Marie-Claude Poirier nous offre quelques généreuses minutes de son temps depuis le Pakistan, où elle est déployée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Le témoignage de cette femme de terrain va droit au cœur, tout comme sa foi. Foi en Dieu, foi dans les ressources qui viennent en aide aux personnes les plus vulnérables qu’elle rencontre et surtout foi en l’inaltérable dignité sise au creux de chaque personne humaine, même celle qui n’a plus aucun lieu où habiter.
Canadienne née au Québec et ayant grandi en Alberta, la «francophone ressortissante d’un milieu linguistique minoritaire» atterrit à l’Organisation des Nations Unies (ONU) il y a 10 ans par un concours de circonstances. «Je crois que la foi a beaucoup joué dans tout ça. Le chemin s’est dessiné à force de marcher sur la route et de voir quelle contribution je peux apporter.»
Spécialisée en relations extérieures au UNHCR, elle collabore dans le secteur humanitaire en répondant à des crises et à des conflits internes donnant lieu à des vagues de réfugiés «parfois en situation de vie ou de mort». «Au service», elle a été déployée sur le terrain en Afghanistan, en Équateur et maintenant au Pakistan.
Mettre ses pieds dans leurs pas
La persécution fait partie des cinq motifs reconnus par le droit international pour bénéficier d’une protection par les pays signataires de la Convention relative au statut des réfugiés. Les persécutions sont souvent directement liées à l’identité d’une personne. «Si cette identité est immuable, on ne peut se changer soi-même. En ce sens, si l’on est persécuté pour des raisons de religion, de race, d’appartenance à un groupe particulier, on peut demander l’asile et l’obtenir dans un pays qui applique cette convention.»
La jeune femme, qui passe ses journées à tenter de sauver des vies et à améliorer la qualité de vie de ceux auprès de qui elle œuvre, poursuit: «Lorsqu’on est persécuté, harcelé, menacé, c’est pas qu’on recherche ou qu’on se déplace vers une vie meilleure. C’est qu’on fuit le pays auquel on appartient. Je pense que le sort des réfugiés est parfois méconnu. Ils n’ont pas fait le choix de leur situation, mais en subissent amplement les conséquences. Leur vœu premier, c’est de pouvoir rentrer dans leur pays. Et ça, on ne le comprend pas des réfugiés, en général.»
«C’est mieux d’être un homme pauvre dans son propre pays qu’un homme riche dans un pays qui n’est pas le tien, car on peut tout t’enlever d’un seul coup», lui dit un jour un réfugié afghan.
«Lorsqu’on est persécuté, harcelé, menacé, c’est pas qu’on recherche ou qu’on se déplace vers une vie meilleure. C’est qu’on fuit le pays auquel on appartient. Je pense que le sort des réfugiés est parfois méconnu. Ils n’ont pas fait le choix de leur situation, mais en subissent amplement les conséquences. Leur vœu premier, c’est de pouvoir rentrer dans leur pays. Et ça, on ne le comprend pas des réfugiés, en général.»
Les fantômes légaux
Même si elle n’a pas la possibilité de répondre directement aux causes profondes des déplacements forcés de populations, Marie-Claude sait qu’elle a pu contribuer à transformer des vies, notamment lors d’une année au service des apatrides. Elle les a aidés à passer de fantôme légal à l’état juridique de personne, bénéficiant d’une identité, pouvant aller à l’université, passer des examens, obtenir des diplômes, conduire une voiture en ayant un permis.
Être «apatride, c’est naitre sans acte de naissance, c’est mourir sans certificat de décès. Ça veut dire ne jamais pouvoir épouser la personne qu’on aime. Ça veut dire transmettre à ses enfants l’apatridie et tout ce qui vient avec». Cette précarité est tragique. Elle a déjà vu des locaux se faire renvoyer de leur propre pays! «C’est le chaos lorsque tu n’arrives pas à dire: je suis X et j’ai les documents pour le prouver.»
L’apatridie est malheureusement en croissance exponentielle. Pourtant, un simple changement de loi peut jouer un rôle décisif pour des milliers de personnes et les générations qui suivent. Par exemple, dans certains pays, «il suffirait d’ajouter “et les femmes”» pour faire reconnaitre le droit des mères de transmettre la nationalité à leurs enfants. Impossible sinon de faire reconnaitre l’enfant auprès des autorités de son propre pays si le père est absent (mort, non marié, parti à la guerre, etc.).
Conteuse de (très) grands chemins
La résilience des réfugiés, c’est ce qui marque le plus Marie-Claude dans son parcours déjà bien mûr. «Je ne suis pas là uniquement parce qu’ils sont dans le besoin et que je veux les aider. Ce sont des personnes qui ont tous les outils et toutes les ressources pour améliorer leur vie.» Il suffit parfois de leur donner «un petit coup de pouce». Elle souhaite offrir cette plateforme pour qu’ils deviennent les porte-paroles de leur propre histoire, les acteurs de changements auprès des pays hôtes ou d’origine. «Je suis un peu une conteuse.»
Marie-Claude se donne pour «faire du bien». «Avec le temps, je me suis rendu compte que c’est peut-être ainsi que le voulait Dieu. Ça faisait peut-être partie de cette vision qu’il avait pour ma vie. Tout ce qu’on m’avait donné, tous ces privilèges, toutes les langues que je parle, tout ce que j’ai pu acquérir avec le temps, je pouvais maintenant les offrir pour les personnes dans le besoin.»
Prière profonde
Au Pakistan, ce sont «trois longues années qu’elle a passé», jonglant avec la situation d’urgence sanitaire et la crise en Afghanistan. Ceux travaillant pour l’aide humanitaire qui sont restés sur le terrain ont fait des choix «difficiles». Par exemple, en situation de problèmes de santé, elle n’aurait pu être évacuée du pays.
«Je pense que la foi fait en sorte que je me suis sentie accompagnée.» La prière est loin d’être son dernier recours. Elle y trouve un «soulagement», mais aussi «un moyen d’exprimer sa gratitude». «Ça me garde vraiment les pieds sur terre, mais ça me permet aussi d’aller un peu plus profond, de réfléchir à ce que je fais, de m’assurer que je fais du bien et pas du mal sans m’en rendre compte.»
Elle se heurte souvent aux limites de l’aide qu’elle peut apporter aux personnes réfugiées, notamment devant les besoins psychologiques. «Souvent, les réfugiés qui deviennent de plus en plus agités, désespérés, sont des personnes qui sont face à un mur, par exemple des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée. Dans ces cas-là, on peut seulement prier.»
En l’écoutant parler, on sent bien que, même en côtoyant chaque jour de si près l’injustice, c’est dans une foi profonde que s’ancre au fond d’elle sa confiance, son quotidien et son espérance. Elle se laisse doucement guider.