Texte de Valérie Laflamme et photos de Marion Desjardins
(parus dans l’édition printemps 2017 du magazine)
Nous arrivons à la résidence à 16 h 20, fidèles à nos habitudes. Les élèves déambulent à la queue leu leu dans le grand corridor. Il y a deux ans, leur uniforme scolaire attirait l’attention.
Aujourd’hui, ils font partie du décor.
À la salle commune de la résidence pour ainés, je dis un mot d’introduction, pour la forme. Marie-Claire, la responsable des loisirs, m’offre un café. Nous nous installons confortablement et contemplons nos protégés, jeunes et vieux: ils sont en grande conversation et n’ont, de toute évidence, pas besoin de nous.
La majorité des participants au projet Jumel’âge en sont à leur deuxième ou à leur troisième année d’implication. Ils sont une vingtaine d’adolescents pour autant d’ainés engagés à se rencontrer une fois par mois. Au fil du temps, des amitiés authentiques ont émergé de ces réunions arrangées.
Raphaël évoque sa première rencontre avec monsieur Gagnon: «Au début, c’était plus difficile de discuter. Comme on avait la volonté de créer un lien, on a appris à se connaitre.»
Son fils unique résidant en Floride, monsieur Gagnon était très isolé. Raphaël était le seul à pousser son fauteuil roulant jusqu’à la terrasse de Lévis, d’où il aimait admirer le fleuve. Son décès, à l’automne dernier, a été un choc pour son «jumeau».
Afin de rendre hommage à son vieil ami, Raphaël a écrit un poème qu’il a lu devant d’autres résidents: «Ces beaux moments vécus depuis le début ont nourri notre faim jusqu’à la fin.» Malgré le deuil, l’adolescent a accepté un nouveau jumelage: «Je suis capable de passer à travers de ça. Ce n’est pas du temps perdu.»
Je demande à Lauriane ce qu’elle a en commun avec sa jumelle. Elle répond en riant: «Pas grand-chose.» Elle affirme que «sa» personne âgée est «très gentille et ouverte d’esprit, même si elle est très dévouée envers le catholicisme».
La dame avec qui elle est jumelée a immigré depuis la Lituanie durant la Seconde Guerre mondiale. Elle parle toujours sa langue maternelle, en plus de l’anglais. Elle a un vécu intéressant mais difficile, que Lauriane prend soin d’accueillir à chaque rencontre. Une fois, elle lui a fait découvrir Internet: «Je suis allée sur un moteur de recherches et j’ai trouvé des photos de la Lituanie, qu’elle n’avait jamais revue depuis son départ. Pour elle, la Lituanie, c’était très lointain, très ancien. Ça lui a fait un choc de voir ces grands édifices. Elle était très émue.»
Les jeunes participants au Jumel’âge s’entendent tous pour dire que c’est la régularité qui fait la force de ce projet. Ils pensent que, si de telles rencontres étaient organisées dans chaque résidence, cela améliorerait beaucoup la qualité de vie des ainés.
Kim précise: «Ce n’est pas exigeant en termes de temps, parce que c’est une fois par mois. Par contre, c’est tout un engagement. La personne compte sur toi, elle s’attend à ce que tu viennes. Tu dois persévérer. Par amitié. Et par fidélité aussi.»
La rencontre tire à sa fin. Les participants, qui n’ont pas vu le temps passer, se font la bise. À la sortie de la résidence, un père attend son ado. Il me dit, à voix basse, qu’il a été surpris que son grand garçon poursuive ses visites mensuelles. Je dois bien admettre que moi aussi.
Par leur simple présence, les ainés ont enseigné aux élèves à vivre des rapports gratuits et désintéressés.
Aucun programme pédagogique n’aurait été plus efficace.
Cet article est une version numérique de celui publié dans le magazine d’automne, disponible gratuitement ici.