clinique
Photo : Jean Bernier

La clinique des sans-papiers

Aucune enseigne ne marque l’existence de la clinique de pédiatrie communautaire. On sait qu’il faut entrer par la porte du presbytère de l’église Saint-Thomas-d’Aquin, à Québec, pour l’atteindre. Cette aura de discrétion n’est pas sans rappeler la souffrance invisible et silencieuse des immigrants en situation de précarité qui tombent entre les mailles de l’accès aux soins.

Par un matin frisquet d’automne, une mère et ses deux enfants descendent d’un taxi. La maman tient contre elle un garçon de cinq mois fiévreux, bien emmitouflé dans sa combinaison de ski. «Vamos», leur lance l’interprète.

«Descendez, c’est au sous-sol!» Une équipe de bénévoles les attend patiemment dans le salon. L’accueil a un visage humain, chaleureux. Pas de billets à prendre, de cartes à donner ou de numéro à fournir. Les patients sont reçus dans la gratuité.

«Ce que je trouve beau, c’est que tout le monde ici donne un peu de son temps bénévolement, parce qu’ils ont envie de redonner au prochain. Je ne viens pas travailler ici avec le stress d’être performante comme dans mon autre travail», confie d’emblée Raphaëlle Bérubé, travailleuse sociale, impliquée dans le projet depuis sa création en juin 2021.

Couvrir les angles morts du système

Des cris, des pleurs, des rires. Ça grouille de vie dans le salon, alors que les enfants des bénévoles jouent avec les jeunes patients qui attendent de rencontrer Dre Marie-Camille Duquette. Avec sa petite sur les genoux, Marie-Louise Thiaw me parle de sa motivation à être bénévole pour la clinique.

«Ça a résonné en moi. Étant d’origine sénégalaise, je sais par quel processus les patients peuvent passer, pour l’avoir vécu moi-même. Quand j’ai eu mon premier garçon, il a fallu que je paie mon accouchement. L’assurance ne couvrait pas tout. J’ai payé jusqu’à ce que mon fils ait huit ans. J’avais une entente de paiement. La situation a changé depuis, mais en même temps, comme on dit, il y a des angles morts dans le système.»

Dre Duquette se présente avec une voix douce et un large sourire pour accueillir les premiers patients de la journée. Dans son bureau, au sous-sol, un mobilier médical a été fourni gratuitement par la clinique de pédiatrie où elle travaille à temps partiel.

«Vous n’avez pas encore votre carte de la RAMQ, c’est bien ça?» demande-t-elle à une patiente.

Depuis septembre 2021, la loi admet aux régimes d’assurance maladie et médicaments les enfants mineurs présents au Québec plus de six mois par année. Néanmoins, les nouveaux arrivants n’y ont pas accès dans l’immédiat, et dans certains cas, il y a des délais de traitement.

«Parfois, la carte arrive vite, mais parfois, c’est plus long. On est là pour sécuriser les familles qui viennent d’arriver, le temps que ça se place. Il y a aussi des enfants qu’on continue à suivre, même s’ils ont leur carte, pour les stabiliser au point de vue médical et social. De façon exceptionnelle, on voit des enfants immigrants du quartier possédant la carte, mais qui n’ont pas de médecins et ont de grands besoins. Ils nous sont envoyés par les organismes ou par l’école. Mon premier patient m’est venu par mon ancienne équipe du Centre de pédiatrie sociale. Je me sens aussi choyée d’avoir l’appui de mes collègues médecins dans notre projet», m’explique Marie-Camille, stéthoscope au cou, aux côtés de Claire Angela Jolicœur, infirmière clinicienne.

Marie-Louise Thiaw, Raphaëlle Bérubé, Marie-Camille Duquette, Claire Angela Jolicoeur et Esther Nkili Mboui

Au-delà du médical

«C’est rassurant pour les familles de savoir qu’elles ne sont pas seules, qu’il y a des professionnels bénévoles à l’écoute. Ça enlève un stress à leur situation déjà compliquée», constate Claire.

Ce jour-là, on me parle d’une mère ivoirienne et de ses deux enfants que la clinique continue à soutenir. Contactée par la suite au téléphone, la maman m’explique combien l’équipe l’a aidée à traverser son «année noire». Alors qu’elle vient de subir des traitements pour un cancer dans son pays, elle connait une récidive à son arrivée au Canada. Son mari est étudiant. Les parents cherchent des ressources pour leur fils autiste alors que leurs économies baissent à vue d’œil, entre autres pour assumer les frais médicaux.

«L’épreuve qui nous a surpris ici, c’est l’accessibilité aux soins. En Côte d’Ivoire, un médecin va vous recevoir. Je ne pouvais pas imaginer que ce soit aussi pénible ici. La clinique des réfugiés m’a fait rencontrer la Clinique Compassion. On ne fait que leur dire merci.»

Les tâches des bénévoles de la clinique ne se cantonnent pas à la sphère médicale: «On offre surtout des soins de santé médicaux, mais on s’occupe aussi de la santé du milieu dans lequel l’enfant vit. Son développement et sa santé sont tributaires de ce qui se passe autour de lui. Quand on voit nos patients, on veut qu’ils se sentent en famille pour briser l’isolement que les nouveaux arrivants vivent à cause de la barrière de la langue. Une fois par mois, nous avons commencé à faire des cafés-famille pour que certains parents viennent stimuler leurs enfants, par exemple par l’apprentissage de nouveaux jeux», m’explique Marie-Camille.

Le don appelle le don

Pendant que les bénévoles trient un don de vêtements dans la salle d’attente, la docteure Duquette interroge ses patients pour évaluer leurs besoins.

«Avez-vous des livres pour votre enfant?
— J’en ai deux.
— OK, on va vous en donner quelques-uns. Êtes-vous correcte pour la nourriture?
— Non, je ne suis pas correcte.»

Chaque besoin constaté par la pédiatre appelle un don… et des donateurs qui se manifestent au moment venu, dans le vent de la «providence d’un Dieu bon», comme le rappellent les membres de l’équipe.

« On ne fait pas de grandes choses,
mais seulement des petites avec un immense amour. »
– Mère Theresa

«Ce que je trouve beau, c’est que la charité est contagieuse. L’œuvre amène d’autres personnes à donner du temps. Je pense à cette paroissienne qui cuisine pour les patients de la sauce à spaghetti. Parfois, ce sont aussi des spécialistes qui acceptent de prendre gratuitement les patients que je leur envoie. Je pense à une petite fille qui n’avait pas de carte, en situation de précarité et qui avait un problème à un œil. Une ophtalmologiste a accepté de la prendre sans facturer des frais. Je vois la bonté circuler», se réjouit la pédiatre.

Raphaëlle, membre de l’équipe, tâche de tisser des liens entre les réseaux pour soutenir les familles dans plusieurs aspects de leur vie. Les organismes du milieu se dirigent des personnes les uns les autres, se rendent des services. «J’essaie d’encourager nos patients à fréquenter des milieux comme les maisons de la famille, de faire des activités où il y a de la stimulation, comme inscrire des mamans aux activités de la bibliothèque municipale. Donner le numéro de téléphone ne suffit pas toujours.»

La charité: une prière en action

«On ne fait pas de grandes choses, mais seulement des petites avec un immense amour.» Ces mots de mère Teresa ont toujours inspiré Marie-Camille dans sa pratique. Auparavant cheffe de la direction et cofondatrice du Centre de pédiatrie sociale de Québec, la docteure a senti qu’elle devait partir pour une autre mission.

«Je sentais que Dieu m’appelait à avoir un rôle plus petit pour être plus proche des personnes. Je voulais une équipe pour prier avec moi pour les patients. La clinique n’est ouverte qu’une demi-journée par semaine sur rendez-vous; c’est seulement une trentaine de patients par année. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, mais au moins ces patients-là ont été vus», pense Marie-Camille.

Avant chaque rencontre, l’équipe se réunit dans la chapelle pour confier personnellement chacun des patients à Dieu. Ensuite, elle se prête à un temps de louange pour lui rendre grâce pour ses bienfaits. En respectant les croyances des patients, sans rien imposer, elles veulent surtout dire Dieu, sans le nommer, par leurs actes.

«Prier pour ces personnes avant que ça commence, pour nous, c’est une façon de les aimer déjà. On les accueille dans une présence chrétienne. En fait, c’est le Christ qui les accueille», reconnait Marie-Louise, qui dit recevoir autant qu’elle donne. «Quand les gens arrivent ici, c’est qu’ils ont quitté quelque chose de plus difficile. Il y a déjà cette résilience avec laquelle ils arrivent. Ils veulent vivre. Ça nous évangélise. Il y a des gens qui ont beaucoup de foi.»

Le curé de la paroisse est heureux de voir son presbytère se transformer en lieu d’accueil pour les enfants dans le besoin. «C’est réjouissant de pouvoir se mettre au service des pauvres très concrètement. C’est bien que le Christ, qui est un bon médecin, ait des serviteurs qui le représentent dans ce milieu-là. C’est un service beau et assez caché pour l’instant, humble, appelé à se développer», affirme le père Benoît Guédas, qui prête les locaux gratuitement tout en permettant que le projet relève administrativement de la paroisse.

Si Dieu a un visage, on peut certainement en voir un reflet dans chacune des bénévoles dévouées de la Clinique Compassion, comme chez les enfants à qui elles se consacrent.

Photos : Jean Bernier

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.