le monde devrait avoir le droit de s’approprier celles qui lui conviennent ».
Il ne reste au fond qu’une seule identité : celle d’être humain.
Des militants pour créateurs
D’où viennent donc ces déclarations pleines d’assurance? À la scénarisation de l’exposition, on trouve Marie-Philippe Drouin, qui dirige l’organisme Divergenres et qui se dit non-binaire. Et dans le comité scientifique comme dans le comité consultatif de l’exposition, il n’y a quasiment que des activistes LGBTQ+ proposés par GRIS-Québec.
L’exposition n’est donc pas descriptive, et encore moins critique; elle sert une propagande « éducative et trans affirmative » – c’est ainsi que Marie-Philippe Drouin qualifie l’expérience offerte au musée –, qui impose sa loi avec « bienveillance et ouverture ».
Le militantisme est particulièrement flagrant dans le guide de l’exposition. Il interdit clairement toute remise en question, puisqu’il s’agirait de « micro-agressions ». Remettre en question, c’est agresser; agresser, c’est mal; remettre en question, c’est donc mal. Il faut même aller plus loin, et devenir un allié de la cause LGBTQ+, ce qui implique « d’admettre ses erreurs ». Comment ne pas qualifier de propagande une exposition qui qualifie automatiquement toute opinion contraire d’erreur?
Cette exposition ferme le dialogue plus qu’elle ne l’ouvre, contrairement à ce que prétend le PDG du Musée. Les quelques personnes qui ont tenté d’entrer en discussion avec des guides ou autre personnel du Musée ont d’ailleurs frappé un mur.
Un discours pour petits et grands
S’il y a un lieu qui révèle l’objectif doctrinaire de l’exposition, c’est bien la boutique-souvenir. Le visiteur y trouvera les traditionnels vêtements et sacs au couleur de l’arc-en-ciel, mais également des macarons pour afficher clairement ses pronoms préférés.
Il y a aussi le livre Vous n’êtes pas binaire (personne ne l’est!) ou encore l’album pour enfant Assignée garçon, ambiance trans de feu. On saisit alors que l’exposition vise à avoir un impact sur les enfants, et non pas seulement sur les adultes.
Après la controverse suscitée par la soirée d’inauguration de l’exposition, durant laquelle un homme s’est retrouvé nu devant des enfants lors d’une « performance artistique », la relationniste de presse du Musée a assuré que l’exposition ne s’adressait pas aux enfants, mais visait plutôt un public adulte. Le site du Musée conseille par ailleurs que les jeunes de moins de 14 ans soient accompagnés.
Sur place, pourtant, plusieurs enfants exploraient les lieux sans accompagnement lors de notre visite. L’avertissement du musée est peu visible, le parcours de l’exposition est sinueux, et les témoignages ne peuvent être visionnés qu’à deux. C’est un contexte idéal pour qu’un enfant se retrouve seul. Par ailleurs, les enseignants découvrent parfois la limite d’âge une fois entrés dans l’exposition avec leurs élèves, comme nous l’avons directement observé. Selon Marie-Philippe Drouin, il faut éduquer sur le genre « du CPE au doctorat »; alors, tant mieux si l’exposition les atteint d’une façon ou d’une autre.
Cette intention militante est manifeste lorsqu’on prend la peine de décortiquer les différentes parties de l’exposition. Dans chaque section, on trouve des arguments fallacieux et réducteurs, qui ne laissent place à aucune nuance. Explorons cette exposition ensemble.
DEUXIÈME PARTIE
Visite de l’exposition
La binarité vient de la société
Nous commençons notre visite. Dans la première salle, nous sommes accueillies par Marie-Philippe Drouin, qui nous explique en vidéo les cinq composantes de l’identité sexuelle et de genre à l’aide de définitions. Nous reviendrons sur celles-ci en fin d’article.
Cette première étape de rééducation est suivie de vitrines mettant de l’avant divers stéréotypes masculins et féminins. Les filles jouent à la dinette et aiment le rose; les garçons font de la mécanique et aiment le bleu. Ces exemples caricaturaux visent à semer le doute: la binarité humaine ne serait-elle finalement qu’un construit social grossier, dont il faudrait alors se libérer?
Pourtant, refuser de réduire l’homme et la femme à ces stéréotypes n’oblige évidemment pas à nier la binarité. Personne de moindrement sérieux ne voit dans le rose et le bleu l’essence de la féminité et de la masculinité.
D’autre part, l’exposition ne présente jamais le fondement réel de la binarité : par nature, une femme peut tomber enceinte et un homme peut la mettre enceinte. Évidemment, on trouve des exceptions, des cas d’infertilité. Mais jamais une femme n’a mis enceinte quelqu’un, et jamais un homme, quoi qu’en disent les militants, n’a porté un enfant.
La binarité n’est pas un construit social, mais une réalité tout à fait première et naturelle. Mais cette binarité naturelle, l’exposition la nie même dans le règne animal, comme nous le verrons dans la prochaine salle.
Pas de binarité dans le règne animal
Si les stéréotypes n’ont eu droit qu’à quelques regards vides, un attroupement plus enthousiaste se forme devant les vitrines suivantes, qui portent sur les animaux.
On y expose des exemples où ce ne sont pas les femelles qui portent leur progéniture, mais les mâles, tels que l’hippocampe ou le manchot. Viennent ensuite quelques exemples d’intersexuation et d’hermaphrodisme, comme le poisson-clown, dont le mâle peut changer de sexe en l’absence de femelle dominante.
Ces exemples sont donnés afin de montrer que « la nature ne produit pas seulement des individus exclusivement femelles et des individus exclusivement mâles » et que notre « conception binaire du règne animal a conditionné notre perception des comportements sexuels des animaux ».
Effectivement, il y a beaucoup de diversité sexuelle et comportementale au sein du règne animal. Cependant, la binarité sexuelle est la règle chez les mammifères, dont l’être humain fait partie. Concernant les comportements, il y a des règles pour chaque espèce qui ne varient pas, et qui dépendent très souvent de la binarité sexuelle.
Si c’est bien le mâle qui donne naissance aux petits hippocampes, ce n’est en contrepartie jamais la femelle : le rôle parental est bel est bien binaire, et il dépend du sexe. Chez les poissons-clowns, le mâle peut effectivement changer de sexe sous certaines conditions, mais il devient alors une femelle : il passe d’un sexe à un autre, dans un système sexuel binaire. Quant aux narvals, s’il arrive qu’une femelle porte une petite défense (la “corne” qui a inspiré les licornes), c’est tout simplement une petite variation d’une caractéristique secondaire habituellement mâle. Un narval mâle sans défense n’en serait pas moins un mâle, car ce qui détermine son sexe, c’est sa capacité à produire des gamètes mâles, et non pas sa belle défense.
Bref, ces exemples ne sont pas utiles pour faire valoir l’absence de binarité sexuelle ou l’absence de comportements basés sur le sexe dans le règne animal.
Le sexe se trouve sur un continuum
L’exposition s’attarde ensuite sur le sexe des êtres humains, en partant de l’embryon. Les organes génitaux sont comparés afin de montrer leurs similitudes, mais aussi leur grande variabilité de forme et de taille. Finalement, l’intersexuation est abordée : « les variations intersexes sont souvent comprises par le corps médical comme des anomalies ou des malformations qu’il faut corriger », alors que l’intersexuation ne serait « ni une maladie, ni une difformité; c’est plutôt un état ». Ce qu’il faut retenir, c’est que le sexe humain serait sur un continuum, avec une extrémité mâle et une extrémité femelle, et les intersexes au centre.
Or, non, le sexe humain n’est pas sur un continuum. Il s’agit d’une des rares caractéristiques humaines qui est nominale, et non pas continue : on est soit l’un, soit l’autre; il n’y a que deux possibilités, car le sexe est déterminé en fonction du type de gamète produit par l’individu. Une femme produit des ovules, et un homme des spermatozoïdes. Comme il n’y a pas de gamètes intermédiaires, et pas non plus de possibilité de produire les deux types de gamètes en même temps, il n’y a donc pas de continuum sexuel. Nous sommes face à deux catégories sexuelles exclusives et immuables.
Ce qui est continu, en revanche, ce sont les caractéristiques anatomiques et hormonales liées au sexe. Les hommes ne produisent pas tous la même quantité de spermatozoïdes, et n’ont pas tous le même timbre de voix; les femmes n’ont pas toutes la même durée de cycle menstruel ni la même largeur de bassin. Mais une personne de sexe féminin ne produit jamais de spermatozoïdes, et une personne de sexe masculin n’a jamais de cycle menstruel.
Par ailleurs, la présence de caractéristiques sexuelles secondaires généralement caractéristiques de l’autre sexe ne change pas le sexe de la personne, ou ne le rend pas moins réel. Irait-on dire à une jeune fille présentant une forte pilosité, caractéristique généralement masculine, qu’elle n’est finalement pas complètement de sexe féminin, mais qu’elle se retrouve plutôt entre le sexe féminin et le sexe masculin? Quel accueil de la diversité!
L’intersexualité n’est pas une anomalie
Et les personnes intersexes, dans tout cela? Ne sont-elles pas « entre deux », justement? Oui, c’est bien ce que suggère l’exposition : puisqu’il y a des personnes dont le sexe est plus difficile à définir, ou qui présentent des caractéristiques sexuelles secondaires caractérisant généralement l’autre sexe, alors cela voudrait dire qu’il n’y a pas de binarité sexuelle. Cet argument ne tient pas face à la réalité humaine.
Premièrement, 99,98% du temps, il n’y a aucune ambigüité sur le sexe de l’enfant qui vient de naitre. Produire un continuum sexuel, plutôt qu’un système nominal, à partir de deux pics qui correspondent à l’immense majorité des gens est donc une action équivalente à modifier le format d’un graphique dans le but de manipuler l’opinion; nous sommes donc encore dans le domaine de la propagande, et pas dans celui de la science et de la raison. On ne peut pas faire de courbe avec des catégories mutuellement exclusives.
Dans les rares cas d’intersexuation restants où l’anatomie de l’enfant est ambigüe, des tests génétiques permettent de comprendre le syndrome que l’enfant porte, et d’envisager des traitements appropriés, si nécessaire. En effet, l’intersexuation n’est pas, contrairement à ce que déclare l’exposition, un état. Ce terme rassemble une foule de conditions de santé liées à des troubles développementaux et hormonaux qui entrainent bien souvent une infertilité et des carences hormonales nécessitant des soins de santé spécialisés.
Faire de l’intersexuation un état sur un continuum sexuel revient à dire qu’être manchot n’est pas un handicap physique, mais simplement un état humain comme un autre. Or, une des caractéristiques humaines universelles est d’avoir deux bras. À nous d’adapter la société pour accueillir ceux qui n’en ont qu’un avec le plus grand respect, et semblablement pour les personnes intersexes. Mais n’allons pas faire croire à ces dernières que leur condition physique est une caractéristique semblable à avoir les yeux bleus plutôt que les yeux bruns. Ce serait se moquer des difficultés bien réelles qu’elles rencontrent au quotidien.
Le sexe est assigné à la naissance
Le sexe n’est pas sur un continuum, mais serait-il « assigné à la naissance »? Le terme assigné ou attribué sous-entend que le sexe est fixé de façon arbitraire, qu’une part de subjectivité entre en ligne de compte lorsque le médecin coche la case « féminin » ou « masculin » sur la déclaration de naissance, et qu’il peut donc y avoir une erreur.
Or, le médecin se base sur des caractéristiques très concrètes pour déterminer le sexe : l’observation des organes génitaux externes de l’enfant, puis l’observation des organes internes et de l’ADN lorsque cela s’avère nécessaire. Comme ces observations sont extrêmement différentes selon le sexe de l’enfant, l’interprétation subjective n’y a pas vraiment de place.
De plus, le sexe est observé sans aucune équivoque même chez les personnes intersexes. Chacune des conditions d’intersexuation porte un nom, mais quasiment toutes sont reliées à un sexe en particulier. Seuls les cas les plus complexes, tels que le désordre ovotesticulaire (l’enfant présente alors en même temps des organes infertiles féminins et masculins, avec une prévalence de moins d’une naissance sur 20 000), nécessitent l’aide d’un comité médical multidisciplinaire (pédiatre, psychiatre, endocrinologiste, etc.) afin de soutenir le développement sain de l’enfant et la compréhension de son identité sexuelle.
Il est donc erroné de parler de « sexe assigné à la naissance », car le sexe est facilement constaté par le personnel soignant et les parents l’immense majorité du temps. Parler d’assignation, c’est user d’un langage qui vise à mettre le doute sur la réalité sexuelle humaine, en la rendant partiale, subjective et potentiellement inobservable.
Si on utilisait cette logique en sciences, on serait incapable de décrire notre monde. En effet, s’il fallait attendre qu’un test soit efficace ou qu’un concept soit valable plus de 99,98% du temps avant de l’adopter, on ne pourrait que rarement le faire en médecine, et absolument jamais en sciences sociales.
Le sexe humain est binaire et constaté. Proposer une autre interprétation, c’est faire de la pseudoscience. L’imposer, c’est faire de la désinformation.
Et la désinformation, cela ne fait normalement pas partie de la mission du Musée de la Civilisation.
La diversité de genre : partout et depuis toujours
Continuons notre visite de l’exposition Unique en son genre. Après la biologie, place à la culture.
Une carte interactive très fournie nous propose d’explorer la diversité des identités de genre dans le monde. Puis, des panneaux et témoignages nous parlent de la bispiritualité, ce troisième genre autochtone que plusieurs communautés se sont réapproprié dans les années 90. On peut « avoir l’impression que la diversité de genre est une réalité récente, qui touche davantage les jeunes. Eh bien non! Elle s’est vécue tout au long de l’histoire en plusieurs endroits sur la terre. Depuis des siècles, des cultures célèbrent les personnes qui se situent en dehors de la binarité des genres ».
L’argument est ici fort simple : la diversité de genre existe depuis toujours et partout. Or, si quelque chose existe depuis toujours et partout, c’est donc naturel : cela fait partie de notre expérience humaine collective.
Cependant, une fois encore, cet argument ne tient pas. Un petit détour conceptuel est ici nécessaire pour comprendre pourquoi.
Ce qui est naturel n’a pas besoin de cadre théorique
Dans cette exposition, aucun penseur du genre n’est présenté. Il y a bien une photographie de Judith Butler dans un coin, entre deux personnalités transgenres, mais sans plus d’information. Rien sur les différents pères des concepts présentés (John Money, Robert Stroller, Alfred Kinsey, etc.) ni sur l’appropriation de ces concepts par les mouvements féministes des années 70 (Kate Millett, Ann Oakley, Nancy Chodorow, Gayle Rubin, etc.), puis des années 90 (Anne Fausto-Stering, Judith Butler, Thomas Laqueur, etc.).
Comme si tous les concepts présentés dans l’exposition, qu’il s’agisse de l’identité de genre, de l’expression de genre ou encore du sexe assigné à la naissance, étaient des évidences acceptées par tous depuis toujours.
Or, ces concepts sont des construits : des abstractions élaborées par des chercheurs pour répondre à des réalités sociales. Et la signification ainsi que la validité de ces construits sont encore débattues aujourd’hui dans les universités ainsi que dans d’autres organisations à vocation scientifique. L’existence de l’identité de genre ainsi que sa définition n’ont rien d’évident et d’universel, contrairement à la définition de concepts plus simples tels que la capacité respiratoire humaine ou la myopie.
Ainsi, quand l’exposition présente une section entière pour montrer la grande variété des identités de genre dans le monde, à l’aide d’exemples présents (hijras d’Inde, femminielli d’Italie, Sakalavas de Madagascar, etc.), mais aussi passés (prêtres sumériens), elle met dans la même catégorie les expériences transgenres occidentales contemporaines et des réalités sociales qui se sont construites en dehors de l’émergence du concept de genre.
Cet amalgame est bien pratique. Il permet de nier, de façon implicite, toute influence des penseurs des dernières décennies sur les questionnements identitaires que nous avons aujourd’hui en Occident. Et cet amalgame permet, de façon explicite cette fois, d’ancrer l’histoire et l’expérience de vie des personnes transgenres occidentales dans l’expérience humaine en général. C’est une présentation des faits qui empêche le visiteur de se questionner sur l’émergence et l’augmentation exponentielle de la population transgenre en Occident, qui n’existe de façon significative que depuis une vingtaine d’années.
L’exposition déclare candidement que la diversité de genre n’est pas « une réalité récente » et ne touche pas « davantage les jeunes ». Cependant, les transgenres étaient si marginaux avant les années 2000 qu’il aurait été impensable de faire une exposition sur ce sujet au Musée de la Civilisation. De plus, l’immense majorité des personnes transgenres en Occident sont des jeunes.
La réalité contemporaine des transgenres
D’autres différences frappantes existent entre les exemples ethniques montrés dans l’exposition et la réalité transgenre occidentale.
Il est vrai que des personnes vivaient et vivent encore en prenant le rôle, les habits et habitudes de l’autre sexe, voire des deux sexes en même temps, et ce, dans différentes cultures. Mais les possibilités qui s’offrent actuellement aux personnes transgenres sont très différentes de ces réalités ethniques éparses et variées. Et aucune de ces possibilités n’est nommée dans l’exposition.
Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement des adultes qui changent de genre, mais également des enfants, dont on peut bloquer la puberté naturelle. L’efficacité des bloqueurs de puberté pour soutenir le bienêtre des transgenres n’est pas démontrée, et ces bloqueurs entrainent des conséquences de santé si dramatiques que plusieurs pays, tels que la Suède et la Finlande, les ont totalement abandonnés après les avoir expérimentés pendant une dizaine d’années.
Le changement de genre n’est donc plus seulement social, mais il est également hormonal et médical : des adolescents et des adultes prennent des hormones et subissent des opérations chirurgicales lourdes pour ressembler à l’autre sexe. Des adultes sélectionnent aussi certains traitements dans le but de développer une apparence androgyne, qui correspondrait ainsi mieux à leur genre non-binaire. Ces traitements hormonaux et médicaux augmentent entre autres les risques d’accident cardiovasculaire, de tumeurs, de prise de poids, d’hépatites, de dépressions, etc.
Ces transitions de genre sont également une manne économique : les traitements coutent une fortune, et la fréquente infertilité des personnes qui les suivent alimente également le marché de la procréation assistée.
Concernant la dysphorie de genre, qui est la cause principale des transitions de genre, elle est corrélée à d’autres troubles de santé, tels que les troubles alimentaires, la dépression, les idées suicidaires et l’autisme. Le traitement de la dysphorie par une approche affirmative entraine également des changements majeurs dans les relations sociales, qui font en sorte que la personne dysphorique en vient généralement à ne fréquenter que des personnes qui partagent sa vision du monde et ses intérêts, virtuellement et dans la vie courante.
Finalement, aujourd’hui, les personnes occidentales qui se réclament de la diversité de genre veulent avoir accès aux catégories sportives, aux toilettes et même aux prisons des membres du sexe qui leur est opposé. De leur côté, les prétendues « identités de genre » anciennes présentées dans l’exposition doivent généralement suivre un code de vie spécifique et souvent très limitant (caste à part, lieu de vie à part, règles de mariage et de participation à la société spécifiques, emplois spécifiques, rôles spirituels différents, etc.).
Tout ceci nous montre que cette « diversité de genre » contemporaine que l’exposition veut nous faire célébrer n’a pas grand-chose à voir avec les prêtres sumériens de l’Antiquité, ni même avec les personnes autochtones qui se déclarent aujourd’hui bispirituelles.
Mais toutes ces différences, et tous ces aspects aussi bien conceptuels que concrets reliés aux questionnements de genre, l’exposition se garde bien de nous en parler.
Si on n’en parle pas, c’est que cela n’existe pas
On ne peut évidemment pas tout traiter dans une exposition. Mais peut-on parler d’une saine transmission de connaissances, quand des éléments essentiels à la compréhension d’un phénomène sont absents?
Ne serait-il pas troublant qu’une exposition sur un politicien ne présente que ses réussites? N’y aurait-il rien d’étrange à ce qu’une exposition sur le développement durable se garde bien de parler des penseurs et textes fondateurs du mouvement? Une exposition sur le cancer serait-elle complète, si un seul traitement était présenté, que les causes n’étaient pas discutées et que l’augmentation importante du nombre de cas des dernières décennies n’était pas même nommée?
Omettre sciemment des faits pour manipuler la pensée, c’est faire acte de propagande.
Et cela n’a, encore une fois, rien à voir avec la mission du Musée de la Civilisation.
TROISIÈME PARTIE
Le genre et l’identité de genre
Fin de la visite
Nous achevons notre visite, un peu fatiguées. Les derniers espaces de l’exposition proposent un historique des luttes LGBTQ+, des témoignages et de nombreuses photographies. Une expérience immersive dans un vivarium, dont le texte assommant est accompagné de bruits gluants et de coquilles d’œuf, nous a laissées un peu perplexes.
La perplexité, la confusion : c’est principalement ce qui nous reste en quittant l’exposition.
Sexe, attirance et apparence nomment des aspects relativement communs de l’humanité. Rien de bien nouveau à les explorer. Mais l’exposition innove en ajoutant une nouvelle variable à l’équation humaine : le genre. Parce qu’il est complètement distinct et sans rapport au sexe, une personne de sexe féminin peut se déclarer de genre masculin. Mais que décrit le genre au juste, s’il est sans lien avec le corps? C’est un point que notre visite n’aura pas éclairci.
Le genre est social et subjectif
Selon le guide de l’exposition, le genre est « un concept social catégorisant les personnes selon des caractéristiques arbitraires et subjectives. Le genre peut être influencé par des aspects psychologiques, comportementaux, sociaux et culturels ».
Voici une première contradiction : comment un concept peut-il être à la fois social et subjectif? Si un concept est social, alors il y a un consensus, explicite ou implicite, à son sujet dans une société donnée. Par exemple, tous s’accordent pour nommer « chaise » un meuble à quatre pattes avec un dossier. Et personne ne se fait comprendre en appelant « chaise » un lit ou un marteau.
Par opposition, un « concept subjectif » – à supposer que pareil concept soit possible – dépendrait uniquement de l’individu. Aucun consensus social ne serait requis. J’appellerais « chaise » tout ce qui me paraitrait subjectivement tel, nonobstant l’opinion des autres et la réalité.
C’est de fait ce qu’on découvre en visitant l’exposition Unique en son genre. Chaque personne décide pour elle-même du sens qu’elle accorde aux mots désignant les différents genres. « Homme » et « femme » n’ont pas de définition commune, bien qu’ils servent à bâtir d’autres définitions, telles que « cis » ou « non binaire ».
Mais comment comprendre des définitions basées sur des mots qui n’ont pas de définition?
Comprenez-vous notre définition de « zigoulinormativité » ou de « non-zigouli » si nous ne vous disons jamais ce que signifie « zigouli »? Une société peut-elle dialoguer sur les zigoulis, si « zigouli » signifie par ailleurs ce que chaque personne décide pour elle-même?
Vous pensez que nous exagérons l’aspect subjectif de la définition du genre? Examinons alors le corolaire du genre, à savoir l’identité de genre.
L’identité de genre, c’est l’appartenance à un genre
Quelle différence y a-t-il entre le genre et l’identité de genre? L’exposition ne l’explique pas. Il semble cependant, à examiner ces concepts, que le genre désigne les diverses « catégories » et l’identité de genre, le fait d’appartenir à telle ou telle catégorie.
Mais pourquoi alors l’exposition ne dédouble-t-elle pas toutes les notions qu’elle présente? Il y aurait par exemple l’attirance sexuelle et l’identité d’attirance sexuelle, à savoir le fait d’appartenir à telle ou telle catégorie d’attirance sexuelle. Le sexe et l’identité de sexe? L’expression de genre et l’identité d’expression de genre?
Passons sur cette anomalie conceptuelle et revenons à l’identité de genre. Comment la connait-on? L’exposition ne répond pas clairement, elle qui affirme même à un endroit qu’une des composantes de l’identité de genre est… l’identité de genre.
Cette circularité ne surprend pas, quand on saisit qu’il n’y a aucune façon objective de désigner le genre ou l’identité de genre de quelqu’un.
Si l’on se réfère encore au guide de l’exposition, l’identité de genre serait « l’expérience intime et personnelle de se sentir comme homme, femme, aucun de ces genres, à deux genres ou à une identité autre, et ce, indépendamment du sexe assigné à la naissance ». L’exposition précise que « cette identité ne correspond pas nécessairement au sexe et au genre qu’on lui a assignés à la naissance » ni à « l’expression de genre » d’une personne (qui désigne « l’ensemble des caractéristiques genrées qu’affiche une personne », telles que son apparence et ses comportements).
Une femme, autrement dit, est tout simplement une personne qui se sent femme, sans que « femme » possède une définition objective et commune.
Le ressenti du genre
Vous ne saisissez toujours pas comment « ressentir » votre genre? Si c’est le cas, ce n’est pas surprenant. En réalité, personne, pas même les créateurs de l’exposition, ne comprendra jamais ce que signifie « genre » et « identité de genre », pour la simple raison qu’il n’y a littéralement rien à comprendre à un concept « subjectif » et « ressenti » par chaque individu.
« Ressentir » a plusieurs sens.
Ce verbe peut désigner une perception sensible, par exemple la sensation du froid ou du chaud. Mais le genre n’est pas une sensation physique, puisque rien de corporel ou de matériel ne détermine l’identité de genre de quelqu’un.
Un ressenti peut également correspondre à une émotion, telle que la tristesse ou la colère. Mais l’identité de genre n’est pas une émotion, puisque cela supposerait tout de même la désignation d’une réalité objective derrière cette émotion. Refuser l’existence d’une réalité à la source d’une émotion, c’est tomber dans l’absurdité et l’arbitraire : se mettre en colère pour rien, tous en conviennent, n’a pas beaucoup de sens.
Le ressenti peut finalement désigner la conscience d’un évènement interne ou externe, par exemple quand une personne ressent sa propre fatigue ou encore l’amour d’un autre pour elle. Ce dernier sens suppose encore une fois une réalité perçue qui est incompatible avec l’identité de genre.
Mais quelle réalité se trouve alors derrière le ressenti de l’identité de genre? Aucune. L’exposition refuse toute objectivité derrière les mots, et ce, pour préserver l’autonomie absolue de chaque individu.
Cette volonté de liberté absolue conduit cependant à une impasse : qui prive les mots de tout sens objectif avoue du même coup faire des discours vides.
Nous sommes des étoiles dans un univers non-binaire en expansion
Au début de l’exposition, un petit questionnaire interactif nous pose des questions afin de déterminer notre place dans la « nébuleuse du genre ».
Oui, nous sommes des étoiles, et nous déterminons notre place dans l’univers de l’humanité sur la base de nos ressentis individuels. Dans ce vide intersidéral, on découvre bientôt que le continuum même du genre, qui voulait remplacer la binarité, devrait en fait laisser place à… rien du tout.
C’est tout le sens même du titre de l’exposition : « Unique en son genre ». L’unicité absolue défendue par l’exposition oblige finalement à refuser toute catégorie.
Il n’y a pas réellement de catégories « homme » et « femme », auxquelles appartiendraient des individus. Il n’y a donc pas non plus de femmes ou d’hommes transgenres, ni encore de non binaires. Il n’y a que des individus.
L’exposition voudrait nuancer le réel et en montrer la diversité en célébrant l’unicité absolue de chacun. Elle se retrouve paradoxalement à mettre tout le monde dans le même bateau : il ne reste plus qu’une « couleur », celle d’être humain, pouvant s’approprier ou non certaines caractéristiques, sans qu’aucune de celles-ci soit objectivement féminine ou masculine.
Le corps, ce grand absent
Cette vacuité du terme « genre » s’explique par la volonté de scinder l’identité de l’être humain en composantes indépendantes et d’écarter en particulier l’influence du corps. Mais c’est un leurre.
Le corps, voilà le grand absent de cette exposition. Il est là implicitement, dans les témoignages, les sculptures, les prestations artistiques, sur les photos ainsi que dans les vitrines où divers organes en silicone sont exposés. Mais l’influence du corps sur toute notre identité, on n’en parle pas.
En fait, les identités sont interchangeables, peu importe le corps. C’est ce que montre un tableau-image de l’exposition où Marie-Philippe Drouin joue le rôle d’un homme/père et d’une femme/mère, alors que son enfant est tantôt une petite fille, tantôt un petit garçon.
Cependant, le simple fait de vivre et d’exister, d’avoir donc un corps, entraine des préférences, des aptitudes, des comportements, des problèmes de santé mentale et des rôles sociaux spécifiques à chaque sexe. Ces différences dépendent en partie de différences cérébrales acquises in utero et dans la petite enfance ainsi que du contexte hormonal dans lequel nous vivons au quotidien; bref, elles dépendent en partie de notre corps, et non pas uniquement de contextes sociaux. Ce n’est pas idéologique que de le dire, et cela n’enferme personne dans un rôle non plus; c’est simplement accepter la réalité observable.
Inventer un « genre » complètement distinct et indépendant du corps, c’est donc faire de la pseudoscience et de la désinformation. Ce qui est incompatible avec la mission d’un musée.
Une autre manière de discuter du genre est-elle possible?
L’exposition Unique en son genre relève plus de la propagande que de la transmission de connaissances. Nous l’avons montré à plusieurs reprises dans ce texte, en soulevant le manque de logique et de solidité scientifique des arguments présentés.
En effet, l’absence de binarité sexuelle chez les animaux et chez les humains est présentée comme un fait établi, alors que cette binarité sexuelle existe réellement. Le sexe n’est ni subjectif, ni sur un continuum. L’exposition fait donc de la désinformation.
La « diversité de genre » devrait être reconnue à travers le temps et les cultures, alors que le genre est un concept récent, que la population transgenre occidentale n’existe que depuis peu de temps et que son expérience de vie n’a rien à voir avec celle de la diversité ethnique présentée. L’exposition omet ainsi des éléments essentiels à la compréhension du phénomène présenté, ce qui est un obstacle à la pensée critique.
Finalement, les définitions du genre et de l’identité de genre, qui sont les deux concepts centraux de l’exposition, sont complètement vides de sens. Peu importe sa taille et sa complexité, si on lui retire sa base, un château de cartes s’effondre.
Tout cela mène à une conclusion : l’exposition est biaisée, fallacieuse et peu fondée.
Cela signifie-t-il que nous refusons toute discussion du genre dans la sphère publique? Non. Mais nous attendions du Musée de la Civilisation, considérant sa mission publique, une exposition plus critique et nuancée, et non cette œuvre de propagande à laquelle nous avons été confrontées. C’est un rendez-vous manqué.