Les linguistes appellent polypote non pas un type ayant de nombreux amis, mais une figure de style dans laquelle un même mot est répété sous différentes formes grammaticales.
Avant de le savoir, je n’en savais rien. (Ah!) Mais grâce à Internet, je n’ai pas eu à me déplacer dans ma bibliothèque municipale située au beau milieu d’un immense stationnement de centre commercial pour dégoter un dictionnaire des figures de style. J’ai simplement demandé à Internet et, comme à sa fidèle habitude, il m’a gentiment répondu.
J’aime bien les bibliothèques, mais je les préfère généralement ailleurs que dans des lieux aussi laids. En fait, ça prendrait une loi qui interdit aux bibliothèques municipales de s’installer dans les stationnements de centres commerciaux. À moins que ce soit le centre commercial qui ait décidé d’installer son stationnement autour de la bibliothèque? Faudrait enquêter.
Quoi qu’il en soit, si un fonctionnaire municipal lit ceci, qu’il considère ce paragraphe comme une plainte formelle: le citoyen Malenfant réclame une loi de plus.
Miss V en mode carême
Assez tôt à l’aube de ma courte carrière, j’ai pris l’habitude de rédiger mes éditos «sous influence», comme disaient les guitaristes bourrés de LSD à l’âge d’or du rock and roll. Lorsque j’écris un éditorial, j’ai la mauvaise habitude non pas de consommer de l’acide, mais de grignoter des croustilles d’une marque populaire, saveur nature, avec un dessin beige et rouge de dentelle vintage sur l’emballage et le nom d’une dame (une certaine «Miss V…») à qui je verse chaque semaine une part toujours croissante de ma paie.
Sauf que là, au moment d’écrire, c’est carême. Il s’agit assurément pour vous de la chose la moins agréable à lire, mes scrupules de carême, tandis que vous, veinards, vous êtes présentement en temps pascal. Tout cela parait si loin derrière, n’est-ce pas, maintenant que Jésus est ressuscité? Mais ce qui est passé pour vous est bien présent pour moi. Et la dissonance cognitive – qui me fait osciller entre la poursuite de la tradition des croustilles rédactionnelles et celle du maintien de mon vœu de détox de quarante jours – est bien réelle.
Que faire?
Fouiller dans le droit canon et tenter de débusquer un article sur l’ingestion de chips nature en carême. Rien. La loi de l’Église catholique n’a vraisemblablement pas jugé bon d’interdire la consommation de patates bien minces cuites dans l’huile en temps de pénitence. Simple sursis historique, en attendant que l’Inquisition du Saint-Office légifère en ces nouvelles matières?
Multiplication des lois
Si le code de droit canonique contient 1752 articles et que nul n’est censé ignorer la loi, je suis mal barré.
Commentant la décadence de la Rome antique, Tacite écrivait: «Corruptissima republica plurimae leges» («Plus la République est corrompue, plus les lois sont nombreuses»). Du coup, je retire ma plainte formulée plus haut pour l’emplacement des bibliothèques. Peut-être que nous avons déjà suffisamment de lois!
Inversement, dans la Bible, on part de centaines de prescriptions à une seule loi d’amour. Est-ce à dire que l’Église s’est corrompue en multipliant les règles? Je préfère penser plutôt qu’il s’agit ici de 1752 alinéas d’une seule et même loi.
«Aime et fais ce que tu veux», affirmait Augustin lorsqu’il prêchait à Hippone sur l’épitre de Jean.
«Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara: «Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.» – Mt 23,1-4
La déviance a la cote. Et ça ne date pas d’hier.
Au milieu des années 1990, il ne m’aura fallu qu’une brève récréation de quinze minutes bien comptées – incluant l’enfilade des mitaines en cuirette, tuque à pompon et autre suit de Ski-Doo – pour convaincre mes camarades que nous devions illico manifester contre le joug des lois et règles absurdes dans la cour de récré du primaire, des lois imposées arbitrairement par nos enseignantes.
J’avais eu droit à un recadrage bien senti de mes parents et, sans doute, à la punition d’usage: privation de dessert. Dura lex sed lex. Et pas de Whippet pour les mutins! Fomenter un mini-coup d’État à douze ans méritait bien tel châtiment.
Cinq ans plus tard, suivant mon petit bonhomme de chemin, je m’achetais un magnifique teeshirt rouge arborant l’icône de Che Guevara et une boite de habaneros, les mêmes que fument tant les Castro à béret que les gros bras du Beachclub de Pointe-Calumet.
Multiplication des révolutions
Contrairement aux idées reçues, il me semble que les plus grands révolutionnaires sont bien souvent les législateurs les plus tatillons.
Après avoir fait la révolution – ô paradoxe! –, il faut l’installer.
Ne pensons qu’au fameux Parti révolutionnaire institutionnel (pareil oxymore, ça ne s’invente pas!) qui a régné sur le Mexique durant pratiquement tout le XXe siècle. Ou encore aux nombreux cas de figure soviétiques, où la vigueur de la révolution s’est mutée en armée de fonctionnaires bedonnants et corrompus.
Et que dire de notre révolution tranquille, à quoi a-t-elle abouti, quels sont ses fruits les plus significatifs? L’essayiste québécois Christian Saint-Germain répondrait avec cynisme et désolation que son fruit le plus achevé est sans conteste la mort sur demande, accessible tous les cinq ans à de nouvelles catégories d’une population lasse de vivre. Corruptissima republica…
Après presque dix ans de «révolution permanente» au Verbe, sommes-nous une communauté semper reformanda, en constante remise en question, nous laissons-nous encore déranger par l’Esprit Saint ou sommes-nous installés dans nos manières, nos méthodes, nos habitudes? Surement un peu de tout ça, en fonction de l’heure de la journée à laquelle vous posez la question!
Depuis les révolutions sociales et politiques des années 1960, beaucoup de choses ont changé en mieux dans nos sociétés. Mais pas uniquement en mieux. Le fameux aphorisme de l’humoriste français Jean Yanne, «Il est interdit d’interdire», n’a pas tardé à montrer ses contradictions logiques et sa profonde incompatibilité avec la nature humaine.
Nous sommes des êtres limités. Et de ce fait, nous avons besoin de limites pour bien vivre ensemble, pour devenir un peu plus libres de tout ce qui nous défigure.
Il est interdit d’interdire d’interdire.