Ne lisez pas cet article si vous êtes en fin de session !

Noël approche. C’est la folie dans les magasins. Mais pour une partie de la société, ce ne sont pas les cadeaux qui pressent. C’est la fin de session.

Pour la population étudiante, décembre rime en effet avec examens, oraux, travaux et… café. 

J’en sais quelque chose. J’entame cette année ma dixième année à l’université… Et par conséquent, ça fait aussi dix ans que je donne à Noël des cartes à ma famille dans lesquelles il est écrit : « Voici le cadeau que tu auras éventuellement, quand j’aurai le temps d’aller dans les magasins… »

Une vertu spéciale

Je ne ferai pas pleurer personne, mais les étudiants comprendront : la fin de session, c’est un véritable combat. Pour certains, c’est même l’épreuve la plus difficile qu’ils auront rencontrée jusqu’à présent. 

Car si le sport demande discipline et courage, combien davantage la vie intellectuelle ! Devenir un athlète de la tête, c’est encore plus forçant que faire des chin-up

J’exagère ? Si c’est le cas, alors expliquez-moi l’impopularité de la vie intellectuelle…

En fait, étudier demande tant d’efforts que les philosophes du Moyen Âge lui ont assigné une vertu spéciale : la « studiosité ». C’est la qualité de la personne studieuse. 

Mais concrètement, quelle est la première étape pour devenir studieux ? Réfréner son désir de connaitre, écrit saint Thomas !

Paradoxal, me direz-vous ? En quoi le fait de moins désirer la connaissance rendrait-il capable de terminer avec brio sa fin de session ? Saint Thomas s’explique : en fait, il faut différencier deux façons de désirer la connaissance, l’une ordonnée, l’autre désordonnée. 

Les philosophes du Moyen Âge ont appelé le désir désordonné « curiosité ». Certes, la curiosité désigne parfois une qualité. Un enfant curieux, c’est un enfant qui aime apprendre, qui s’intéresse au monde, qui n’est pas blasé.

Il faut toutefois revenir au sens péjoratif, qui subsiste encore aujourd’hui, pour comprendre la pensée de Thomas. Par exemple, lorsqu’on dénonce la curiosité de celui qui s’intéresse indument à la vie privée d’autrui… 

Quatre manières d’être curieux

La distinction entre « studiosité » et « curiosité » met la table pour comprendre la difficulté de la plupart des étudiants. 

En fait, le problème ne réside pas dans l’absence de désir face à la connaissance. Mais dans un désordre. Et saint Thomas présente quatre manières d’en faire les frais.

1. Se détourner de son étude

Premier cas : est curieux celui qui préfère connaitre autre chose que ce qu’il devrait apprendre. Par exemple, écouter Netflix plutôt qu’étudier, c’est vouloir apprendre quelque chose. C’est vouloir savoir si finalement les voleurs de La Casa de papel vont sortir avec l’argent ou pas. 

La curiosité que suscitent Netflix, Facebook et autres saute aux yeux. Un étudiant s’y trouve souvent pris au piège. Mais est aussi curieuse la doctorante en philosophie qui lit avec attention un livre de philosophie… portant complètement sur un autre sujet que sa thèse. (Mea culpa !)

Car être studieux, ce n’est pas se consacrer à la connaissance en général. C’est étudier ce qui nous concerne personnellement en ce moment. Mon examen. Mon travail long. Mon doctorat. Pas autre chose.

2. S’adresser aux autorités interdites

Deuxième cas : est également curieux celui qui se tourne vers les « autorités interdites » pour obtenir les réponses à ses questions. Saint Thomas donne en exemple la superstition, comme lorsque quelqu’un cherche le sens de sa vie dans l’horoscope.

On pourrait ajouter la tricherie. Ou, plus communément, le fait de consulter trop tôt le corrigé. C’était d’ailleurs le conseil d’un de mes professeurs de physique au cégep : « Arrêtez de regarder le solutionnaire dès que vous ne comprenez pas le problème. Soyez patients. Donnez-vous le temps de réfléchir. Sans cela, vous ne comprendrez jamais réellement. »

3. S’intéresser à des sujets trop difficiles

Le troisième écueil de la curiosité, écrit saint Thomas, consiste à vouloir connaitre tout de suite les choses les plus difficiles.

Apparaitrait bien ridicule l’étudiant de première année en physique qui voudrait immédiatement apprendre la théorie des quanta. De même pour l’étudiant débutant la médecine qui souhaiterait réaliser une intervention chirurgicale. Ou encore, l’étudiant en philosophie qui souhaiterait à tout prix « prouver » que Dieu existe, sans aucune connaissance préalable de l’argumentation ou encore des créatures naturelles, par lesquelles la raison humaine doit nécessairement passer pour remonter au Créateur.

Il faut appliquer dans notre étude ce conseil biblique : « Ne sois pas curieux de ce qui te dépasse. » (Sc 3, 23)

4. Ne pas ramener son étude à un sens plus grand

Finalement, est curieux, affirme saint Thomas, qui étudie sans le désir de tout ramener à la connaissance de Dieu. 

C’est ici que les non-croyants cessent de me lire ?

En fait, je crois que le conseil demeure dans une certaine mesure valide, même pour un non-croyant. Cette remarque souligne au fond qu’on doit reconduire toute étude particulière à un désir de vérité plus grand encore. Il faut tout ramener à ce qui donne sens à son étude.

C’est un fait d’expérience : quand on ne sait plus pourquoi on étudie, il devient difficile de se concentrer sur un problème particulier, par exemple le fonctionnement de la rate pour l’étudiant en médecine, les propriétés du béton pour le futur ingénieur ou encore les modalités des quatre causes chez Aristote pour l’étudiant en philosophie.

L’étudiant en médecine doit se souvenir de son désir de soigner les gens ; le futur ingénieur doit sentir de nouveau la volonté de construire des édifices plus adaptés aux besoins humains ; le philosophe en devenir doit se rappeler son amour pour la vérité.

Et c’est ma conviction que toute personne réfléchissant sérieusement au sens de ses études trouvera Dieu au bout. Car il est la source de toute connaissance et vérité en cette vie. Il est le sens de toute étude véritable.

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.