paix durable
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Qui possède les moyens d’une paix durable?

Le 11 novembre chaque année, nous soulignons l’armistice, soit la fin de la Première Guerre mondiale. En faisant mémoire des pertes humaines sans précédent qu’a causées ce conflit, on est parfois tentés de s’astreindre à de pieuses considérations sur le sacrifice encouru par de jeunes militaires partis défendre courageusement la patrie. On méditera sinon l’absurdité de cette guerre en se promettant, la main sur le cœur: «jamais plus». Et pourtant, on se sait aux prises avec nos propres conflits encore aujourd’hui.

Tire-t-on alors les meilleures conclusions de ce véritable suicide civilisationnel?

Contexte historique

Entre 1914 et 1918, c’est un monde qui passe. D’une société d’ordre, essentiellement aristocratique, aux productions artistiques, scientifiques et industrielles sans pareil dans l’histoire de l’humanité, on entre dans un sombre XXe siècle. La guerre sera suivie d’un entre-deux-guerres mu par l’indigence, l’instabilité économique et politique et le ressentiment, facteurs qui concourent à une crise de confiance qui débouchera sur la montée en puissance des idéologies fascistes et communistes.

L’Europe, jusqu’alors si sure d’elle-même, se décompose à vue d’œil alors qu’émerge tant bien que mal une forme de paix armée au début des années 1920, une fausse paix teintée d’orgueil et de rancœur, sur fond de pleurs et de grincements de dents. On peine à comprendre comment une civilisation passe en si peu de temps des sommets aux profondeurs.

Les choses ne sont pas si simples. L’Europe d’avant-guerre s’alimente aux combustibles de l’impérialisme et du nationalisme. Elle est prise au cœur d’une toile diplomatique complexe où se mêlent les accords secrets et les alliances publiques et la course folle aux armements l’insécurise.

Le monde d’hier, malgré ses mérites, est prêt à imploser. Cette préparation au cataclysme, presque une détermination, se vérifie dans les évènements qui ponctuent la guerre elle-même. Quand le bienheureux Charles d’Autriche, successeur de François-Joseph, monte sur le trône, il est le seul chef européen à répondre aux appels à la paix du pape Benoît XV. Charles et Benoît ne seront pas entendus. La guerre a ses raisons que la raison ignore.

La réponse de l’Église

L’une des figures dominantes de l’époque est Pie XI, un pape dont l’importance n’a d’égale que l’indifférence qu’on lui porte aujourd’hui. Si nous connaissons en général peu les grandes figures de l’entre-deux-guerres, on oublie également souvent qu’à cette époque, le Saint-Siège joue un rôle diplomatique encore important et conserve une grande partie du prestige et de l’influence qu’il a perdue aujourd’hui.

Grand artisan de la doctrine sociale de l’Église, homme de caractère qui a confronté avec fermeté la montée des totalitarismes à son époque, Pie XI développe un enseignement particulièrement riche sur le thème de la paix. Devenu pape en 1922 – il exerce l’office pétrinien jusqu’à sa mort en 1939 – Pie XI entame son pontificat par une encyclique programmatique intitulée Ubi arcano Dei consilio, sur la paix du Christ dans le règne de Dieu. Sa devise est d’ailleurs Pax Christi in Regno Christi.

C’est dire que le rejet de Dieu, caractéristique des idéologies modernes, a conduit l’Europe à son autodestruction.

Publiée quelques jours avant Noël, Urbi arcano donne le ton du pontificat de Pie XI, qui constate d’abord qu’à la suite de la guerre et de sa résolution, la paix n’est pas vraiment revenue en Europe: «C’est un fait évident pour tous: ni les individus, ni la société, ni les peuples n’ont encore, après la catastrophe d’une pareille guerre, retrouvé une véritable paix durable; la tranquillité active et féconde que le monde appelle n’est pas encore rétablie.»

Pie XI ne se contente pas de ce constat, mais s’intéresse aussi et surtout aux causes de la crise qui se poursuit. Il les trouve ailleurs que dans des explications savantes, mais en définitive insuffisantes, sur les raisons stratégiques, militaires ou diplomatiques du conflit. Le problème est beaucoup plus profond. Pour Pie XI, «la cause principale» de ces malheurs se trouve «bien avant que la guerre mît l’Europe en feu».

Pas de paix durable hors du Christ

«C’est pour s’être misérablement séparés de Dieu et de Jésus-Christ que de leur bonheur d’autrefois les hommes sont tombés dans cet abime de maux; c’est pour la même raison que sont frappés d’une stérilité à peu près complète tous les programmes qu’ils échafaudent en vue de réparer les pertes et de sauver ce qui reste de tant de ruines», écrit-il. C’est dire que le rejet de Dieu, caractéristique des idéologies modernes, a conduit l’Europe à son autodestruction.

Pour le pape, une paix durable et vraie ne saurait être le fruit exclusif de négociations, de délibérations et de réformes si, dans l’exercice, chacun est d’abord à la recherche de son bien propre, de l’intérêt de sa faction ou de son parti, plutôt qu’à la poursuite du bien commun, et en définitive du plus grand bien.

L’exclusion de l’Église et de la foi de la vie publique et des institutions fondamentales de la société, ayant cours dans nombre de régimes en voie de modernisation qui font progressivement du Christ le simple objet d’une dévotion privée, est pour Pie XI à la racine des désordres qui corrompent alors l’Europe.

Une solennité pour la paix durable: la fête du Christ-Roi

La solution, les plus perspicaces l’auront intuitionnée: «Il apparait ainsi clairement qu’il n’y a de paix du Christ que par le règne du Christ, et que le moyen le plus efficace de travailler au rétablissement de la paix durable est de restaurer le règne du Christ», nous dit Pie XI. Le souverain pontife, qui avait, faut-il le souligner, un brin de suite dans les idées, devait ainsi, par une autre encyclique (Quas primas, 1925) instaurer pour l’Église universelle une nouvelle solennité que nous célébrons encore aujourd’hui: la fête du Christ-Roi.

Si l’on insiste davantage aujourd’hui sur l’orientation eschatologique de cette fête, elle est d’abord un signe de la royauté sociale du Christ, de sa mise au centre, non seulement de la vie individuelle des croyants, mais aussi de la vie sociale et politique de tous les hommes, seul gage de paix sure, certaine et véritable pour l’Europe et le monde. Offerte à l’Église alors que les révolutions politiques se suivent et se ressemblent sur le continent, Quas primas souligne ainsi que le Christ n’est pas roi qu’en un sens métaphorique: «il est de toute évidence que le nom et la puissance de roi doivent être attribués, au sens propre du mot, au Christ dans son humanité».

Il convient en justice d’honorer ceux qui ont combattu pour leurs compatriotes. Il est de même souhaitable de se questionner toujours plus sérieusement sur la réelle nécessité – sur la justification, également – des guerres qui se mènent au moment d’écrire ces lignes. Mais aussi noble et agréable qu’elle puisse paraitre, l’idée que nous ferons la paix de nos propres forces est, doit-on le reconnaitre, plus questionnable que jamais.

Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Toujours prêt à débattre des grandes questions de notre époque, il assume le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés au Verbe médias.