Mélanie Lachance

On s’est mariés parce qu’on ne s’aimait pas

Il est 5 h 30 du matin, ma fille de 18 mois hurle à pleins poumons. Elle a les yeux croutés et collés. Elle a attrapé la conjonctivite de son frère. Mon mari malade, qui dormait dans le salon, va la prendre.

Mon fils de trois ans se lève bientôt, lui qui nous a réveillés toute la nuit. Pour faire pipi, pour qu’on replace ses couvertures, pour qu’on trouve Alexandre le mouton et parce qu’il avait le besoin urgent de me dire, au beau milieu de la nuit : « Parfois, les amis à la garderie ne partagent pas. »

— Et toi, tu partages toujours?

— Non.

— Alors, enlève la poutre dans ton œil avant d’enlever la paille dans l’œil de tes amis.

Il me regarde, hébété : visiblement, il n’a rien compris.

— OK, maman. Bonne nuit.

Le matin, écrasée sur le divan, je propose à mon mari d’appeler sa mère, pour qu’elle nous donne un coup de main pour la journée. En prenant mon cellulaire, je vois la date. « Hé! C’est notre anniversaire de mariage! Cinq ans! »

Mon fils s’en émerveille. « Tu as compris, Madeleine? C’est la fête de mariage de papa et maman! Ils vont encore se marier et faire un autre bébé! » explique-t-il à sa sœur, qui, de son côté, n’en a rien à cirer.

J’admire l’ouverture à la vie de mon fils. Mais j’accoucherais bien volontiers du bébé que je porte depuis six mois avant d’en faire un nouveau…

Cela dit, il n’a pas tort. C’est vrai qu’on s’est mariés pour faire des bébés.

Mariage : consécration de l’amour?

Je repense souvent à une remarque d’une amie, quelques jours avant notre mariage:

— Wow! c’est tellement beau! Vous devez beaucoup vous aimer pour vous marier! 

— En fait, on ne s’aime pas vraiment. C’est justement pour ça qu’on se marie.

Mon amie est restée surprise. Et c’est devenu un running gag entre mon mari et moi. À tous ceux qui nous demandaient pourquoi on se mariait, on se plaisait à répondre : « Parce qu’on ne s’aime pas. »

Et le pire, c’est que c’était vrai. On ne s’aimait pas.

Le mariage chrétien se présente comme tout le contraire. Loin de terminer l’amour, il le fait débuter.

Ou plutôt, nuançons : on s’aimait un peu. Je le trouvais intelligent, fidèle, beau, grand… Et lui me trouvait je ne sais pas trop quoi.

On partageait l’amour de la philosophie et du basketball. Et surtout, on souhaitait tous deux enraciner notre amour dans la volonté de Dieu. C’était suffisant pour se marier.

Le début de l’amour

La remarque de mon amie témoigne bien de la vision qu’ont la plupart des gens du mariage aujourd’hui. Le mariage consacre l’amour d’un couple. Il est l’apogée de la relation, le point final. La photo pour immortaliser l’amour accompli.

Le mariage chrétien se présente comme tout le contraire. Loin de terminer l’amour, il le fait débuter. Les sentiments passent et fluctuent. La volonté de servir l’autre, avec la grâce de Dieu, grandit.

Une seule chair

« Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19, 6). Quelques semaines avant mon mariage, ces paroles de l’évangile me terrifiaient.

« Je n’ai pas envie d’être une seule chair. Je veux rester moi. Je veux rester libre », ai-je confié à mon père spirituel. « Tu ne seras pas moins toi, mais plus toi. N’aie pas peur », m’a-t-il exhorté.

Il avait raison. Je repense à la fille que j’étais et elle m’apparait aujourd’hui comme une ombre. Obnubilée par SES projets, SES passions, SES sentiments. Libre de faire ce qu’elle désire quand elle le désire, certes. Mais vide et triste.

Cinq ans plus tard, je me retrouve fatiguée et cernée. Mais aussi profondément comblée. Par la présence de mon mari, et aussi par celle des bébés qu’on a faits en se mariant, comme se plait à dire mon fils. Auprès d’eux se trouvent l’amour vrai et le bonheur.

Et je sais aussi que le meilleur vin se boit toujours à la fin et non au début. Comme aux noces de Cana.

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.