Mélanie Lachance

L’aide médicale à mourir, un acte courageux?

Avez-vous entendu parler de la Fée Orange ? Partout dans les médias — La Presse, Radio-Canada, TVA, Le Devoir —, on raconte son histoire. L’humoriste Sam Breton a enregistré quatre heures de balado avec elle, et YouTube rapporte plus de 150 000 visionnements. Quant à Louis Morissette, il promet un film ou une série.

De qui parle-t-on ? De Mélanie Lachance, une mère de 42 ans décédée le 13 janvier 2024. Avant sa mort, et les mois qui l’ont précédée, elle était inconnue du grand public. Que lui vaut maintenant une telle renommée ? Comment expliquer que, le jour de sa mort, plus d’une centaine de personnes se soient réunies en Beauce pour une envolée de ballons orange en son honneur ?

Le choix de l’aide médicale à mourir

L’histoire de Mélanie Lachance commence bien avant le 13 janvier 2024. À 26 ans, la photographe reçoit un diagnostic de cancer des ovaires. Elle guérit et entre en rémission. Cependant, plus d’une décennie plus tard, la même souche cancéreuse revient une première fois, puis une seconde fois. Rien n’y fait. Les traitements ne fonctionnent pas. L’inévitable se dessine : Mélanie va mourir.

Seule, elle prend donc la décision de recevoir l’aide médicale à mourir. Car elle refuse de perdre un jour son autonomie, de souffrir dans un lit et de dépendre de ses deux filles.

La date de sa mort déterminée, elle se sent libre de vivre l’année de ses rêves : voyages, spectacles, restaurants, etc. « Tous les jours sont samedi », se plait-elle à répéter.

Partout, on salue sa sagesse, sa joie et, surtout, son courage. Elle devient une source d’inspiration. Le surnom de photographe qu’elle s’est donnée, « Fée Orange », alimente le mythe : on voit en elle une créature presque magique.

Qu’est-ce que le courage ?

J’ai observé cette histoire avec grand étonnement. Depuis quand le refus de la souffrance s’appelle-t-il « courage » ? Pourquoi se suicider ne serait-il pas parfois courageux ? Le courage ne consiste-t-il pas à affronter le plus grand des dangers, soit celui de la mort ?

Certes, pour les philosophes antiques tels Aristote, le courage se définit comme la force rendant capable d’affronter les douleurs et les dangers, dont la mort est effectivement le paroxysme. Or, le courage implique toujours d’affronter la souffrance en vue d’un plus grand bien.  

Par exemple, n’est pas courageux celui qui risque sa vie pour obtenir des « vues » sur YouTube  : la souffrance qu’il choisit ne vaut pas le bien qu’il récolte. Au contraire, mérite la médaille du courage le soldat qui affronte la mort sur un champ de bataille, et ce, pour le bien de sa patrie et de sa famille.

Dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit donc de déterminer si accepter les souffrances possibles d’une mort naturelle procure un plus grand bien. Est-ce alors plus courageux que de fuir ses souffrances en recourant à l’aide médicale à mourir ? Ou doit-on croire, au contraire, plus raisonnable et courageux de devancer l’inévitable ?

Possède-t-on sa vie ?

Reprenons la comparaison de la guerre. Imaginons deux soldats coincés devant l’ennemi, plus fort et plus nombreux, qui vaincra sans aucun doute. Pour les soldats, c’est la mort imminente. Le premier capitule et décide de s’enlever la vie. Pourquoi attendre et souffrir inutilement ? Le second, lui, serre les dents et avance : « Pour la patrie ! » Et il meurt sous les coups de l’ennemi.

Lequel des deux soldats vous semble courageux ? Probablement le second. Mais le déterminer clairement demande d’abord de discerner lequel atteint un plus grand bien. L’un obtient le « confort » et l’absence de souffrances ; l’autre conserve sa fidélité à son armée, à sa patrie et à sa famille. Il offre aux autres un modèle de persévérance dans le combat et donne sa vie jusqu’au bout. Il témoigne que les souffrances et les difficultés ne rendent pas la vie absurde.

Ce tableau illustre deux conceptions de la vie humaine : un individu possède-t-il sa vie, ou celle-ci appartient-elle, du moins partiellement, à un tout plus grand, soit à une famille, à une société et, éventuellement, à Dieu ?

Cette image distingue également la personne qui reçoit l’aide médicale à mourir, comme Mélanie Lachance, de celle qui meurt naturellement, comme Karl Tremblay. D’ailleurs, Mélanie le répétait souvent : c’était son choix et sa mort. Personne n’avait son mot à dire.

Quant à lui, Karl Tremblay aurait promis sur son lit de mort : « Je vais endurer ça jusqu’au bout, Marie, pour mes deux filles. » Et pour sa conjointe, la mort de Karl témoigne d’un grand courage : « Les dernières semaines, ça s’est passé très rapidement. Il a enduré des douleurs, des souffrances atroces, insupportables pour un corps humain, pour rester avec nous le plus longtemps possible. C’était un roc, jamais il ne se plaignait. »

Et nous, que ferons-nous à l’heure de notre mort ? Demeurerons-nous fidèles jusqu’à la fin?

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.