Dans son livre Miracles, l’auteur britannique C.S. Lewis défend la plausibilité des miracles chrétiens d’une façon qui pourrait en étonner plus d’un. En effet, au lieu d’évaluer les miracles selon ce qu’on connait de la nature, il essaie plutôt de voir si les miracles chrétiens peuvent éclairer le monde naturel.
Ça peut sembler contrintuitif à première vue, mais c’est une stratégie analogue à celle que l’on emploie pour juger de la plausibilité de théories révolutionnaires. C’est ce qui s’est passé, par exemple, avec la théorie gravitationnelle de Newton.
Parce que sa théorie fonctionne extrêmement bien, on oublie que Newton a été ridiculisé quand il l’a proposée. À l’époque, à peu près tous les scientifiques étaient mécanistes: ils croyaient que tout phénomène physique était ultimement explicable en termes de contacts mécaniques. Alors, quand Newton a introduit la gravité comme une force qui s’exerce à distance, sans contact mécanique, on l’a perçu comme un charlatan, un penseur occulte.
Si la situation a changé, c’est que la théorie de Newton était ultimement plus performante que les théories compétitrices. En introduisant la gravité, aussi étrange que soit cette idée initialement, Newton parvenait à expliquer plus de phénomènes et à faire moins d’erreurs que les autres.
L’Incarnation
C’est aussi ce qui se produit si l’on s’attarde au miracle central du christianisme, c’est-à-dire l’Incarnation.
Il s’agit de l’histoire du mariage du monde avec Dieu: la divinité de Jésus descend sur terre, et ce, jusque dans la mort, afin que son humanité monte jusque dans les cieux, et avec lui, la création entière. Cette union de l’infini avec le fini, de l’invisible avec le visible, de la simplicité avec la multiplicité, peut paraitre invraisemblable à première vue. Or, si on l’accepte, Lewis remarque que la nature entière devient plus intelligible.
Pour commencer, on peut réaliser que chaque fois qu’on raisonne, quelque chose de presque aussi incroyable se produit. Pour faire des mathématiques, par exemple, il faut manipuler des entités abstraites non spatiotemporelles. Le théorème de Pythagore était vrai avant d’être découvert, et il demeurerait vrai si tous les humains périssaient. Tout l’univers matériel pourrait même disparaitre, ou n’avoir jamais existé, et le théorème demeurerait vrai.
Mais nous sommes des humains, des créatures finies avec des corps de chair, qui réfléchissons avec des cerveaux où se produit une multitude de réactions biochimiques enchevêtrées dans le temps et l’espace. Donc, quand des vérités abstraites comme le théorème de Pythagore occupent nos pensées, il se crée un pont mystérieux entre ces vérités non spatiotemporelles et nos processus biochimiques spatiotemporels!
L’existence de ce pont dans l’homme est certes incroyable, mais elle est rendue plus compréhensible si on la perçoit à l’image de l’Incarnation, où Dieu lui-même, auteur de l’univers immatériel et matériel, devient matériel. Le monde est fait pour accueillir Dieu.
Création
En général, si nous laissons l’Incarnation nous ouvrir les yeux, nous constatons que Dieu accomplit déjà des merveilles à grande échelle dans la nature actuelle.
C’est incroyable que l’univers ait été créé lors du bigbang, à partir de rien, et c’est étonnant qu’il continue d’exister. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? On peut répondre en regardant la création du monde comme une image du miracle de l’Incarnation. L’univers a été créé sans violence, gratuitement et à partir de rien parce que, avant tout, Jésus a pris chair virginalement, à partir de rien.
C’est incroyable que la vie se multiplie. Végétaux comme animaux naissent, se reproduisent et meurent en laissant leur place aux prochaines générations. Et plus on étudie la biologie, plus on est impressionné par la complexité des processus impliqués. Alors, quand Jésus multiplie rapidement le pain et les poissons, nous sommes étonnés, mais nous reconnaissons l’auteur de la nature, qui vient faire en un instant ce qu’il fait déjà, plus tranquillement, chaque année.
Dans l’Incarnation, l’auteur de la nature vient récapituler dramatiquement,
à l’échelle humaine, les structures actuelles de la nature.
On comprend aussi mieux pourquoi l’effet placébo existe. C’est très surprenant, quand on y pense, qu’il soit possible de guérir de migraines chroniques, par exemple, parce qu’un médecin nous prescrit de la simple farine en nous disant qu’il s’agit d’un remède. Mais si l’on se rappelle qu’il fallait un peu de foi chez ses interlocuteurs pour que Jésus fasse des guérisons miraculeuses, c’est moins étonnant.
Il serait possible de donner bien d’autres exemples. Mais l’idée est que, dans l’Incarnation, le créateur de la nature vient récapituler dramatiquement, à l’échelle humaine, les structures actuelles de la nature.
Nouvelle création
Mais dans ses miracles, Jésus ne visait pas simplement qu’à rappeler et éclairer la nature actuelle, il voulait transfigurer la création, y inaugurer de nouveaux cieux et une nouvelle terre. Au fur et à mesure que le ministère terrestre du Christ avançait, il accomplissait plus de miracles spectaculaires de ce type, étendant le règne de l’esprit humain sur la nature.
Marcher sur l’eau est un exemple évident de la refonte du monde naturel selon des réalités nouvelles et supérieures. Non seulement le corps humain obéit à l’esprit humain, mais l’eau aussi ! Le Christ permet même à Pierre de l’y suivre, pour un moment, entrainant non seulement l’eau, mais même l’humanité dans la nouvelle création.
De même, en ramenant des morts à la vie, le Christ inverse le cours normal de la nature, où vieillissement et maladie séparent progressivement l’esprit de la matière. Il inaugure tranquillement un monde où esprit et corps seront réunis à jamais.
Mais le miracle le plus clair de la nouvelle création est bien sûr Pâques, la Résurrection du Christ. Non seulement Pâques inverse le cours normal de la nature comme dans les autres récits de résurrection, mais le corps du Christ ressuscité est glorieux. Il n’est pas contraint comme nos corps actuels par des limitations physiques telles que les distances ou les murs. C’est le commencement d’un monde où le pont entre l’esprit et la matière est beaucoup plus fort que dans la présente création.
Ainsi, par ses miracles, notamment l’Incarnation et la Résurrection, Dieu vient non seulement récapituler la nature actuelle, il la transforme en une création nouvelle.