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Héros sans cape

Parc du Massif du Sud, mercredi après-midi. Les élèves sont visiblement contents d’avoir terminé leur randonnée. Quelques-uns se sont dépassés et en sont fiers. Mais la plupart râlent et s’épanchent. Ils ont cru mourir, cette activité était une pure torture. Avec mes collègues, on prend ça avec un grain de sel. On sait qu’ils seront nombreux à s’inscrire encore la prochaine fois.

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Le gardien du chalet où nous nous réchauffons nous interpelle. La scène lui rappelle l’époque où il était lui-même intervenant dans une polyvalente. Il nous félicite de persévérer dans le monde de l’éducation: «C’est une vocation! Avant, vous savez, c’étaient des religieuses qui travaillaient dans les écoles et les hôpitaux.»

Un mode de vie

L’enseignement et le soin sont des activités qui mobilisent toutes les dimensions de la personne. La bienveillance et l’empathie sont particulièrement de mise dans ces secteurs où l’on côtoie la vulnérabilité. Ces professionnels se retrouvent, jusqu’à un certain point, dépossédés de leur temps. Parlez-en au préposé qui est de garde la nuit. Eh oui, ça existe! Mon frère en a longtemps été un. Il ne dormait que sur une oreille, dans l’attente qu’un accident de la route l’oblige à se présenter au bloc opératoire. Parlez-en aussi aux enseignants. Tous ceux que je connais consacrent une bonne part de leur temps libre à la préparation des cours et à la correction des travaux.

Si nos hôpitaux et nos écoles fonctionnent encore – et pas aussi mal qu’on le dit –, c’est parce que des individus, surtout des femmes, s’en préoccupent. Ces héroïnes qui ne portent pas de cape récoltent rarement les honneurs. Qu’est-ce qui peut bien les motiver à persévérer dans ces fonctions, souvent au prix de leur propre santé?

La valeur du dévouement

L’éthique du care, ou de la sollicitude, est une approche philosophique qui valorise l’interdépendance et le souci de l’autre. Ce cadre a été développé dans les années 1980 afin d’offrir une réponse à une vision traditionnelle de la morale, généralement fondée sur des principes abstraits. Les théoriciennes du care ont montré comment la prise en compte des besoins de l’autre, tel qu’il se présente à nous dans le réel, pouvait être un moteur légitime de l’acte éthique. Cette perspective, souvent portée par des femmes, tend à être dévalorisée dans la sphère politique. Pour la politologue Joan Tronto, le care, qui englobe bien plus que les soins directs aux individus, contient un potentiel de transformation sociale important.

Au moment d’écrire ces lignes, la grève des travailleurs du secteur public bat son plein. Je navigue entre le collège où je travaille et les urgences où un proche est traité. Pénurie de personnel oblige, ça a pris quelques heures afin qu’il puisse recevoir un calmant. J’ai dû passer quelques heures à le maintenir dans son lit afin d’éviter qu’il tombe et se blesse encore plus gravement.

Dans les journaux, sur Internet, sur les panneaux d’autoroute, je lis: «Nos conditions de travail sont vos conditions de soin.»

J’apprends au même moment que le gouvernement vient d’octroyer une subvention de quelques millions de dollars pour quelques parties de hockey. Tout ça après que les députés de l’Assemblée nationale se sont voté une augmentation salariale de 30 %.

Je maugrée en me remémorant cette parole d’Évangile:

«Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.»

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.