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Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Liban : entre bombes et terreur, des chrétiens qui tiennent bon

Il y a un an, le Hamas attaquait Israël emportant jusqu’à ce jour près de 1200 vies israéliennes et 41 965 palestiniennes. Ce conflit s’est transféré au Liban d’où le groupe Hezbollah, en soutien au Hamas, a tiré des roquettes sur le nord d’Israël pendant près d’un an. Le 23 septembre 2024, l’armée israélienne répondait à ces tirs transfrontaliers par une pluie de bombardements sur le sud du Liban et la ville de Beyrouth. Le bilan s’élève aujourd’hui à plus de 1110 morts et 1835 blessés libanais. Au milieu de cette guerre opposant l’État juif à ses voisins majoritairement musulmans se trouve un peuple dont on parle peu, celui des chrétiens qui n’espèrent qu’une chose : la paix.

« Il n’y a plus rien à la frontière sud, tout a été détruit comme dans la région de Beyrouth », décrit Karen Khoury, libanaise d’origine, née à Maghdouché, un village chrétien dans le sud du pays. Ne s’y sentant plus en sécurité, la jeune femme de 27 ans a dû quitter son village natal le 24 septembre dernier.

« Les bombardements nous entouraient, on pouvait voir les roquettes exploser à l’horizon, c’était terrifiant », raconte celle qui vit actuellement avec ses parents et la famille de sa sœur dans le chalet de sa tante à Jeita, une ville au nord-est de Beyrouth, peu ciblée par l’armée israélienne.  

« Maghdouché est devenu un refuge pour les musulmans qui vivaient à la frontière israélo-libanaise », explique Karen, en se remémorant ses derniers jours passés là-bas. « Ils sont logés dans les quatre écoles publiques et les associations chrétiennes locales les aident en leur donnant de la nourriture, des vêtements et en jouant avec les jeunes enfants », ajoute-t-elle. Elle a constaté une grande solidarité de la part des membres de son village envers les réfugiés.  

Aujourd’hui, la vie « continue » à Maghdouché, mais différemment. Les enfants n’étudient plus puisque toutes les écoles du pays sont fermées, on ne sait pour combien de temps. La peur est sans cesse présente, mais pour garder le moral et ne pas tomber dans le cynisme, le village a augmenté le nombre de prières, de messes et de chapelets offerts par semaine. En effet, les chrétiens libanais, y compris Karen, s’en remettent grandement à Dieu dans ce conflit.

« Sans ça, sans la foi, je ne vois pas comment on pourrait continuer de vivre et d’être résilients comme nous le sommes », estime la Libanaise. « Je me repose sur Dieu pour traverser ce qu’on vit, il me donne de l’espérance », ajoute celle qui a également cessé de consommer les médias qui ne faisaient qu’alimenter sa peur et son angoisse. « On veut la paix, c’est tout, on est fatigués de la guerre », murmure-t-elle.

Le seul but de Karen aujourd’hui est de quitter le pays au plus vite.

« Je veux partir à Chypre où travaille mon copain et où vivent mon beau-frère et sa femme », partage-t-elle. « J’attends la confirmation que je pourrai continuer mes études universitaires en littérature française là-bas pour partir ». Quitter son pays qu’elle aime tant représente pour elle un choix déchirant. Ce qui est sûr, c’est qu’elle reviendra.

Ils sont nombreux, les Libanais qui, comme elle, sont déplacés ou, comme son beau-frère, sont partis.

Brutale et rapide, une guerre jamais vue

« On estime que près d’un million de personnes ont quitté le sud du Liban, dont 3000 se sont dirigées vers la Syrie et 200 000 sont réfugiées dans des écoles publiques ou des institutions religieuses libanaises. Le reste est parti chez des proches dans des régions éloignées », affirme Michel Constantin, directeur régional de l’Association catholique d’aide à l’Orient (CNEWA) qui œuvre au Liban depuis 75 ans.

La majorité des chrétiens, qui représentent entre 30% et 39% de la population libanaise, est partie s’abriter dans les montagnes, au mont Liban dans le nord du pays, et dans la région du Bekaa central, qui n’est pas très bombardée. Une minorité est restée dans le sud, à Maghdouché, Rmeich et Yaroun, par exemple.

« Sans ça, sans la foi, je ne vois pas comment on pourrait continuer de vivre et d’être résilients comme nous le sommes » – Karen Khoury

« Au mont Liban, les gens se réfugient dans des écoles publiques qui sont privées d’électricité, de chauffage, de matelas pour dormir, d’eau potable ou d’eau pour prendre une douche, les conditions sont lamentables », déplore Michel Constantin qui confie que « les déplacés ne veulent pas parler de ce qu’ils vivent, car ils sont humiliés et traumatisés ».

Depuis le « lundi sanglant » du 23 septembre, CNEWA est venu en aide à 8 000 familles chrétiennes, plus de la moitié d’entre elles sont toujours dans le sud du pays, encerclées par les bombardements. « Actuellement, notre but premier est de venir en aide aux 5 000 familles chrétiennes du sud qui restent sur les 20 000 qui y vivaient en leur fournissant, via l’armée libanaise et les Nations Unies, de la nourriture, des médicaments, des matelas, de la literie et des kits d’hygiène », affirme M. Constantin.  

Quand je lui demande de me décrire la situation humanitaire sur le terrain, l’homme de 61 ans qui a vécu presque toute sa vie dans la guerre me répond, désabusé : « franchement, on a connu beaucoup de guerres, notamment celle de 2006 entre le Hezbollah et Israël, mais cette fois-ci, c’est très différent, cette guerre est beaucoup plus brutale et beaucoup plus rapide, les gens ont à peine 20 minutes pour aller se réfugier contrairement à la guerre de 2006 où ils recevaient l’avertissement de bombardement d’Israël la veille ».  

Il ajoute que « le niveau de destruction et les obus qui sont utilisés, c’est du jamais vu. Des immeubles de douze étages sont détruits en quelques secondes, laissant un trou de plusieurs mètres de profondeur ».

Un constat que fait également le père Guillaume Bruté de Rémur, recteur du Séminaire Redemptoris Mater du Liban.

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Photo : Guillaume Bruté de Rémur | Bombardements à Beyrouth le soir du 2 octobre 2024.

Des chrétiens qui payent le prix  

« En 2006, c’était beaucoup plus anarchique comme bombardements, alors que là, ils sont très ciblés », atteste le prêtre originaire de Montpellier installé depuis 25 ans au Liban. Situé dans la banlieue sud de Beyrouth, en plein cœur des bombardements près d’un quartier du Hezbollah, le Séminaire Redemptoris Mater a pour mission « de former des prêtres missionnaires qui iront porter la nouvelle évangélisation dans les diocèses orientaux qui ont été confrontés à la sécularisation dans le siècle dernier ».

Réouvert depuis le 1er octobre, le séminaire compte actuellement onze séminaristes dont trois sont en mission à l’étranger. « C’est très étonnant comme sensation, car nous sommes sujets au stress que tout le monde vit au Liban, mais en même temps, les attaques sont tellement ciblées qu’on ne se sent pas trop en danger », partage Guillaume Bruté de Rémur qui rit tristement en me disant qu’une belle ambiance règne au séminaire.  

« C’est un peu comme au début de la pandémie, on est confinés, on ne sait pas pour combien de temps, c’est sympa, on est entre nous, on plaisante sur ceux qui dorment tard le matin, on sort sur le balcon pour voir la fumée des bombardements, mais on se rend bien compte que c’est l’enfer à l’extérieur », témoigne le prêtre qui voit dans cette dérision un mécanisme de défense devant la gravité de la situation.

Les drones israéliens qui volent au-dessus de leurs têtes à longueur de journée et les vibrations sous leurs pieds dès qu’une bombe explose un peu plus loin ramènent rapidement les habitants du séminaire à la réalité.

Selon lui, « les chrétiens libanais sont très découragés par ce qui se passe et ont toujours payé le prix fort des guerres des dernières années. Ils ne pensent qu’à une chose : s’en aller, ils migrent, on assiste à une vraie hémorragie ».

Je pense à Karen. À mon ami Élie qui a quitté le Liban pour Chypre. Et à tous les autres qui sont partis.

Pourront-ils revenir dans leur pays ? Cet éternel conflit cessera-t-il un jour ? À quoi ressemblera le Liban de demain ?

Le directeur régional de CNEWA au Liban espère qu’il y aura très bientôt une initiative de la part de la France dont le ministre des Affaires étrangères est en contact avec son homologue américain pour demander un cessez-le-feu.

« Si ça ne s’arrête pas, ça va être un désastre. Le Liban est en crise économique depuis 2009 et la guerre n’aidera pas, on aura beaucoup de mal à reconstruire. C’est primordial que la guerre cesse », finit par dire Michel Constantin.

Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique Bérubé écrit pour nos magazines… et nos réseaux sociaux! Ce qu’elle préfère : voyager et partager des histoires inspirantes.