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Photo : Emma Lacroix

Le festin de Jessica

Fière fille de Magog, Jessica Poulin, chante partout au Québec depuis 20 ans. Tombée dans la marmite familiale de la musique à sa naissance, et après avoir traversé les épreuves d’un long détour, elle donne ce qu’elle a de plus précieux: la chaleur de sa voix et le charisme de sa présence.

Quel est le premier souvenir qui te vient quand tu penses à la musique?

J’ai à peu près quatre ans. Je suis en haut de l’escalier du sous-sol et j’écoute mon père qui répète en bas. Je chante pour qu’on ne m’entende pas. Au plus profond de moi, je sens que je fais quelque chose de sacré. Je fais l’expérience d’aller au cœur des émotions, d’habiter un espace en moi fragile et vulnérable.

À cinq ans, je chante à l’église avec mon père, puis avec la chorale. Je vois dans les visages autour que ma voix fait du bien et procure la paix.

Arrivée au secondaire, comme bien du monde, je prends un autre chemin. Je me mets à écouter toutes sortes de musique. Il n’y avait plus de place pour rien d’autre.

On pourrait dire que le sacré était loin?

Pas mal! Je me suis perdue dans beaucoup de choses, mais le plus douloureux a été l’esprit de performance et de séduction dans lequel je suis tombée. En 2004, arrivée à mes 20 ans, après une nuit d’angoisse, j’ai sauté dans ma voiture pour me rendre à l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac. Je ne pourrai jamais oublier ce matin-là. Je traversais le long corridor qui mène à l’église, et soudainement, le moine que je voulais précisément voir apparait devant moi. Il a dit: «Bonjour! Ça va bien?» J’ai presque crié: «Non!». On est allé à l’écart ensemble. Il a prié sur moi et là j’ai senti une chaleur m’envahir. J’ai ressenti une paix profonde. Tout est devenu clair dans ma tête et dans mon cœur. Je n’étais plus confuse. Je savais que c’était l’Esprit Saint. J’ai été libérée d’une oppression qui m’envahissait depuis des années. J’ai su que ma vie ne serait plus jamais la même.

Et pour ta vie professionnelle, ça a changé quoi?

Au début, je me demandais comment j’allais faire pour être chrétienne et chanteuse à la fois. C’était incompatible pour moi. Mon père chantait toujours à l’église, alors j’y suis retournée, mais désormais avec l’intime conviction que Jésus était une personne – une personne vivante. Chanter avec cette perspective changeait tout. J’étais bouleversée par les paroles que je chantais. Je les vivais de l’intérieur. Elles n’étaient pas juste des paroles écrites dans un livre. Elles me ramenaient à mon expérience spirituelle. Je ne désirais plus qu’une chose: vivre et faire vivre cette paix.

J’ai commencé à chanter dans des mariages, des funérailles,  et à donner des concerts dans des églises.

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C’est ainsi que ma carrière en Dieu s’est déployée. En 2009, j’ai chanté aux funérailles de la mère d’une amie. Sylvain Charron, l’animateur de l’émission La Victoire de l’Amour y était et il m’a invité à chanter pour son émission. J’y suis toujours, car pour moi c’est plus que de chanter, c’est témoigner en même temps de la présence et des œuvres de Dieu dans ma vie. 

On me demande souvent pourquoi je ne vais pas à La Voix ou autres concours du même style. Je réponds simplement que j’aime ce que je fais. Être proche des gens. Avec le temps, j’ai saisi que mon art, ma vocation c’est d’accompagner les gens dans ce qu’ils vivent. Je ne cadre pas avec l’image de la star inaccessible.

Jeune, j’ai vécu plusieurs expériences hors du commun sur scène ou à la télévision. J’ai fait l’émission Décibel de Nathalie Simard, puis le Gala Rêve D’Enfants où j’avais été retenue pour Coup de cœur. J’ai fait les premières parties de plusieurs vedettes internationales, reçu des demandes pour de grandes comédies musicales et finalement obtenu un contrat de disque. C’était tout ce dont j’avais toujours rêvé, mais avec ce changement profond en moi, du jour au lendemain, ces propositions n’avaient plus de gout pour moi.

Ce qui me faisait vivre, ce dont j’avais envie, c’était de consacrer ma voix à Dieu, pour les gens. Au même moment, j’ai rencontré Tommy, l’homme de ma vie. Mon mariage et nos deux enfants sont devenus ce qu’il y a de plus précieux pour moi.

En quelque sorte, c’est un renoncement à la renommée?

Quand on répond à l’appel qu’on a au fond du cœur, je crois qu’il y a toujours un renoncement à faire. C’est ça une vocation. En ce qui me concerne, la recherche de la gloire m’avait fait beaucoup souffrir. J’avais été esclave du regard des autres. Je faisais des crises d’hyperventilation avant chaque concours, et pourtant je les gagnais tous! Moi, je n’y allais que pour gagner. Si je n’étais pas la première, j’étais démolie. Je n’étais plus rien.

La révélation de Dieu dans ma vie m’a comblée intérieurement. Je voulais me protéger de ce désir insatiable de performance. J’avais besoin que ce don que j’avais reçu, ma voix, ma présence fassent du sens et du bien.

Quand je chante pour Dieu, je ne chante pas pour performer, je chante pour être son instrument, c’est ce qui a du sens. Je ne suis pas fermée à l’idée de faire de belles et grandes choses, mais ma priorité ça restera toujours de connaitre ce que Dieu veut pour moi, et comment je transmets tout ça avec et pour les gens.

Je gagne très bien ma vie, et avec les années, je me suis découvert les qualités d’une manager. Ce n’est pas rare que je fasse trois contrats par jour, et tout ça avec des chanteurs, des musiciens, des familles et des célébrants.

À un moment, j’avais de plus en plus de demandes pour des funérailles, mais quand arrivait la période des mariages, je n’avais plus de temps pour les funérailles. Les gens m’ont alors demandé de m’enregistrer. «C’est toi qu’on veut entendre, c’est ta voix qu’on veut», me disaient-ils. Quelle reconnaissance! Alors, j’ai produit mon album Passage pour accompagner les personnes qui sont en deuil ou qui sont proches aidants.

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ta vie professionnelle?

Accompagner, soutenir les familles dans les temps forts de leur vie. On partage beaucoup ensemble. Quand je chante pour elles, j’intercède auprès de Dieu. C’est ma prière. Chanter, c’est être vulnérable. Tu ne peux pas chanter et être fermée. Dans cette intensité pure, je veux donner Dieu, le Christ, celui qui est la vie même, à toutes les personnes qui sont présentes. C’est lui qui est véritablement à l’œuvre quand je chante. Et là, il n’y a pas de place ni pour la performance ni pour la séduction.

As-tu des regrets, parfois?

Pour être honnête, je suis à la veille de mes 40 ans. J’ai vécu une crise. Je me disais que bientôt je serai vieille. Je pensais: «Coudonc! Est-ce que je vais rester petite toute ma vie, ou bien si je vais aller au bout de mon talent?»

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Le film Le Festin de Babette m’a réconciliée avec ma situation. Comme les deux filles du pasteur, Filippa et Martine, j’ai un potentiel incroyable, mais je choisis de le garder caché. Filippa renonce à l’amour de Papin et à une carrière prestigieuse de chanteuse pour demeurer auprès de son père et des pauvres du village. Au-delà de l’emprise du père, il y a quelque chose de beau qui pousse ces femmes à être au service de ceux qui sont proches.

J’aimerais avoir du temps pour composer, faire des shows, jouer dans des films, des comédies musicales. Je sais que je serais capable. Ça m’a été confirmé par mes pairs plusieurs fois.

Oui, c’est une forme de sacrifice, mais il y a une chose que je ne peux pas sacrifier, et c’est ma famille. Ça fait quand même mal, car c’est un renoncement, mais je ne vois pas comment je ne mettrais pas ma famille de côté ni comment je serais présente aux choses simples de la vie. Je suis une femme tellement passionnée que ça me puerait au nez de rester à faire des choses simples, comme de laver mon plancher. Je me donnerais tout entière et sans mesure aux autres, et je n’aurais plus rien à donner à mes proches.

Ça me fait penser à Papin qui finira par dire à Filippa: «Je me rapproche de la tombe et je réalise que toute la gloire que j’ai connue, ça ne vaut rien, et je me demande si ce n’est pas toi qui avait raison.» Filippa est heureuse d’avoir été au service, mais elle a ressenti la brulure du renoncement toute sa vie. Mais elle est en paix. Elle ne regrette pas. Est-ce que je vais finir comme elle? Si oui, tant mieux, je serai heureuse jusqu’à la fin.

Photos : Avec l’aimable autorisation de Jessica Poulin

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.