mer Morte
Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

La mer Morte se meurt

Située à la frontière entre Israël, la Cisjordanie et la Jordanie, la mer Morte est un incontournable du Proche-Orient. Reconnue à la fois pour les évènements bibliques qui se sont produits sur ses rives, son altitude, sa salinité et les manuscrits du même nom, elle est cependant aujourd’hui menacée de disparition. Histoire et destin d’une mer très singulière.

La mer Morte est l’un des joyaux de la Terre Sainte. Sa vision surprend toujours le voyageur, tant elle semble surgir de nulle part au milieu du désert. Côté Jordanien, elle est surplombée par le mont Nébo où est mort le prophète Moïse après avoir eu la vision de la terre promise. C’est également sur sa rive orientale, à Machéronte, que Jean le Baptiste, saint patron des Canadiens français, aurait été emprisonné et exécuté.

Elle est devenue très célèbre dans les années 1950, après la découverte des manuscrits du même nom dans une grotte située à Qumran, sur sa rive occidentale. Ces manuscrits, qui constituent désormais les plus anciennes traces écrites de l’Ancien Testament, ont relancé l’intérêt pour cette mer très particulière.

Dans l’Ancien Testament justement, la mer Morte est mentionnée sous l’appellation de « Mer de sel ». Sa salinité dix fois supérieure à celle des principaux océans du globe rend ses eaux impropres à la vie, mais attire les foules, car sa densité permet aux baigneurs de flotter sans effort à sa surface. Ses sels auraient également de nombreux bienfaits pour la peau et sont très prisés par les touristes.

De plus, ses rives ne sont pas situées au niveau de la mer, mais 400 mètres en deçà, ce qui empêche son eau de s’écouler vers la mer Rouge. Étant donné la faible pluviométrie, son niveau dépend de deux facteurs : le débit du Jourdain, son principal affluent, et le taux d’évaporation des eaux très élevé dans cette région aride. Ces deux facteurs se compensant naturellement, le niveau d’eau est resté stable pendant très longtemps.

Un équilibre chamboulé

Le destin de la mer Morte a cependant basculé dans les années 1960. À cette époque, le nouvel État d’Israël, en plein développement, a lancé un projet d’agriculture en plein désert. Une partie de l’eau du Jourdain a été déviée pour l’irrigation et le débit du fleuve est ainsi passé de 1300 mètres cubes par seconde en 1960 à 300 en 2000.

Le visage de la rivière du Jourdain a alors complètement changé. Ce n’est plus le grand fleuve dont Josué avait dû écarter les eaux pour permettre au peuple juif d’entrer dans la Terre Promise ni celui dans lequel Jésus et les premiers chrétiens ont été baptisés. En se rendant sur le site du baptême du Christ, où de nombreux pèlerins reçoivent encore le sacrement de nos jours, on peut constater qu’il s’agit désormais d’un petit cours d’eau à l’aspect boueux, comme on peut le voir sur cette photo.

Comme on pouvait s’y attendre, cette réduction drastique du débit a perturbé le fragile équilibre entre apport d’eau et évaporation dans la mer Morte. En 50 ans, celle-ci a perdu près de 30 % de sa profondeur et un tiers de sa superficie. En se promenant sur le rivage, on aperçoit les différents paliers indiquant le recul progressif de l’eau au cours des années.

Devant cette situation, les pays riverains de la mer Morte ont tenu des rencontres au début des années 2000 pour trouver une solution. Avec l’appui de la Banque Mondiale, ils ont convenu de construire un réseau d’oléoducs permettant d’alimenter la mer Morte grâce à la mer Rouge. Un accord de principe a suivi en 2013, mais faute de volonté politique suffisante, celui-ci est resté sans effet et la mer Morte continue de reculer. À ce rythme, elle aura complètement disparu à la fin du siècle.

Ce n’est pas sans rappeler la Mer d’Aral en Asie centrale, reconnue comme l’une des plus importantes catastrophes environnementales du XXe siècle. Ces situations remettent en question le rapport que l’être humain entretient avec la nature.

Le pape François le rappelle dans son encyclique Laudato si : le récit de la Genèse n’autorise pas l’être humain à dominer la nature de façon inconsidérée, mais l’invite plutôt à une gestion saine et responsable. Et si l’urgence de sauver la mer Morte ralliait les pays riverains autour d’un projet commun et scellait d’un même coup des accords de paix durable?

Photos : Courtoisie de Romain Martiny

Romain Martiny

Romain est professeur en sciences au collégial.