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«No_reply»

J’allais ajouter un couplet à ma tirade contre le dispositif technologique, quand j’ai été saisi d’un soudain scrupule. C’était à propos des messages que nous recevons et dont l’envoyeur se présente avec la mention no_reply. Il y a d’abord cet affreux «tiret bas», appelé aussi «underscore», ignoré de la bonne écriture française et qui ne souligne que le vide. Cela seul suffit à le disqualifier. Mais il ne se contente pas de cette insignifiance, il ajoute que le message n’appelle pas de questionnement ni de dialogue, et que personne, donc, n’en est responsable.

Jeannick Fournier
Cet article est tiré de notre magazine juillet/août 2023.

L’administration dédouane ses ministres: «C’est comme ça que ça fonctionne à présent», s’excusent les fonctionnaires hauts et petits. Il est d’ailleurs très probable que ce message ait été «généré automatiquement». Le concepteur du logiciel est sur un autre projet déjà. Il faudrait interroger la machine, qui fait semblant de parler. No_reply apparait ainsi comme le mot-clé de l’informatique, laquelle contracte justement l’expression «information automatique». C’est l’irresponsabilité qui marche, l’interlocuteur vaincu par l’électrocuteur…

Mais voilà: qu’en est-il de ce texte? Lui aussi vous parle, et cependant je ne suis pas là pour la réplique. Questionnez le papier, vous restez sans réponse. Vous pouvez passer par le courrier des lecteurs, vous enquérir de mon adresse, mais, avec mes dix enfants, Philanthropos que je dirige et les autres textes que j’ai sur le feu (de mes œuvres ne resteront que des cendres), vous pouvez être quasi sûr que j’aurai l’impolitesse de ne pas vous écrire en retour. Peut-être, au reste, que dans l’entretemps de cette publication et de sa rédaction par moi, je serai mort…

L’impersonnel et l’ultra-personnel

Les livres, spécialement les chefs-d’œuvre, c’est aussi du no reply (sans tiret bas). Alors, quelle différence? Elle se manifeste, je crois, dès lors qu’on distingue entre l’impersonnel et l’ultra-personnel. Un grand livre est le fruit d’un recueillement. La personne n’est plus là pour répondre, mais son œuvre n’en est pas moins personnelle. Prenez les Confessions de saint Augustin ou le Zarathoustra de Nietzsche. Ils nous sont adressés sans retour, mais ils réclament de notre part une méditation aussi profonde. Ils ne sont pas impersonnels comme le message no_reply, mais ultra-personnels comme du singulier qui appelle du singulier.

Quand le Verbe se tait, il te rappelle que tu es sa voix.

Allons plus loin: du livre de l’homme à la parole de Dieu. Là encore, le no reply semble de rigueur, et plus radicalement. La Bible nous est envoyée, toutes les lettres de réclamation que nous pourrions rédiger cherchent encore leur poste restante. Bien sûr, vous pouvez essayer avec «Maison pontificale, 00120 Cité du Vatican». Mais il y va en vérité d’un au-delà de l’ultra-personnel. Il y va du personnel transcendant. Dieu ne répond pas, ne répond jamais directement, mais ce n’est pas parce qu’il se comporte en informateur mécanique, en bureaucrate débordé ou en généralissime qui ne requiert que des exécutants. Ses commandements ne sont pas des télécommandes. Ils sollicitent notre intelligence, notre embarras et donc notre inventivité, à la limite de la révolte. Et c’est pour que nous soyons la réponse. Quand le Verbe se tait, il te rappelle que tu es sa voix.

Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj est philosophe et dramaturge. Il dirige l'Institut Philanthropos, à Fribourg, en Suisse.