La conversion écologique mise de l’avant par le pape François peut être vécue comme un chemin de solidarité concrète avec les peuples autochtones du Canada dans la démarche de réconciliation qu’une visite papale cherche à encourager.
La venue du pape François au Canada, à la suite d’un engagement visant la guérison et la réconciliation avec les peuples autochtones, se présente comme une invitation à «marcher ensemble». Cette thématique, un lieu commun passablement obscur, en laissera plusieurs sur leur faim.
Marcher ensemble. Pour quoi faire? On va où?
Évidemment, on peut vouloir faire un bout de chemin ensemble. Se croiser au hasard d’un détour, échanger un sourire, des platitudes, partir. «Il rentra chez lui, là-haut vers le brouillard, elle est descendue là-bas dans le Midi», chantait Fugain.
On dirait que ça manque de coffre.
Évidemment, l’image a le mérite de refléter une certaine compréhension de l’Église catholique, dont les membres font corps dans un vaste pèlerinage. Lorsque l’on se fait pèlerin, on quitte notre lieu d’origine pour un long voyage afin, traditionnellement, de nous réconcilier avec Dieu et de panser la plaie du péché. En un sens profond, notre vie sur Terre est un pèlerinage. Comme on s’ennuie de la maison quand on est parti trop longtemps, on s’ennuie du Ciel ici.
Le propre de cet exil est un retour. La route est incertaine, pas la destination. Quand on comprend le péché comme une maladie, ou encore comme un bris d’amitié, on voit bien que notre chemin pénitentiel est un chemin de guérison, de réconciliation. On parle bien après tout du sacrement de pénitence et de réconciliation.
La blessure s’exprime de toutes les manières dans notre expérience humaine, jusque dans les hautes sphères de la politique, des questions internationales. Le chemin pénitentiel de l’Église au Canada est en effet le fruit d’un ensemble de phénomènes auxquels les réalités de la politique moderne ne sont pas étrangères.
L’homme au centre du monde
C’est la figure du «maitre et possesseur de la nature», selon le mot de Descartes, qui gouvernait les esprits des puissants lorsque s’est installé le désir de contraindre à l’assimilation certaines populations autochtones. L’Église institutionnelle y a également concouru à sa manière.
Ce même esprit moderne, «ivre de feu»1, nous précipite aujourd’hui au bord d’une catastrophe écologique monumentale, nous agitant dans une angoisse performative affligeante. C’est lui qui nous conduit à l’insularisation: il nous fait prisonniers dans l’archipel de l’indifférence et de l’isolement technologique.
La crise climatique qui va en s’aggravant est le résultat pratique d’une vision du monde au centre de laquelle se trouve l’homme, une cosmologie caractéristiquement moderne. Or, cette vision du monde «anthropocentrique» est étrangère aussi bien à celle véhiculée traditionnellement par les peuples autochtones du Canada qu’à celle qui caractérisait jadis la religion naturelle des Anciens. Elle est également étrangère à la cosmologie biblique, au centre de laquelle se trouve le Seigneur, par qui et en vue de qui tout a été créé.
Un enracinement pré moderne
L’enseignement du pape François sur la question écologique a aux yeux de plusieurs un caractère de nouveauté. Certains ont même parlé, avec un enthousiasme excessif, d’une révolution lors de la publication en 2015 de l’encyclique Laudato si’ sur «la sauvegarde de notre maison commune».
D’autres, issus de certains milieux réfractaires au changement, se sont empressés de signaler leur inconfort devant la démarche d’un pape aux préoccupations sociales bien connues.
Il y a quelque chose d’étonnant dans cette valse médiatique, qui dans bien des cas laisse de côté l’enracinement de l’enseignement du pape dans la tradition catholique. Cet enracinement se vérifie notamment lorsque l’on prend conscience des enseignements des papes récents comme Jean-Paul II et Benoît XVI, lequel avait œuvré à la publication de l’encyclique Caritas in veritate, sur le développement humain intégral.
Cet enracinement se traduit également dans la longue tradition cosmologique du christianisme, celle des saints, docteurs de l’Église, philosophes et théologiens qui ont compris et raconté l’intégration du monde créé, à l’intérieur duquel l’homme prend sa place, certes distinctive. On la saisit intuitivement en contemplant l’architecture, l’art et la littérature sacrée médiévale, qui donnent toute sa place à l’univers symbolique du cosmos.
L’appauvrissement de notre regard sur le monde nous a conduits à traiter notre environnement naturel et les personnes qui l’habitent comme une masse informe de ressources à consommer. Voilà le fruit d’un modernisme sauvage dont l’anthropocentrisme et le matérialisme nous ont laissé mettre en place les conditions du cataclysme climatique et écologique que nous peinons à éviter aujourd’hui.
Répondre à la crise
L’Église, qui a été de toutes les luttes contre les idéologies modernes réductrices, a bien en elle-même les ressources disponibles pour offrir un chemin de conversion écologique à ceux qui veulent l’entendre. Dans cette démarche, elle peut être solidaire de ceux qui ont été en certaines occasions à la fois les prophètes ignorés et les victimes, sacrifiées à l’autel du jetable, d’une culture de la mort dont nous goutons aujourd’hui la sècheresse.
Ce qui émerge aujourd’hui dans l’Église pour répondre à la crise, et qui est notamment nourri par l’héritage spirituel de saint François d’Assise, dont la légende raconte qu’il sermonnait les oiseaux, c’est évidemment la part belle du récit. «Société parfaite en dépit de l’imperfection de ses membres», l’Église, dans sa dimension institutionnelle, s’est parfois mêlée aux affaires du monde jusqu’à s’y confondre.
Le chemin de guérison et de réconciliation que le peuple chrétien entreprend ces jours-ci est la conséquence d’une maladie qui a rongé son corps, d’une amitié trahie qui a blessé le tissu de son unité.
Marcher ensemble
Une démarche commune visant la sauvegarde d’un monde pleinement habité, fort de sa luxuriance, est le lieu possible d’un chemin de solidarité concrète. Cette amitié renouvelée sera forte du bien en vue duquel elle saura s’ordonner, à savoir la concrétisation d’une écologie intégrale qui réponde positivement à la brutalité moderne, dont les effets ont si durement attaqué les peuples autochtones, comme les équilibres écologiques, dans les siècles derniers.