«tout inclus»

Ces ados qui travaillent trop

Sur la route, au retour d’un voyage, je m’arrête dans un McDonald’s pour que ma fille puisse se dégourdir les jambes. Je termine ma crème glacée quand mon regard est attiré par une scène étonnante : un garçon haut comme trois pommes — j’exagère à peine — est en train de nettoyer les tables. Avec son uniforme format mini, il a l’air déguisé pour Halloween. Je n’ose pas lui demander son âge, de crainte qu’il soit atteint d’un retard de croissance quelconque. Je trouve un prétexte pour l’aborder et je me lance : il a treize ans. 

En réalité, ça ne me surprend pas tant que ça : à l’école où je travaille, j’ai déjà eu une élève âgée de quatorze ans employée comme cheffe de quart chez Tim Hortons. Responsable et dynamique, je la savais capable de gérer des adultes. Je lui aurais quand même souhaité, à elle et à ses camarades de classe, de faire autre chose de ses fins de semaine que d’assurer les arrières d’une chaine de fast-food

Une particularité québécoise 

Selon une étude du Centre d’étude des conditions de vie et des besoins de la population (ÉCOBES), la moitié des jeunes du secondaire travaillent durant leurs études. Les élèves de première secondaire aussi : 45,6 % d’entre eux occuperaient un emploi. Ces données ont de quoi surprendre, mais elles ont été corroborées par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et le Réseau réussite Montréal.

Il semblerait que le Québec soit, en Occident, l’endroit où les adolescents travaillent le plus. Plus qu’en Europe, plus qu’aux États-Unis !

Légalement, il n’y a pas d’âge minimum pour travailler. L’employeur doit seulement obtenir une autorisation parentale s’il souhaite embaucher une personne de moins de quatorze ans. Sauf exception, par exemple le gardiennage ou la livraison de journaux, le responsable doit s’assurer que son employé peut être à la maison entre 23 h et 6 h. 

La loi est claire : le travail ne doit pas être un frein à la fréquentation scolaire. Mais rien n’empêche qu’il puisse y nuire. L’horaire d’un élève du secondaire est plutôt chargé. En plus de se présenter en classe du lundi au vendredi, de 9 h à 16 h, l’adolescent doit consacrer plusieurs heures par semaine à ses devoirs et leçons. Ajoutez à cela une quinzaine d’heures de travail, ça fait beaucoup. 

Des besoins de la famille aux besoins du marché 

De par le monde, le travail des personnes mineures est une nécessité, causée le plus souvent par la pauvreté. On va retirer les enfants de l’école afin qu’ils puissent contribuer au revenu familial. Dans ce contexte, l’abolition du travail des enfants est vue comme un progrès pour lequel militent de nombreux pays, notamment le Canada. 

En Occident, avec la pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus d’entreprises dépendent de l’apport des jeunes travailleurs pour fonctionner. Ces derniers y trouvent leur compte en gagnant de quoi se payer des sorties, un forfait cellulaire, des voyages.

Certains affirment que le travail salarié permet aux jeunes de développer leur autonomie, leur sens de l’organisation, voire de favoriser la réussite scolaire. Pour ceux qui ne rayonnent ni en classe, ni sur la glace, ni sur les planches, le fait d’occuper un emploi peut améliorer l’estime de soi. 

S’appauvrir pour s’enrichir 

Cela m’apparait tout de même cher payé en matière de stress et de fatigue. 

Je me souviens d’un autre élève qui portait sur lui le comptoir de charcuteries d’une épicerie. Épuisé, en période d’examens, il aurait préféré rentrer chez lui après l’école. Quand je lui ai suggéré de s’absenter, il m’a répondu, dépité, qu’il ne tolèrerait pas que le service ferme par sa faute. 

Nombreux sont ceux qui ont manqué une activité de bénévolat ou un séjour au monastère pour ne pas déplaire à leur patron. 

J’ai probablement une vision idéalisée de la jeunesse. Pour moi, il s’agit d’une période privilégiée où la personne peut apprendre à se connaitre en vivant toutes sortes d’expériences. 

Le travail, bien sûr, peut en faire partie. 

À condition que ça ne devienne pas le centre de la vie. 

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.