Comme la plupart des femmes, j’ai déjà pensé à ce que je ferais s’il m’arrivait d’être enceinte. À l’aube de la vingtaine, j’aurais vécu une grossesse non planifiée comme une tragédie et aurais possiblement choisi d’avorter.
Aujourd’hui mère, je suis convaincue que l’enfant que j’ai porté constituait, dès sa conception, une vie humaine que je devais protéger.
On dira que cette idée est fondée sur des croyances religieuses plutôt que sur la science. Cependant, l’histoire nous montre comment le statut de personne a pu être octroyé, ou refusé, en fonction de l’ethnie, du sexe, de l’état de santé… ou de l’âge.
Un cœur qui bat
Malgré ces considérations, la révocation de l’arrêt Roe c. Wade m’a laissé un gout amer. Je me méfie des gens qui se préoccupent des battements de cœur des fœtus, mais pas de ceux des migrants, des détenus, des itinérants. Une portion marginale mais bruyante de ces militants semble être motivée davantage par le mépris des femmes que par le souci de protéger ce qui est petit et faible. De la vulnérabilité, ils ont horreur.
Le mouvement pro-vie québécois est noyauté par des personnages désireux de rendre toute chose «great again». Sur la plateforme Lux Media, qui diffuse des contenus du mouvement Campagne Québec-Vie, le podcasteur Yann Roshdy a soutenu que l’interdiction de l’avortement entrainerait un retour aux «valeurs familiales» et aux «valeurs anti fragiles» qu’il assimile à tort aux valeurs chrétiennes.
Dans ce contexte, la doctrine de l’Église est travestie afin de promouvoir un ordre social qui a peu à voir avec le christianisme. L’homme-Dieu des Évangiles a accepté sa propre fragilité et nous invite à faire de même. On n’accueille pas un enfant pour faire de lui le porte-étendard des «vraies valeurs», mais parce qu’il est présent, qu’il vit et a besoin de nous, tout simplement.
Toute la vie
Dans la même vidéo, devenue virale, le youtubeur André Pitre renchérit qu’il suffit aux femmes de «décarquiller les jambes» pour éviter une grossesse. Il raille: «If you can’t do the time, don’t do the crime.» Devenir enceinte s’apparente ici à une punition censée ramener les «mauvaises filles» dans le droit chemin. À travers le monde, la grande majorité des femmes qui avortent sont pourtant mariées.
Paradoxalement, on traitera d’irresponsable celle qui a le courage de donner naissance au «mauvais moment». À André Pitre, je réponds donc: «Damned if you do, damned if you don’t.»
Nous vivons dans une société qui hypersexualise les femmes tout en occultant leur fertilité. Or, ce n’est pas en instrumentalisant la vie des femmes et des enfants qu’elles portent qu’on verra éclore la «culture de vie» annoncée par l’Église.