On allait commencer l’entrevue. Son téléphone sonne. «C’est l’école. Les enfants. Faut que j’réponde. Excuse-moi; je ne voudrais pas te voler du temps d’entrevue…» Jeanick prend l’appel. Je la rassure en lui disant que j’en ai six, ça fait que…
Elle rit. Elle répond à la directrice. Appelle la gardienne. Rappelle à l’école. Texte la gardienne. Texte l’école. J’ai devant moi la grande gagnante du giga concours télévisé Canada’s Got Talent, mais c’est juste une femme et juste une mère de famille que je vois.
Le Verbe: Tu as souvent dit que tes enfants t’aidaient à garder les deux pieds sur terre. J’allais te demander comment… J’ai ma réponse!
Jeanick Fournier: C’est-tu assez sur terre pour toi, ça? Ha! ha! ha! Y a rien qui n’arrive pour rien! J’ai eu plein d’entrevues depuis ce matin… fallait que ça arrive devant une mère de six enfants. Moi, j’aurais aimé en avoir quatre, tu sais.
Pourquoi avoir adopté deux enfants trisomiques? C’est spécial quand même. Est-ce que tu penses que c’était un appel de Dieu?
Je pense que oui. Je fréquentais Richard à cette époque. Son frère Jocelyn, qui avait adopté cinq enfants par l’intermédiaire de l’Association Emmanuel, est arrivé un jour avec un beau bébé trisomique. Il s’appelait François. J’avais travaillé avec des adultes trisomiques, mais je n’avais jamais vu de bébé. Eh bien, je suis tombée en amour avec François! C’est monté en moi clairement: je désirais un bébé trisomique. Richard était d’accord. On savait ce que ça représentait comme responsabilité. Quelques mois plus tard, on adoptait Yohan, âgé de trois mois, et quatre ans plus tard Emma, à cinq semaines. Les enfants ont aujourd’hui 13 et 9 ans. Malheureusement, Richard et moi, on a dû se quitter, mais il est demeuré un père aimant et attentif. Il est décédé du diabète, il y a peu de temps.
Je suis stérile. Jamais je n’aurais pensé avoir deux beaux enfants comme ça! Quel cadeau que de les accueillir et de vivre avec eux! Ils me font grandir et m’apprennent à aimer.
Je ne crains plus pour eux, pour leur avenir. Maintenant, je sais que j’ai une belle carrière. J’ai été capable de mettre des sous de côté… Et j’ai trouvé une personne extraordinaire qui m’a assuré qu’elle prendrait soin de mes enfants si je m’en allais. (Elle essuie une larme.)
Tu veux parler de ta fameuse gardienne?
Ce n’est pas juste une gardienne – c’est une perle, un trésor. Un cadeau du Ciel! Ma merveilleuse Meggie! C’est la deuxième maman de mes trésors. Ils l’appellent «Mameggie»… Ça, c’est un cadeau de Dieu.
Entre toi et moi, tu sais, quand j’ai gagné mon Golden Buzzer [NDLR : le laissez-passer pour les demi-finales du concours Canada’s Got Talent], j’ai dit à Dieu: «Tu me fais gagner, il faut que tu m’envoies quelqu’un! Toute seule, je ne pourrais pas continuer!»
Les enfants fréquentaient une maison de répit où travaillait Meggie. Eh bien, deux jours après ma prière, Meggie m’a appelée et m’a dit: «Madame Fournier, je pense qu’avec ce que vous vivez, vous allez avoir besoin de quelqu’un. Je suis là pour vous aider, moi!» J’ai dit à Dieu: «Je ne pensais pas que tu répondrais si vite!»
Et voilà! Pop! Un cadeau du Ciel! Depuis aout 2022, Meggie habite chez moi. Elle est comme ma fille, mon amie… Mais il faut que je prenne soin d’elle; elle aussi, elle est un cœur sur deux pattes qui veut sauver tout le monde. Je connais ça!
Je t’ai souvent entendu dire que tu étais «une sauveuse». C’est ce que tu veux dire?
Exactement. J’ai grandi avec une petite sœur qui vivait avec une déficience intellectuelle importante. Je me suis occupée d’elle toute ma vie. Quand elle est décédée, il y a six ans, c’était comme si mon propre enfant était mort. J’ai étouffé mon ressenti, mes émotions, toute ma vie pour que les autres soient bien: ma sœur, ma mère, mon père… Je ne voudrais pas que Meggie fasse la même chose.
En même temps, j’ai l’impression que c’est tout ça qui a forgé la femme que tu es. Notamment, le fait d’avoir perdu ton père très jeune.
Ah oui! C’est cette épreuve qui m’a amenée à travailler auprès des gens en fin de vie. Mais j’avoue que j’ai été fâchée contre Dieu pendant un bon bout. J’ai même perdu la foi. Je me disais que mon père était trop jeune pour mourir. Il n’avait que 47 ans! À cette époque, ma relation avec lui était conflictuelle. C’était un homme intransigeant, et moi, j’étais dans une période de rébellion.
J’avais lâché les études pour chanter dans les bars. Je te dis que mon père n’aimait pas ça – il était professeur, tu comprends. «Tu ne passeras pas ta vie à chanter dans les bars! Tu vas retourner à l’école!» qu’il me disait.
Malgré tout, j’allais le voir le plus souvent possible. C’était à la Maison Colombe-Veilleux, à Dolbeau-Mistassini, en face de chez ma mère. Il y avait une belle ambiance, chaleureuse, calme. C’était familial. Pas beaucoup de patients. On pouvait prendre notre temps.
C’est là que tu as ressenti cet appel pour les soins palliatifs?
Oui! J’avais laissé mes études en éducation spécialisée au cégep, alors j’y suis retournée quelques années plus tard. Comme «sauveuse de famille», je voulais sauver la mienne, et toutes les familles qui avaient un enfant différent.
Je chantais à temps plein partout au Québec, mais je me disais qu’un jour, j’allais travailler dans ce domaine-là. J’avais soif de cette proximité. Le bien. Le calme. Le cœur de l’être humain. J’avais besoin de vivre ça. Avec les années, j’ai acquis ce qu’il fallait intérieurement pour accompagner ces personnes.
Même si tu ne travailles plus en soins palliatifs, dirais-tu que c’est la même mission, mais qui se poursuit différemment?
Oui, parce que ma mission, c’est de donner du bonheur aux gens en chantant. Pendant 17 ans aux soins palliatifs, c’était ça. Et ça l’est encore aujourd’hui, mais à plus grande échelle. Après ma victoire au Canada’s Got Talent, puis mon deuxième album qui vient de sortir, la mission s’élargit. Je récolte des centaines de témoignages, que ce soit dans la rue, sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Des gens qui me remercient de leur faire du bien.
La vie, c’est là! Maintenant! Pendant qu’on se parle.
Un jour, on va partir… sans argent, sans rien.
Juste avec l’amour qu’on a eu et qu’on a donné.
Je ne pensais pas gagner, moi! Tout ce que je voulais, c’était passer à la télé afin de continuer à promouvoir mes chansons comme je le faisais avant, juste un p’tit coup de pouce pour assurer un meilleur avenir à mes enfants. C’est tout ce que j’avais demandé à Dieu. Mais il a décidé d’en donner plus! Et je peux te dire que j’apprends à être pas mal plus à l’écoute de ses réponses et de ses signes.
Ma voix est un cadeau du Ciel. Que ce soit sur scène ou aux soins palliatifs, quand je chante, il se passe quelque chose entre moi et les autres. Je suis comme un canal. Dieu m’a mis sur la terre pour faire du bien, et aussi pour montrer que, peu importe l’âge qu’on a, on peut réaliser nos rêves, pour montrer aussi que c’est beau, la différence.
Tu es une femme qui savoure chaque instant et chaque évènement qui se présente. Je me trompe?
J’ai toujours été comme ça. Enfin, non. Pas toujours, j’ai appris. Ça a commencé avec ma sœur. Puis, surtout avec mes patients en soins palliatifs. Et encore plus avec mes enfants.
La vie, c’est là! Maintenant! Pendant qu’on se parle. Un jour, on va partir… sans argent, sans rien. Juste avec l’amour qu’on a eu et qu’on a donné.
Et pour l’avenir?
J’ai un agenda rempli, mais ma priorité, ce sont mes enfants. Je prends ça une journée à la fois. Je regarde l’agenda une semaine à l’avance, pas plus. Sinon, je vais virer folle.
La seule chose que je demande à Dieu, c’est d’être entourée de bonnes personnes. C’est un milieu où l’on peut facilement tomber dans la fausseté. Il faut discerner souvent.
Parfois, c’est difficile avec les enfants, mais je me suis promis dans ma vie de ne jamais être découragée plus de 24 heures. Je me permets d’être découragée, et après je me requinque en chantant!
Je dis merci pour tout. Je rends grâce. Dans tous mes gestes et mes regards. Dans l’écoute surtout. Comme tout à l’heure en sortant de l’ascenseur. Une dame m’a reconnue. Je l’ai saluée et elle m’a dit que son amie lui avait envoyé la vidéo de mon Golden Buzzer. Je sentais qu’elle voulait se confier. Elle était ici pour accompagner des amis endeuillés. On s’est mises à parler de deuil. Elle a pleuré dans mes bras. C’est ça. C’est comme ça.
C’est ma prière, comme au temps où je fréquentais les Franciscaines de Marie, celles qui m’ont appris à chanter et qui m’ont offert ma première scène, à l’église, en chantant La paix sur terre. J’avais dix ans. Elles me disaient: «Chanter, c’est prier deux fois plus fort! Alors, chante fort, Jeanick!» C’est ce que je fais encore. Je chante. Je chante fort.
Son deuxième album, Vivante, est sorti le 19 mai 2023.
Photo : Avec l’autorisation d’Universal Music Group