Brigitte
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Brigitte et les pauvres

De très nombreuses municipalités du Québec portent le nom d’un saint. Sainte-Brigitte-de-Laval, en banlieue de Québec, est l’une d’elles. La toponymie de cette localité lui vient de ses fondateurs gaéliques arrivés dans les années 1830. Qui est donc cette sainte irlandaise dont le nom fait partie de nos paysages?

Si saint Patrick est de loin le saint patron irlandais le plus connu, il n’est pas le seul! L’Irlande en comporte deux autres : saint Columba d’Iona et sainte Brigitte de Cill Dara (aujourd’hui Kildare).

Brigitte est née en 451 dans le petit village de Fochart, à environ 80 km au nord de Dublin, dans une Irlande alors en cours d’évangélisation. Son père, chef de clan dans la région, avait eu une relation extraconjugale avec une de ses esclaves chrétiennes. Lorsque sa femme s’est aperçue qu’une des esclaves était enceinte, elle a exigé de son mari qu’il la vende et c’est un druide qui l’a achetée.

De l’esclavage à la liberté

Elle a d’ailleurs beaucoup aimé sa mère et ce druide et, dès son plus jeune âge, s’est mise à l’ouvrage à la ferme dont ils avaient la charge. Sa grande générosité (elle donnait régulièrement du lait et du beurre aux pauvres) a tellement impressionné son maitre qu’il les a un jour affranchies toutes les deux.

À l’âge de 18 ans, son père est venu la retrouver pour lui conseiller de tirer avantage de ses attraits et de se marier à un jeune homme riche. Déconcertée, la jeune fille lui a répliqué qu’elle préférait confier sa vie à Dieu qu’à un homme. Elle s’est ensuite rendue dans une chapelle pour demander au Seigneur de lui ôter sa beauté. Sa prière exaucée (elle aurait contracté la variole la nuit suivante), son père n’a eu d’autre choix que d’accepter sa décision et lui donner sa bénédiction. Ironiquement, après avoir prononcé ses vœux perpétuels, elle aurait retrouvé sa beauté originelle avec seulement quelques séquelles.

Beaucoup de jeunes femmes récemment converties ont suivi l’exemple de Brigitte et celle-ci a fondé de nombreux couvents à travers le pays pour qu’elles puissent y mener leur vie religieuse. Elle a fondé le plus grand d’entre eux dans la ville de Cill Dara, à 50 km de Dublin, et en est devenue l’abbesse. C’est de là que lui est venu son titre de Sainte-Brigitte de Cill Dara (« Naomh Bríd Chill Dara » en irlandais).

Fondatrice et bienfaitrice

Bien qu’à la tête d’une congrégation religieuse, Brigitte n’est pas restée confinée à l’intérieur des murs de son couvent et a continué à porter assistance aux malades. On raconte, par exemple, qu’elle aurait changé de l’eau en lait afin de nourrir une malade dont la vache était morte. Une autre fois, alors qu’elle s’était blessée en tombant de cheval, les deux femmes muettes qui l’ont soignée auraient retrouvé la parole après s’être lavé les mains dans la flaque où avait coulé le sang de la sainte.

De plus, la générosité dont elle a fait preuve envers les pauvres dans son enfance l’a habitée toute sa vie. Ainsi, tandis qu’elle se reposait un jour le long de la rivière Eithne, dans le nord-ouest de l’ile, une femme est venue lui offrir une corbeille de pommes. Après l’avoir remerciée, Brigitte s’est remise en route et a donné tous les fruits à des lépreux qui mendiaient devant une maison miteuse.

Évangéliser avant tout

Brigitte profitait également de ses voyages pour évangéliser, tout comme saint Patrick. Un jour, ayant entendu qu’un homme était sur le point de mourir, elle s’est précipitée chez lui, souhaitant le convertir avant son décès. Voyant que le mourant demeurait sceptique, elle a pris de la paille sur le sol pour tresser une croix, expliquant que le Sauveur était justement mort sur la croix. Intrigué et désireux d’en savoir plus, le malade lui a demandé d’en raconter davantage et Brigitte a eu le temps de lui prêcher l’Évangile et même de le baptiser avant sa mort*.

Cette petite croix de paille porte depuis le nom de croix de Sainte-Brigitte et est réputée apporter chance et longévité. Chaque année, dans la plupart des écoles primaires d’Irlande, les élèves fabriquent des croix de Sainte-Brigitte à l’occasion de la fête de la sainte célébrée le 1er février. De nombreuses églises organisent également des activités de tressage de croix et les fidèles sont ensuite invités à les rapporter chez eux ou à les placer dans leur véhicule.

Qui aurait cru qu’une petite croix de paille perpétuerait la mémoire de la sainte  jusqu’à ce jour?


*Encore aujourd’hui, l’Église catholique permet à un croyant de baptiser quelqu’un en danger de mort.

Romain Martiny

Romain est professeur en sciences au collégial.