Rugamba
La famille devant la maison de Kigali. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Jean-Luc Moens.

J’entrerai au ciel en dansant : les Rugamba, martyrs modernes du Rwanda

Le 7 avril 1994 marque le début du génocide à l’encontre des Tutsis, une des trois ethnies du Rwanda. Fomenté et dirigé par les Hutus, ce génocide a fait un million de victimes. Le même jour, Cyprien et Daphrose Rugamba, catholiques, sont fusillés par des soldats de la garde présidentielle. Avec eux meurent six de leurs enfants et une petite cousine, Gabriella Zitoni. Vingt-sept ans plus tard, le 23 septembre 2021, à Kigali, capitale du Rwanda, s’est clôturée la phase diocésaine de la cause de la famille Rugamba pour canonisation et martyr présumé.

« Rugamba! Es-tu encore chrétien ? »

C’est ainsi qu’un des soldats de la garde présidentielle interpelle Cyprien Rugamba, qui se tient derrière le portail de sa maison. Sa femme, Daphrose Mukansanga, et sept de leurs dix enfants se trouvent avec lui. Le couple vient de passer la nuit à prier devant le Saint-Sacrement, alors exposé dans le garage.

« Oui ! Je le suis ! » réplique Cyprien, qui tente de dialoguer avec les soldats.

Comprenant que leur dernière heure est arrivée, Daphrose demande alors la grâce de prier une dernière fois devant le tabernacle. Pour toute réponse, elle reçoit un coup de crosse à l’épaule. Un militaire se dirige vers le tabernacle et le pulvérise en tirant dessus. Puis, les soldats font feu sur eux. Seul un des enfants, Cyrdard, 17 ans, légèrement blessé, survit au massacre.

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Le couple lors de sa première visite à la Communauté de l’Emmanuel en été 1989. Photo fournie avec l’aimable autorisation de Jean-Luc Moens.

« Cyprien était un prophète. On l’a fait taire pour pouvoir mener les actions crapuleuses qui étaient prévues. C’est pour cela qu’il a été tué dès le premier jour », lance Jean-Luc Moens dans une entrevue accordée au Verbe.

Jean-Luc Moens connait bien la cause, puisqu’il a été le confident de Cyprien entre 1990 et 1994. Il est également le délégué de la Communauté de l’Emmanuel (voir encadré) pour la cause de la famille Rugamba. La présence de cette communauté française au Rwanda s’explique par le fait que Cyprien est le fondateur de l’Emmanuel dans son pays.

La communauté de l’Emmanuel

La communauté de l’Emmanuel est un mouvement d’inspiration charismatique, reconnu par le Saint-Siège en 1992 en tant qu’association publique de fidèles. Elle regroupe des laïcs, des consacrés et des prêtres dans une soixantaine de pays du monde.

Moens lui a même parlé quelques heures avant sa mort. « Le jour de sa mort, il m’a téléphoné. Nous nous sommes parlé à deux reprises. La première fois, il m’a demandé de prier, car la situation était grave. Je l’ai rappelé une heure après, et la situation était toujours aussi grave. Quand j’ai rappelé une autre fois, je n’ai jamais eu de réponse… »

Le poète de l’unité rwandaise

L’annonce de l’assassinat de Cyprien Rugamba a secoué le Rwanda, car il était connu de tous dans le pays. Hutu, historien, poète, chanteur et danseur, il n’a eu de cesse de travailler à l’unité du Rwanda. Daphrose, son épouse, était Tutsie.

« Ses études l’ont mené à une conviction qui est essentielle pour expliquer sa mort. Cette conviction, c’est qu’il n’y a pas de Hutus, pas de Tutsis. Il n’y a que des Rwandais. Cela a été sa conviction dès le départ », souligne Jean-Luc Moens.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial de mars 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Chanteur, il a l’idée de transformer ses poèmes en chansons qui sont diffusées à grande échelle à la radio rwandaise. Selon Paul Kerstens, expert des littératures africaines, Cyprien « était le poète le plus célèbre du pays et jouissait d’une popularité énorme ».

Né en 1932, Cyprien est intellectuellement doué. Son professeur le remarque. Puis il s’inscrit au Petit Séminaire. C’est là qu’il décide de devenir prêtre. Paradoxalement, c’est au Grand Séminaire qu’il perd la foi au contact des philosophes existentialistes. Il quitte donc le Grand Séminaire en 1959 et décide de poursuivre ses études au Rwanda et en Belgique.

La force héroïque de Daphrose

Cyprien fait la rencontre de Xavérine Mukahigiro, dont il tombe follement amoureux. Ils se fiancent. Mais en 1963, Xavérine est assassinée lors de troubles ethniques. Profondément troublé par cette perte, Cyprien sombre dans une dépression majeure. Sa famille lui cherche une nouvelle fiancée. Daphrose, la nièce de Xavérine, est alors choisie.

Protecteur du Rwanda

En 2018, Cyprien a été reconnu Abarinzi B’igihango (protecteur des valeurs sacrées du Rwanda) par le président Paul Kagame.

Le 23 janvier 1965, leur mariage est célébré à Kigali. Cependant, Cyprien est toujours amoureux de Xavérine. « Durant les premières années de son mariage, il posait sa photographie sur sa table de chevet », relate Jean-Luc Moens.

Il répudie même Daphrose lorsqu’elle est accusée d’avoir utilisé la sorcellerie pour séduire Cyprien. Cette accusation émanait d’une des sœurs de Cyprien dont il était très proche. Quand la vérité éclate au grand jour, il reprend sa femme. Toutefois, le mal est fait.

Cyprien est loin d’être fidèle. Il conçoit même une fille hors mariage, la petite Émérita, née en 1971. Elle mourra le 7 avril 1994.

Devant les frasques de son mari athée, infidèle et de plus en plus célèbre, Daphrose tient bon. « Elle est demeurée fidèle à sa foi, à son baptême et à son mariage. Elle a beaucoup prié et jeuné pour la conversion de son mari », souligne François-Xavier Ngarambe, vice-postulateur de la cause.

Pourtant, Daphrose ne s’en laisse pas imposer. « Il ne faudrait pas croire que Daphrose était une ombre. C’était vraiment une forte femme. Elle a obtenu de Cyprien que tous les enfants soient baptisés », lance Jean-Luc Moens.

Rugamba
Daphrose, maman aimante. De gauche à droite : Cyrdina, Giny et Dacy. Photo fournie avec l’aimable autorisation de Jean-Luc Moens.

Puis, en 1980, Cyprien est atteint d’une maladie mystérieuse. Maux de tête, acouphènes, perte d’équilibre et perte de l’appétit sont les symptômes qui le handicapent au point qu’il est obligé de tout arrêter. « Sa maladie est un mystère », remarque Jean-Luc Moens. Les autorités gouvernementales, s’inquiétant de son état de santé, l’envoient en Belgique, dont le Rwanda est l’ancienne colonie.

Un artisan de paix « à abattre »

« C’est dans l’avion qu’un chant est monté en lui. Il était inspiré par l’Esprit Saint. Il parlait du Ciel et de sa mort : “Ce ciel blanc, blanc comme l’oiseau blanc, où m’attend le Roi. Si jamais je viens à être appelé, de grâce, ne vous affligez pas. Je répondrai à l’appel tout joyeux et j’entrerai au ciel en dansant” », relate Moens.

Puis, il se convertit. « Cela a été une conversion radicale. Dieu est devenu premier dans sa vie. Il a demandé pardon à sa femme. Un vrai pardon. Ce fut une réconciliation spectaculaire. L’amour est devenu exclusif », souligne-t-il.

En 1990, il fonde avec Daphrose la Communauté de l’Emmanuel au Rwanda.

Ses convictions profondes ne changent pas : elles se raffermissent dans la foi. « Il disait : “Il n’y a pas de Hutus, pas de Tutsis. Il n’y a que des enfants de Dieu” », poursuit Jean-Luc Moens. « Il s’est mouillé à fond ! »

Ses nombreuses prises de position en faveur de l’unité lui valent peu à peu d’être considéré comme une nuisance par le gouvernement au pouvoir.

Le garage où était installée le Saint Sacrement, photographié en août 1994. On voit encore où se trouvait le tabernacle et les impacts des balles tirées par les soldats. Photo fournie avec l’aimable autorisation de Jean-Luc Moens.

« Il a fait des démarches afin que les choses changent, entre autres à la radio des Milles Collines, qui diffusait la haine et la discrimination. Cette radio appartenait quand même au parti au pouvoir. Cyprien est allé demander des réformes. Quelqu’un est venu lui dire qu’il était sur la liste des personnes à abattre », explique François-Xavier Ngarambe.

Vingt-huit ans après les faits, François-Xavier Ngarambe en est convaincu : pour plusieurs raisons, Cyprien et Daphrose sont des martyrs.

« Pour le fait d’avoir été prophètes. Pour le fait d’avoir refusé de collaborer à la politique de cette époque, qui provoquait beaucoup de divisions. Pour le fait d’être restés au Rwanda pour leurs frères et sœurs, de les avoir encouragés jusqu’au bout et d’avoir souffert avec les Rwandais. Oui, nous pouvons vraiment les considérer comme des martyrs qui ont donné leur vie au nom de leur foi.

Prière d’intercession des Rugamba

Père Saint,

Nous te prions pour la béatification des serviteurs de Dieu Cyprien et Daphrose Rugamba, et les enfants morts avec eux.

Donne-nous, par leur intercession, d’avoir toujours, comme eux, un cœur brulant d’amour pour toi, un zèle incessant pour l’adoration, une compassion agissante pour tous ceux qui souffrent.

Aide-nous à nous donner sans compter au service de l’évangélisation des familles et des pauvres.

En communion avec Cyprien et Daphrose Rugamba, nous te confions spécialement les couples qui rencontrent des difficultés conjugales et les personnes qui ont de la peine à pardonner à leurs ennemis, et nous te demandons de faire de nous-mêmes des instruments de ta paix.

En communion avec les enfants morts avec eux, nous te prions pour tous les petits, spécialement les enfants victimes de mauvais traitements et de la violence.

Par l’intercession des serviteurs de Dieu, nous osons te demander, selon ta volonté,

la grâce de… (on exprime une prière)

Seigneur, accorde-nous la paix et la grâce qu’avec foi nous te demandons.

Amen.

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.