COP28
Montage photo: Judith Renauld/Le Verbe

COP28: abandonner les énergies fossiles sans changer nos modes de vie?

Après 13 jours de travail, suivis d’une dernière nuit de négociations acharnées, un nouvel accord mondial de lutte contre les changements climatiques a finalement été adopté à la 28e Conférence des Parties des Nations unies (COP28). Si cet engagement est louable, est-il par contre réalisable?

L’accord de Dubaï reconnait la nécessité de réduire « rapidement, profondément et de façon soutenue les émissions » de gaz à effet de serre (GES) afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, et appelle les états à « effectuer une transition hors » des énergies fossiles.

Cet engagement renouvelé pour la préservation de notre maison commune est réjouissant, car il montre que les états peuvent s’entendre sur des objectifs communs toujours plus audacieux, malgré de grandes différences économiques, idéologiques et culturelles.

Cependant, selon le pape François, il n’y aura probablement pas de réduction profonde de l’utilisation des combustibles fossiles sans une éducation « à des modes de vie moins dépendants de ces derniers ». Des modes de vie qui ne peuvent survenir que si nous vivons une conversion écologique intégrale, qui implique « une croissance par la sobriété ». 

Petit tour d’horizon de ce qui a distingué la COP28 des précédentes, et des changements spirituels nécessaires pour que ces nouveaux engagements ne restent pas lettre morte.

Un sentiment d’urgence

En 1992, des dizaines de pays se sont réunis à Rio de Janeiro pour signer la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ces « Parties », aujourd’hui au nombre de 198, se réunissent chaque année afin de discuter de moyens concrets pour combattre les changements climatiques et s’y adapter.

En 2015, les Parties ont signé à Paris un accord historique visant à limiter le réchauffement à 1,5°C, ce qui implique une réduction de 43% des émissions mondiales de GES d’ici 2030, puis de 60% d’ici 2035. 

Cependant, cet objectif n’est pas du tout en voie d’être atteint. 

La réduction des émissions n’a été que de 2% dans les dernières années, et la température mondiale a déjà augmenté d’1,2°C, causant des évènements climatiques extrêmes. Les conséquences sociales et environnementales sont très concrètes : des habitats disparaissent avec l’acidification des océans, l’espérance de vie diminue à cause des vagues de chaleur et de la mauvaise qualité de l’air, l’accès à l’eau potable et à la nourriture s’amenuisent régionalement, et des populations entières sont déplacées suite aux feux, aux inondations et à la montée des eaux.

Plaidoyer pour une réponse audacieuse

Face à cette situation de plus en plus préoccupante, la seule issue viable pour l’humanité semble une réponse audacieuse, unie et rapide. Selon Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2015 à 2023, « toutes les trajectoires compatibles avec l’accord de Paris demandent une baisse rapide et tenace de l’utilisation des différentes énergies fossiles cette décennie et les prochaines ».

C’est aussi ce que conclut le Bilan mondial, un exercice évaluant les efforts mondiaux dont les premiers résultats ont été publiés cette année.

Cette conviction qu’il faut une réponse ambitieuse est partagée par la majorité des Parties de la COP28. L’accord de Dubaï base d’ailleurs ses déclarations sur le Bilan mondial, et propose diverses mesures concrètes afin de réduire les émissions et de soutenir l’adaptation aux changements climatiques. 

Les solutions proposées par la COP28

L’accord de Dubaï propose de tripler la production mondiale d’énergies renouvelables, de réduire l’utilisation du charbon et de procéder à une transition hors des énergies fossiles. C’est la première fois que les Parties reconnaissent que notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon ne peut perdurer. 

Un autre grand volet de l’accord concerne le financement. Les Émirats arabes unis ont annoncé la création d’un fond privé de 30 milliards de dollars qui vise à « faire avancer les efforts internationaux pour créer une finance climat plus juste, avec une emphase sur l’amélioration de l’accès au financement pour les pays du Sud ». Le fonds international sur les pertes et préjudices, créé lors de la COP27 de Charm-el-Cheikh, est également devenu opérationnel à la COP28. Il permettra des transferts financiers entre les pays développés qui ont le plus contribué aux changements climatiques vers les pays en développement qui en souffrent le plus. Les montants alloués, les contributeurs et les bénéficiaires de ce fonds restent encore à définir, mais il s’agit d’un premier pas pour une plus grande justice climatique.

Les efforts ne peuvent cependant pas se limiter à des solutions techniques ou financières. L’accord de Dubaï note effectivement « l’importance de procéder à une transition vers des modes de vie, de consommation et de production durables ». Mais cette petite déclaration n’est pas accompagnée d’exemples ou d’engagements concrets, et encore moins d’une remise en question de notre vision de l’environnement. 

Or, selon le pape François, lutter et s’adapter ensemble nécessite de changer notre façon de vivre, en adoptant des styles de vie sobres et fraternels. Les religions sont aussi appelées à « éduquer à la contemplation, car la création n’est pas seulement un système à préserver, mais un don à accueillir ». 

« Le drame climatique est aussi un drame religieux »

Plusieurs leadeurs religieux étaient présents à la COP28, et un Pavillon de la foi a même été inauguré. La spiritualité a en effet un rôle immense à jouer pour qu’adviennent des changements réalistes et durables.

Selon le pape François, « le changement climatique est l’un des principaux défis auxquels la société et la communauté mondiale sont confrontées » qui affecte surtout « les personnes les plus vulnérables ». Sa lettre encyclique Laudato si, parue en 2015, a eu l’effet d’une petite bombe à l’intérieur mais aussi en dehors de l’Église. Des effets que le pape juge cependant bien insuffisants. 

En 2023, le pape a réitéré l’urgence d’agir dans l’exhortation apostolique Laudate deum, car « le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. (…) Dans une telle éventualité, nous serons toujours en retard, car aucune intervention ne pourra arrêter le processus déjà commencé. (…) Il ne nous est rien demandé de plus qu’une certaine responsabilité face à l’héritage que nous laisserons de notre passage en ce monde. »

« Une responsabilité face à un héritage » : un choix de mots qui n’est pas anodin. Pour prendre soin de notre maison commune, il faut d’abord reconnaitre que nous en sommes des héritiers. 

Le pape a renouvelé cet appel à l’humilité lors de l’inauguration du Pavillon de la foi de la COP28. « Le drame climatique est aussi un drame religieux : parce qu’il trouve sa source dans la présomption d’autosuffisance de la créature ». Or, « les religions, consciences de l’humanité, rappellent que nous sommes des créatures ». Sans transcendance, il ne peut pas y avoir de changement durable pour la protection de notre maison et pour la paix.

De l’exploitation à la relation

Cette humilité devant ce qui nous est donné gratuitement est un premier pas vers une conversion écologique intégrale ; vers une « attitude du cœur, qui vit tout avec une attention sereine, qui sait être pleinement présent à quelqu’un sans penser à ce qui vient après, qui se livre à tout moment comme un don divin qui doit être pleinement vécu ». Cette attitude peut se traduire aussi par une plus grande sobriété de vie, par un « retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas ». C’est quitter l’exploitation négligente de la nature et des personnes, pour entrer dans la joie de la relation. 

Cette vision est bien lointaine de celle que nous offre Dubaï, avec ses tours de Babel, ses jetcars et ses iles artificielles. Cette vision intégrale implique une conversion individuelle, mais qui peut aussi devenir une conversion collective, si on en fait un modèle à suivre et à transmettre. N’attendons pas la COP29 pour l’adopter.

Ariane Beauféray

Ariane Beauféray est doctorante en aménagement du territoire et développement régional. Elle s’intéresse à l’écologie intégrale et met au point de nouveaux outils pour aider la prise de décision dans ce domaine. Collaboratrice de la première heure, elle est désormais membre permanente de l’équipe de journalistes du Verbe médias.