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Le Verbe : 100 % intelligence humaine

Elle était déjà là depuis un moment. On la côtoyait sans l’apercevoir. On l’apercevait sans l’identifier. Et si on l’identifiait, c’était sans la comprendre.

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L’«intelligence artificielle» (IA) fait partie de nos vies depuis quelques années. Le changement s’est fait en douceur: des logiciels plus rapides, un trajet de retour à la maison qui évite mieux la circulation, des autocorrecteurs plus performants, des publicités toujours mieux ciblées sur nos réseaux dits sociaux.

Pas de grand bond en avant ni de révolution; plutôt une évolution exponentielle.

L’embrayage à la phase suivante ne s’est pas fait en douceur. Mise en service il y a une quinzaine de mois (30 novembre 2022), la première «IA générative» accessible au grand public, nommée ChatGPT, représente un saut qualitatif majeur.

Pour simplifier les choses à outrance, une analogie: nous sommes passés du banal robot culinaire à la téléportation de Ricardo dans votre cuisine. Docile et dévoué, le célèbre chef invente – dans la langue de votre choix – un plat trois étoiles Michelin avec les restants au fond de votre frigo. En quatorze secondes. C’est à peu près ça, l’IA générative.

Et ça ne fait que commencer.

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Par définition, l’«intelligence artificielle» générative se distingue des autres représentants du genre par sa capacité à générer de nouveaux contenus: chansons, recettes, chroniques d’opinion. Nous serions fous de nous priver d’un tel assistant! ChatGPT peut rédiger un texte mille fois plus rapidement que ce journaliste qui s’empêtre dans les détails et respecte rarement les dates de tombée.

Dans une présentation devant médias et spécialistes du monde entier, le grand patron d’OpenAI, la compagnie derrière ChatGPT, a promis «des superpouvoirs pour tous». Rien de moins.

Bien sûr, vous pourrez désormais nettoyer une nappe maculée de vin rouge sans devoir appeler votre belle-mère. Or, si ne plus dépendre les uns des autres constitue un superpouvoir, il y a lieu de se désoler. Ce pouvoir d’indépendance risque davantage de diminuer l’humanité que de l’augmenter.

Qui veut faire l’ange fait la bête.

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Le Verbe médias vous fait ici une autre sorte de promesse. Les textes, les images et les sons que nous produisons ne seront jamais générés par «intelligence artificielle».

Nous ratons une occasion de devenir plus efficaces? Cette course en avant ne nous intéresse pas. Nos contenus pourraient être encore mieux écrits? Tant pis. Nous préférons qu’ils soient bêtement imparfaits… et même livrés en retard parce que le petit dernier de notre collaboratrice n’a pas dormi de la nuit.

La vulnérabilité, les aléas d’une relation d’aide pauvrement humaine, d’une discussion tendue, d’un désaccord; nous refusons de voir ces limites comme les dommages collatéraux d’une chaine de production. Ne sont-elles pas au cœur de notre ouvrage?

«C’est à l’homme de décider s’il veut devenir la nourriture des algorithmes ou nourrir son cœur de liberté, sans laquelle on ne grandit pas en sagesse. Cette sagesse murit en tirant profit du temps et en embrassant les vulnérabilités», soulignait le pape François en janvier dernier, s’adressant aux journalistes.

L’accélération n’est pas une fatalité. Et parfois, y résister, c’est s’affranchir. Permettez que nous nous offrions cette liberté d’être limités, donc dépendants les uns des autres. Dépendants, donc en relation. En relation, donc un peu plus humains.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.