serge allaire
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Serge Allaire, né pour donner

Serge Allaire est un bénévole bien connu grâce à la Fondation J’ai faim à tous les jours. Depuis une vingtaine d’années, elle sert des repas chauds et des collations aux enfants démunis des écoles de la banlieue de Montréal. Il a le don de mobiliser la communauté afin de tisser des liens de solidarité autour des plus pauvres. Quand il vient frapper à leur porte, les commerçants donnent plus que généreusement.

L’organisme jeunesse Posa Source des Monts (relève de la Fondation J’ai faim à tous les jours depuis le 1er septembre 2016) a organisé récemment une soirée hommage pour souligner les 50 ans de bénévolat de M. Allaire. Pour lui, le temps est venu de passer le flambeau. Entrevue avec un homme qui a un cœur de «popa» pour sa collectivité et qui a transformé et sauvé plus d’une vie.

Le Verbe : D’où vous vient cet attrait pour les pauvres et votre motivation à soulager la souffrance?

Ça fait longtemps. Je faisais partie de la JEC (Jeunesse étudiante catholique) puis, plus tard, de la JOC (Jeunesse ouvrière catholique). Je me promenais pour aller chercher du matériel et des sous pour les démunis de notre région à Lachute. Ce qui m’a décidé à aider les démunis, c’est quand j’ai commencé à sortir avec mon épouse, qui venait d’un milieu très défavorisé. Un jour, quand je suis arrivé chez elle, elle était en larmes. Sa famille n’avait plus rien à manger depuis trois jours.

C’est de ça qu’a déboulé tout le reste de ce que je fais, mais plus particulièrement la Fondation J’ai faim à tous les jours que j’ai créée en 2000.

J’ai pris ma retraite à 49 ans, et aujourd’hui, j’ai 76 ans. Donc, j’avais du temps libre. On m’a approché pour organiser un diner spaghetti avec les membres du Club de l’âge d’or et les jeunes d’une école de Chambly. On voulait recueillir des fonds qui serviraient à nourrir sept enfants. On a fait au-delà de 12 000 $ pour notre première journée spaghetti. On avait récolté beaucoup plus d’argent que ce que l’on espérait. Alors, on a aidé des enfants des autres écoles de la ville.

La Fondation J’ai faim à tous les jours a desservi jusqu’à 36 écoles situées dans 20 villes. Il y a sept ans, je me suis concentré sur les neuf écoles de Chambly-Carignan.

Un jour, quand je suis arrivé chez elle, elle était en larmes.
Sa famille n’avait plus rien à manger depuis trois jours.

Mais il y a plus qu’aider à nourrir les enfants. Il faut aider les parents aussi. Si un enfant n’a pas eu un milieu favorable pour s’épanouir, ça va être difficile pour lui à l’école.

Pendant cinq ans, j’ai nourri 60 familles parmi les plus démunies de Chambly-Carignan. Un épicier de la ville me faisait don de 65 000 à 75 000 $ de viande par année. J’ai arrêté ça il y a un an et demi, car je n’étais plus capable mentalement de recevoir les appels des gens dans le besoin et de ne pas avoir assez de matériel à leur donner. Je devais tenir une liste de priorités, et cela devenait compliqué. Certaines nuits, je n’arrivais plus à dormir. J’avais bien dit à mon épouse que, le jour où cela allait arriver, je décrocherais. J’ai donc laissé mon bénévolat auprès de ces familles, mais j’ai continué d’œuvrer pour J’ai faim à tous les jours.

Serge Allaire, vous semblez très touché par la misère des gens.

Je viens d’un milieu très aisé. Mon père pouvait changer d’auto trois fois par année. On mangeait du steak. On n’a jamais manqué de rien. Chez ma femme, c’était du baloney, des patates et des œufs.

Quand je faisais du bénévolat auprès de mes 60 familles, j’entrais dans les maisons. Là, tu vois la misère humaine. Ces familles savaient qu’elles pouvaient m’appeler n’importe quand. Même la nuit. Mon téléphone est encore ouvert 24 heures sur 24. C’est comme ça depuis 2000.

À un moment donné, quelqu’un m’a appelé à 10 h du soir. La famille était inquiète, le père parlait de se suicider. Je me suis habillé et je suis allé jaser avec eux. Je leur ai dit où appeler pour avoir les services nécessaires. Ça les a apaisés beaucoup. Maintenant, je sais que ça va très bien.

J’ai sauvé trois personnes du suicide et d’autres personnes de la noyade. J’ai beaucoup de sang-froid. Ça m’aide à prendre les bonnes décisions dans les situations d’urgence. Certains vont figer ou vont avoir peur. Ben moi, je me lance dedans. Des fois, ce n’est pas grave, mais j’ai le réflexe d’y aller. C’est plus fort que moi. Je ne pense pas. Les gens vont dire que c’est irréfléchi. Mais c’est peut-être mon cœur qui pense…

Votre cœur qui pense… Qu’est-ce qui vous habite dans ces moments?

Il y a quelqu’un en haut qui est là, c’est certain, à m’aider, à me propulser, à être comme je suis, point à la ligne.

Même quand j’étais jeune, j’aidais les gens. À 18-19 ans, je me tenais dans un restaurant. On était une gang de motards. Il y avait des adolescentes de 15-16 ans pour qui ça n’allait pas bien avec leur famille. Elles venaient me demander de l’aide, des conseils. Elles m’appelaient « Popa ». C’était mon surnom.

C’est très rare que j’ai des mauvaises journées. Avec tout ce qui m’arrive physiquement, je pourrais réagir très négativement. J’ai une force spéciale. Je suis en douleur depuis cinq ans. Bon… ma femme dit que ça fait 15 ans. J’ai mal tout le temps, au dos, au cou, aux épaules… Je suis très amoché physiquement. Il y a des risques que je paralyse si rien n’est fait. Moi, avant, je nageais, je faisais tous les sports… Je ne suis plus capable de faire ça maintenant. Ma douleur me permet de comprendre les gens qui ont mal, eux aussi.

Vous dites que vous avez une force spéciale pour surmonter la douleur?

Il y a quelqu’un en haut. Qui? Je ne le sais pas, mais il y a quelqu’un en haut, c’est clair. Je ne peux pas être comme je suis sans qu’il y ait de quoi en haut. On m’a donné une mission d’aider les gens, et j’essaie de répondre à cette mission.

Et j’ai une famille extraordinaire. Je ne peux jalouser personne, même les gens les plus riches, parce que moi, ma richesse, c’est ma femme et mes enfants, mes petits-enfants et mes deux arrière-petites-filles. C’est mon clan.

Chambly-Carignan c’est votre grande famille. Les gens se mobilisent autour de vous.

À la soirée hommage, la mairesse était là, le ministre Jean-François-Roberge était présent en visioconférence… Ma fille aussi à partir de l’Italie. Quinze personnes sont venues témoigner. Ma femme n’en revenait pas de tout ce que j’avais fait. Voir l’ensemble de mon œuvre, alors que moi, je lui en parlais par petits bouts le soir à la maison. Elle en était très touchée. Mon garagiste m’a dit : « Hé! le grand! J’pensais pas que tu en avais fait autant! »

Tout ça grâce à une communauté qui croit en moi. J’ai la confiance des commerçants pour aider les familles. Je suis connu et je suis respecté. Avec mon habillement spécial (NDLR: manteau à franges, bandeau sur la tête), je ne passe pas inaperçu. Je suis facile à reconnaitre. Les gens qui ont des problèmes viennent me voir pour jaser.

Je ne me sens pas comme un sauveur. Il y a des choses à faire et je les fais. Ce que je fais pour la communauté, ça fait boule de neige. Il y en a d’autres qui vont prendre la relève.

Si je suis ici, si je suis comme je suis, c’est grâce à ma femme. C’est une femme exceptionnelle.

Vous souhaitez ralentir. En fin de parcours de bénévolat, quelle espérance vous habite?

C’est que les enfants de ces familles défavorisées puissent se sortir du cycle, qu’ils puissent s’épanouir, finir leurs études, se trouver un emploi, se marier et avoir des enfants, etc. J’aimerais que tout le monde s’en sorte.

Il y en a pour qui c’est le cas. Un jour, un électricien vient chez moi et me dit : « Merci, M. Allaire, pour tout ce que vous avez fait pour moi! Vous m’avez nourri pendant toutes les années où j’étais à l’école. »

Tranquillement, le gouvernement se mobilise pour donner des fonds pour nourrir les enfants dans les écoles. J’ai espoir que le gouvernement prendra la relève.

Myriam Lefebvre

Enseignante d’expérience et musicienne à ses heures, Myriam est sensible à la musique des mots et aux histoires qui tissent des liens entre les humains. Elle aime emprunter des chemins inexplorés, oublier la notion du temps et s’émerveiller des petites choses de la vie.