chrétiens
Photo : Marie Laliberté

Regina Lynch: «Même si l’on ne croit pas, on devrait respecter le droit de chacun à suivre sa foi.»

Regina Lynch est, depuis juin 2023, la présidente exécutive de l’Aide à l’Église en Détresse (AED), une fondation internationale catholique de droit pontifical qui soutient les chrétiens persécutés et défend la liberté religieuse partout dans le monde. De passage dans nos bureaux, elle nous fait l’honneur de cet entretien sur son parcours ainsi que sur la mission et les défis de l’organisme qu’elle dirige.

Le Verbe: Madame Lynch, merci d’être des nôtres. Pourriez-vous d’abord nous dire quelques mots sur votre parcours à l’Aide à l’Église en détresse?  

Regina Lynch: J’ai commencé à travailler pour l’Aide à l’Église en détresse en 1980. C’était à l’époque du communisme en Europe de l’Est. C’était le début de la fin. Des évêques et des prêtres sont venus nous rendre visite : des gens qui ont passé des années dans des goulags, en prison, dans des églises souterraines… Pour moi, c’était vraiment une découverte. J’ignorais complètement tout cela. Je savais qu’il y avait des martyrs dans les premiers siècles de l’Église, mais j’ignorais qu’il y avait des martyrs dans le monde moderne. Cela m’a beaucoup impressionnée.

Mon tout premier voyage était en 1982-1983, avec mon patron du moment, le directeur de projet. Nous avons visité trois pays en Afrique de l’Ouest, à un moment où il y avait une vague marxiste dans la région. Le premier pays que nous avons visité est la Guinée. Il y avait alors un dictateur, Sékou Touré, qui avait mis l’archevêque de Conakry, Mgr Tchidimbo, en prison. Sékou Touré avait également expulsé tous les missionnaires. L’Église en Guinée s’est retrouvée avec un petit groupe de prêtres et religieuses autochtones. Le responsable était le jeune archevêque Robert Sarah, mis en poste à 34 ans. Nous avons passé une semaine avec lui et vraiment, il était menacé par le gouvernement. C’était un privilège de partager ce temps avec lui, de vivre avec lui ses soucis. Vous savez, en Afrique, l’âge compte beaucoup. Il était l’un des plus jeunes prêtres et c’était à lui de mener cette Église dans un moment de persécution. J’ai été très impressionnée.

«Je savais qu’il y avait des martyrs dans les premiers siècles de l’Église, mais j’ignorais qu’il y avait des martyrs dans le monde moderne. Cela m’a beaucoup impressionnée.»

À travers toutes mes expériences – en Chine, au Pakistan, en Irak – j’ai toujours privilégié la rencontre avec des témoins, des gens qui étaient vraiment prêts à aller le plus loin pour défendre leur foi. Pour moi, c’était toujours un défi. Est-ce que moi, je serais prête à aller jusqu’à ce point-là pour défendre ma foi? C’est pour cela que je suis toujours là. À un moment, c’est devenu une mission pour moi.

J’ai beaucoup de chance de servir cette œuvre et de servir l’Église de cette façon.

On sait que les chrétiens forment le groupe religieux le plus persécuté dans le monde. Vous en faites la démonstration dans vos rapports annuels, chiffres à l’appui. Pourquoi les non-chrétiens, eux, devraient-ils s’intéresser à ce phénomène?

C’est vraiment un droit de l’homme! Normalement, tout le monde devrait avoir un droit garanti à la liberté de conscience et à la pratique de sa religion. Pour moi c’est tout à fait clair. Pourquoi empêcher des gens de suivre leur conscience, de pratiquer leur foi, de prier? Peut-être que je suis naïve, mais pour moi, c’est évident que même si l’on ne croit pas, on devrait respecter le droit de chacun à suivre sa foi.

Dans notre société, les gens sont surtout préoccupés par leurs affaires. Ce n’est pas de la mauvaise volonté; beaucoup ne s’en rendent pas compte. C’est le devoir de notre œuvre d’être une voix pour ceux qui sont persécutés, pour ceux qui n’ont pas cette liberté. Or, pour moi, c’est aussi le devoir des médias – pas seulement nous, mais aussi les médias – de faire connaitre cette situation.

Il y a sans doute bien des chrétiens qui ne savent même pas qu’ils appartiennent au groupe religieux le plus persécuté dans le monde.

Oui. J’ai de bons amis – des catholiques pratiquants – qui, lorsque je suis partie en Irak, la dernière fois, m’ont dit: «Mais pourquoi vas-tu en Irak? Il n’y a pas de chrétiens en Irak». «Bien sûr qu’il y a des chrétiens!» Et c’est pour ça, je pense, qu’on a un grand défi, nous comme œuvre, mais aussi vous qui travaillez dans les médias, de faire connaitre la situation de tous ces chrétiens. C’est un privilège d’effectuer ce travail. Quand nous rencontrons des chrétiens qui sont vraiment persécutés – je pense aux Pakistanais par exemple, qui n’ont pas de voix au chapitre – la grâce de Dieu et sa providence nous permettent de faire notre devoir.

Comment parler des chrétiens persécutés sans entrer dans un concours de victimes?

Je ne pense pas qu’il faut faire une compétition. Si quelqu’un est persécuté, ça suffit, non? Nous savons très bien, parce que nous avons effectué nos recherches, qu’en Afrique de l’Ouest ou dans la région du Sahel, par exemple, c’est vrai qu’il y a aussi des musulmans qui sont attaqués. Nous avons des collègues qui sont revenus du Burkina Faso il y a trois semaines maintenant: c’est vrai qu’il y a aussi des musulmans qui sont des victimes. Mais en comparaison, le nombre de chrétiens est beaucoup plus élevé.

Dans notre Rapport sur la liberté religieuse 2023, on parle aussi des autres religions. C’est vrai qu’en Chine, par exemple, les musulmans sont aussi très persécutés. Mais une logique de compétition n’aide en rien dans cette bataille pour chercher la liberté pour tous. Ça n’aide pas beaucoup de dire: «ils sont plus persécutés que nous». Il vaut mieux être ensemble pour être vigilant et gagner cette bataille pour la liberté.

«62.5% de la population mondiale – presque 4,9 milliards de personnes – vit dans un pays présentant de ‘’sérieuses’’ ou ‘’très sérieuses’’ violations de la liberté religieuse.» – Rapport sur la liberté religieuse 2023

Comment arriver à attirer l’attention sur de véritables victimes sans entretenir ce qu’on appelle parfois aujourd’hui un «discours victimaire»?

Peut-être que je suis trop naïve, mais je pense qu’il faut simplement laisser parler des vraies victimes. Je me souviens très bien, par exemple, d’un voyage au Pakistan. On y a rencontré un catholique, un homme très simple qui travaillait en agriculture, gagnait 1$ par jour et qui ne savait ni lire ni écrire. Mais vraiment, un homme très convaincu de sa foi. Quand nous l’avons rencontré, il venait tout juste de quitter la prison. Il avait joué aux cartes avec ses voisins musulmans et il y avait eu de la bagarre, on ne sait pourquoi.

Puis, on l’a accusé d’avoir volé une page du Coran. Lui savait bien, à cause d’une loi antiblasphème en vigueur au Pakistan, qu’il était en danger de mort. Il s’est présenté à la police et pendant trois mois il a été torturé. La police lui répétait: «Si vous vous convertissez, vous pourrez sortir», mais il n’a pas accepté. C’est grâce à la Commission nationale de justice et de paix de la conférence des évêques catholique du Pakistan, avec l’aide d’avocats, qu’on a pu le sortir de prison.

«Laissons parler de vraies victimes. Elles me bouleversent
chaque fois que je les entends.»

Quand nous l’avons rencontré, mon collègue et moi lui avons posé la question: «Mais pourquoi n’avez-vous pas lâché?». Derrière nous, sur le mur, il y avait un crucifix. Il l’a regardé et a dit: «Lui a beaucoup plus souffert que moi». Oui, laissons parler de vraies victimes. Elles me bouleversent chaque fois que je les entends.

Il y a des victimes parmi les victimes et ce sont les femmes, dans bien des régions du monde: en Ukraine ces derniers mois, au Sahel depuis bien longtemps. Quel est le rôle particulier de l’AED pour cette population plus vulnérable?

Au Pakistan, par exemple, nous soutenons la Commission nationale de justice et de paix afin qu’elle puisse payer des avocats pour aider les familles des victimes de mariages forcés à les libérer de leur situation.

Nous aidons des religieuses qui ont des maisons pour cacher les filles. J’ai par exemple visité une maison de ce type à Karachi où des filles apprenaient, grâce aux sœurs, à faire des petites choses pour travailler. Il est difficile pour ces filles de s’insérer de nouveau dans la société.

Et on en parle avec des publications comme le Rapport Entendez ses pleurs 2021, sur «l’enlèvement, la conversion forcée et la victimisation sexuelle des femmes et filles chrétiennes».

En Ukraine, les églises locales nous demandent de financer des séances de guérison posttraumatique. C’est un sujet majeur; pas seulement l’aspect psychologique, mais aussi spirituel. Ce n’est pas seulement pour les femmes, c’est aussi pour les enfants. C’est aussi pour les aumôniers militaires au front, issus du clergé, dont plusieurs membres sont mariés. Ils sont aussi affectés.

Ça atteint la psychologie, mais ça atteint aussi la spiritualité, quand on voit les horreurs de la guerre… 

Oui, on ne peut pas séparer les deux.

Est-ce que les femmes sont persécutées d’une manière différente ou plus intense que les hommes?

Ça dépend. On travaille avec des personnes dans des sociétés où la femme n’a pas un statut très élevé. Je ne parle pas de l’Ukraine ici, mais de certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient. C’est sûr qu’elles y sont plus vulnérables.

Quand on pense à la persécution des chrétiens, on imagine d’abord des sociétés où les chrétiens forment un groupe religieux minoritaire faisant l’objet de discrimination sociale ou politique. Est-ce qu’on peut penser également à d’autres formes de persécutions, de nouvelles formes de persécutions qui interviennent davantage dans des pays occidentaux à majorité chrétienne, du moins historiquement?

Le pape François parle d’une «persécution polie» dans les pays occidentaux. Et c’est vrai, il y a beaucoup de défis aujourd’hui sur la défense de la vie, qu’il soit question d’avortement ou d’euthanasie. C’est vrai que nous sommes de plus en plus confrontés à des discriminations dans ces domaines, mais en même temps, en comparaison avec les victimes dont nous parlions plus tôt, je pense qu’ici au moins, on peut avoir une voix. On peut avoir aussi des moyens financiers, avoir une éducation. Nous aidons des chrétiens dans des pays où ils n’ont pas de voix, n’ont parfois pas la possibilité d’aller à l’école, où ils sont traités comme des chiens. On ne peut pas comparer cela avec les moyens que nous avons en Occident.

Il y a certes une différence de nature et pas seulement de degré entre ces deux types de persécution. Vous dites tout de même remarquer une certaine croissance de la persécution chez nous aussi. Que voyez-vous? Que faites-vous? Comment qualifieriez-vous les «persécutions polies» dont parle le pape François?

Dans notre plus récent rapport, nous parlons par exemple du fait qu’en Australie, dans l’un des États, le droit exige désormais que, si un prêtre apprend dans le contexte de la confession que quelqu’un a fait des abus sexuels, il doive le dénoncer aux autorités en dépit du secret du confessionnal. Pour moi, c’est vraiment un manque de respect contre notre foi, contre notre conscience, contre la conscience de ces prêtres, qui ne peuvent pas le faire en raison du secret de la confession1.

1«Le secret sacramentel est inviolable; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit.», Code de droit canonique, Can. 983 – § 1.

De différents pays occidentaux, nous avons donné des exemples de cas où nous jugeons qu’il y a un manque de respect pour la conscience des personnes ayant la foi: des médecins obligés par la loi de pratiquer l’avortement ou l’euthanasie, par exemple.

Mais en même temps on voit, si on regarde les États-Unis par exemple, des signes de changements. Nos collègues là-bas nous disent: «Oui, c’est vrai, il y a certaines choses qu’on a gagnées, mais ça peut changer de nouveau et il faut être toujours vigilant». J’ai lu récemment qu’une cour en Alabama a porté un jugement [LePage c. Center for Reproductive Medicine] au sujet d’une clinique pratiquant la fertilisation in vitro. Elle affirme que les embryons sont des êtres humains, qu’on ne peut pas les jeter. C’est incroyable! Enfin, on reconnait que, dès le moment de conception, il y a une personne. Mais on ne sait pas, ça peut changer de nouveau. Ça dépend beaucoup des hommes politiques au pouvoir. Ce sont vraiment des défis énormes pour nous, catholiques. Chacun de nous, comme catholique, a une voix: on peut voter, on peut en parler, on peut parler avec d’autres chrétiens.

Vous venez d’Irlande du Nord. Il y a là un historique de violences entre chrétiens de différentes dénominations. Au Rwanda, le génocide opposait également des chrétiens. Comment interpréter ces tensions parfois extrêmes entre coreligionnaires?

Je pense qu’il faut regarder un peu plus loin, derrière la façade. En Irlande du Nord, on ne se battait pas parce que les protestants croyaient ceci et les catholiques cela. C’était plutôt une guerre ethnique. Au Rwanda, c’est la même chose. En Bosnie, c’était aussi ethnique. Comme chrétiens, normalement, que l’on soit catholique ou protestant, on devrait quand même, si on suit bien l’enseignement de son Église, savoir que c’est un péché mortel de tuer quelqu’un. Ces terroristes en Irlande du Nord, je ne crois pas qu’ils étaient vraiment très pratiquants. Ça, c’est pour nous un défi: la culture est parfois plus forte que la foi.

«Le sang des martyrs est une semence de chrétiens», disait Tertullien. Cette citation célèbre se vérifie-t-elle dans les faits que vous rapportez?  

Beaucoup, oui. Nous le voyons avec l’exemple, certes un peu ancien maintenant, des martyrs de Corée. La Corée du Sud est aujourd’hui un pays très catholique. Nous y avons même un bureau pour chercher des bienfaiteurs, pour lever des fonds. Nous n’avons pas de projets en Corée parce l’Église y est très forte. On a vraiment des exemples. Le Vietnam a aussi donné beaucoup de martyrs. Même si les chrétiens forment une proportion minime de la population dans ce pays, ils ont une église très forte avec je ne sais combien de vocations, de prêtres comme de religieuses. C’est impressionnant.

«Les catholiques en Chine m’ont beaucoup impressionnée. Les missionnaires, pendant des siècles, ont rêvé d’aller en Chine. Pas très loin de Pékin, des familles sont catholiques et fidèles depuis des centaines d’années, malgré toutes les persécutions qu’elles ont subies.»

Et je pense aussi à des martyrs plus modernes, comme en Irak. Les chrétiens y sont devenus une petite minorité. Il y a un martyr moderne auquel je pense, le serviteur de Dieu Ragheed Ganni, tué à Mossoul. Je pense que son exemple donne des forces aux chrétiens qui sont là-bas aujourd’hui. Le père Ganni a fait des études à Rome et savait bien qu’à son retour à Mossoul, il risquait d’être tué. Il a refusé de fermer son église. Lui et quatre diacres ont été assassinés un dimanche matin. Son processus de canonisation est en cours.

Vous avez beaucoup parlé de vos expériences sur le terrain. Il y en a certainement qui vous ont plus marquées, que vous gardez encore avec vous aujourd’hui. Est-ce qu’il y en a une que vous aimeriez nous raconter? Quelque chose qui vous a spécialement bouleversée.

Il y en a beaucoup. Ma toute première visite en Chine a eu lieu en 1996, je pense. J’étais avec un collègue français et, pendant 15 jours, nous avons visité la Chine. La première semaine, nous avons visité l’Église officielle2. Durant la deuxième semaine, nous avons visité l’Église clandestine. En réalité, il n’y a pas deux églises en Chine, il y a une église. Nous étions à Wuhan et l’évêque de l’Église officielle, qui est mort maintenant, Bernardin Dong Guangqing, nous a expliqué que beaucoup d’évêques officiels, en secret, étaient fidèles au pape.

2L’Église catholique en Chine est usuellement décrite comme étant divisée entre une Église dite «officielle», soumise à l’autorité du Parti communiste chinois, et une Église clandestine, fidèle à Rome.

Il nous a dit que, quand il a été nommé évêque par le Parti, il voulait d’abord refuser, mais que le parti aurait autrement choisi de nommer un prêtre marié comme évêque. C’est pour ça qu’il a accepté. Il a aussi fait le parcours des prisons. Il a souffert. À Wuhan, il y avait également un évêque clandestin. L’évêque officiel nous a expliqué qu’il avait organisé une retraite avec les prêtres de son diocèse et qu’il voulait inviter l’évêque clandestin à la prêcher, mais que les autorités avaient refusé.

Alors – ils sont malins quand même – il a invité l’évêque clandestin à concélébrer la messe avec lui. Ça, ça allait, c’était permis. Il lui a donc laissé la place pour prêcher une homélie durant trois heures! Ils étaient vraiment amis. Cela signifie que cet évêque officiel a fait ce qu’il pensait être nécessaire pour préserver la foi.

Dans la deuxième partie de notre voyage, nous avons rencontré un évêque clandestin qui sortait pour la énième fois de prison. Je ne me souviens plus du diocèse. Il était souriant, il n’avait aucune haine envers ses persécuteurs. C’était vraiment une âme sereine qui sentait qu’elle était là, appelée par Dieu pour le servir et faire le nécessaire.

Quelques mois après notre visite, il a été arrêté de nouveau par la police, pour avoir prêché une retraite et je pense que, malheureusement, cinq ou six ans après, il est mort en prison. Je ne pense pas qu’il ait été tué. On m’a montré une vidéo de lui sur son balcon; il était en prison ou dans une résidence surveillée à laquelle les fidèles ne pouvaient accéder. À sa mort, les autorités ont tout de suite brulé son corps.

Les catholiques en Chine m’ont beaucoup impressionnée. Les missionnaires, pendant des siècles, ont rêvé d’aller en Chine. Pas très loin de Pékin, des familles sont catholiques et fidèles depuis des centaines d’années, malgré toutes les persécutions qu’elles ont subies.

Il y a aussi des Chinois qui sont en recherche. Avant c’était le confucianisme. Après, le consumérisme. Aujourd’hui, ils cherchent le sens de leur vie et c’est pour ça qu’on parle de 80 millions de chrétiens en Chine. Les catholiques sont une petite partie de cela, parce qu’il est plus facile de surveiller les catholiques que les protestants, qui ouvrent des églises dans des résidences privées et tout ça, mais c’est impressionnant quand même.

Les autorités chinoises voient peut-être davantage l’Église catholique comme une menace que les diverses formes de protestantisme?

Il y a beaucoup plus de protestants en prison que de catholiques. Je pense que, parce que les catholiques sont organisés – ils ont des diocèses, des évêques et tout ça – il est plus facile de les surveiller, de les contrôler. Mais beaucoup de religions sont persécutées en Chine. C’est parce que le gouvernement voudrait avoir une religion. Les autorités ne sont pas complètement contre la religion, tant qu’il s’agit d’une religion chinoise. L’Église catholique est universelle, avec un profil très clair. C’est pour ça qu’ils font tout pour éviter que les fidèles aient un contact avec cette Église extérieure.

J’ai aussi été très touchée – je suis encore très touchée – par les chrétiens en Syrie. La situation de la Syrie est terrible. Avant la guerre, les chrétiens n’étaient pas les plus riches, mais pas les plus pauvres non plus. À cause de la guerre, ils ont maintenant très peu de moyens. Ceux qui sont partis sont partis. Parmi les chrétiens, ceux qui restent sont souvent des gens âgés dont les enfants se retrouvent à l’extérieur, maintenant. Ou bien des femmes et leurs enfants, parce que les hommes, qui craignent d’être obligés à servir dans l’armée, se sont enfuis. Il est très touchant de voir la pauvreté. Il y en a beaucoup parmi les chrétiens qui voudraient partir, mais qui ne le peuvent pas.

En même temps, il y a une jeunesse chrétienne fière d’elle-même. Nous avons des projets en Syrie: des camps d’été, par exemple. Nous essayons, avec l’Église locale, de faire comprendre qu’ils sont des chrétiens syriens, qu’ils ont une place dans cette société. Même les musulmans en Syrie ne veulent pas que les chrétiens partent, parce qu’ils sont un pont entre les deux groupes musulmans présents dans le pays et qu’ils ont un rôle à jouer. Historiquement, ils sont mieux éduqués, ils ont des professions: ils sont médecins, professeurs, avocats. Ils sont respectés.

La persécution des chrétiens en Syrie ne vient pas de la plupart des musulmans locaux, mais d’islamistes qui viennent de l’extérieur. Quand nous parlons d’islamistes, nous savons très bien qu’il y a des musulmans très modérés dans beaucoup de pays, mais que malheureusement, il y a ces groupes de djihadistes, d’islamistes, qui arrivent à manipuler de jeunes musulmans qui ne sont pas satisfaits, qui cherchent une autre vie.

Ces islamistes, surtout en Afrique de l’Ouest et au Sahel, nous voyons qu’ils avancent. Le Burkina Faso, qui était un pays très stable où régnait une cohabitation de personnes pratiquant différentes religions – des chrétiens, des musulmans, des animistes – est en train d’être envahi par un radicalisme terriblement dangereux.

Est-ce qu’il y a, selon vous, un préjugé principal à combattre, ou inversement une vérité à promouvoir, au sujet de la persécution des chrétiens?

Dans les pays où les chrétiens sont persécutés, ils ne sont pas persécutés par toute la population. Il y a toujours un élément radical, soit de la part du gouvernement, soit de différents groupes, souvent ethniques. Il ne faut pas penser en noir et blanc. Il y a des éléments qui soutiennent aussi les chrétiens et, dans beaucoup de pays musulmans, surtout au Proche-Orient, la majorité ne veut pas que les chrétiens partent.

Je suis allée en Irak en 2021 avec le pape François. Je faisais partie de la délégation. J’étais la seule personne de l’extérieur du Vatican qui a pu voyager avec lui à cause de ce que l’AED a fait en Irak pour les chrétiens, surtout dans la plaine de Ninive. Un des évêques m’a dit qu’un aspect très positif de la visite du Pape est que les musulmans ont enfin compris qui sont les chrétiens. Ils avaient à l’esprit que les chrétiens sont arrivés avec les croisades. Ils ne savaient pas que les chrétiens ont une présence sur le territoire depuis 2000 ans, qu’ils sont des Irakiens, qu’ils ont des racines irakiennes. Et je pense que si on arrive à faire passer ce message dans des pays où il y a des extrémistes, ça améliorera beaucoup la situation des chrétiens.

«Sans la prière, je suis convaincue qu’on ne peut rien faire.»

Je pense que nous avons vraiment de la chance d’effectuer ce travail ensemble. Nous sommes présents dans 23 pays où nous essayons d’être une voix pour les chrétiens persécutés. Mais il faut insister sur une chose, et c’est la prière. La prière des bienfaiteurs pour nos partenaires et la prière de ces églises persécutées pour nos bienfaiteurs. Très souvent, un prêtre, une religieuse, nous remercie pour notre aide et nous dit: «On n’a rien à vous offrir sauf nos prières». Mais c’est formidable, la prière!

La prière est au centre de ce que nous faisons, dans nos bureaux nationaux comme au siège international. Sans la prière, je suis convaincue qu’on ne peut rien faire. Quand on voit la situation dans les différents pays où nous avons des bienfaiteurs, les défis économiques, les pressions dans nos sociétés, je suis convaincue qu’on ne peut rien faire – et que la générosité de nos bienfaiteurs ne serait pas là – sans la prière.

Vous ne semblez pas être une femme cynique ou désespérée, malgré toute la misère que vous voyez. Sans un regard de foi sur ces réalités, ce serait sans doute plus difficile?

Sans la foi, c’est désespérant. Je dis très souvent qu’il y a des situations où il n’y a pas de solution humaine. C’est vraiment à travers la prière…

À différents moments, nous avons fait des campagnes de prière, en nous adressant aux monastères des contemplatifs, afin de prier pour trouver une solution ou empêcher quelque chose d’arriver.  Nous avons fait des campagnes pour le Nigeria. Pendant des moments très difficiles en Syrie aussi, où on risquait d’avoir une guerre beaucoup plus grande, nous nous sommes tournés vers les contemplatifs pour prier.

On voit bien que vous êtes un organisme qui est inséré dans la vie de l’Église, qui n’est pas une ONG comme d’autres. Construire des puits, c’est très bien, mais vous agissez à un tout autre niveau.

Oui, et c’est pourquoi nous ne cherchons pas et n’acceptons pas, de financement des gouvernements. Nous voulons être indépendants, libres, pour vraiment suivre la mission de Dieu, pour ne pas être obligés de suivre la mission des gouvernements.

Cet entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.

Pour aller plus loin: Toutes les 5 minutes, un chrétien est assassiné à cause de sa foi

Consultez notre dossier Web en cliquant sur la bannière

Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Toujours prêt à débattre des grandes questions de notre époque, il assume le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés au Verbe médias.

Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.