Xavie Jean Bourgeault et Guillaume Tremblay forment un duo pour le moins étonnant. Il est cinéaste de formation, elle est anthropologue; elle s’émerveille de tout alors qu’il est plutôt cynique. Ils ont réalisé tour à tour un documentaire, d’abord L’heureux Naufrage (2014) qui abordait la quête de sens des Québécois et, tout récemment, Va vers toi (2023), sur la vie intérieure. Le Verbe les a questionnés sur ce nouveau film qui amorce sa tournée nationale.
Le Verbe : Vos deux films abordent des sujets différents, mais forcément complémentaires (comme vous !). Est-ce que cette continuité est volontaire ?
Xavie : Ce n’était pas planifié comme ça. L’idée de L’heureux Naufrage vivait fortement en Guillaume. Il ne pouvait pas ne pas faire ce film. Dix ans plus tard, il est arrivé quelque chose et j’ai eu vraiment besoin de faire ma propre recherche en ce sens.
Guillaume : Elle s’était beaucoup occupée des enfants pendant que je réalisais L’heureux Naufrage,et je lui avais dit qu’elle pourrait aussi en faire un. Son tour est arrivé.Mais c’est clair que, pour nous, c’est une continuité de cheminement. Un film c’est personnel, c’est quelque chose qui vit d’abord en dedans et qui doit s’exprimer. Pour moi, L’heureux Naufrage, c’était faire la différence entre ma spiritualité, puis l’Église. Séparer ces deux choses est pour moi la base dans un cheminement spirituel. Après avoir fait la distinction entre les deux et la paix avec mon héritage chrétien, qu’est-ce qui s’ouvre ? Qu’est-ce qu’il faut faire ?
Au Québec, c’est comme si on avait mal compris le commandement «aime Dieu et ton prochain comme toi-même». On ne s’aime pas ! Ça ne fait pas partie de notre culture de s’aimer. On se trouve toujours plus laid que les autres, c’est un vrai handicap. Va vers toi, ce n’est pas dangereux, au contraire. Saint Augustin dit qu’en rentrant en nous-mêmes, on trouve Dieu. Si on ne s’aime pas, on ne peut pas aimer l’autre. Ce sont deux voies qui, selon moi, sont importantes dans un cheminement spirituel. Il y a très peu de chrétiens qui acceptent ce chemin-là, parce que s’aimer soi-même est vu comme dangereux.
On a peur peut-être parce qu’il y a des zones d’ombres auxquelles on ne veut pas être confronté ?
Guillaume : On est «possédé» par plein de choses et on a des blessures qui nous empêchent d’être vraiment nous-mêmes. Mais comment peut-on adorer, avoir une relation avec un dieu quand on n’est pas soi-même ? On ne sait même pas qui on est. Selon moi, on doit commencer par entrer en nous-mêmes et réfléchir avec notre être profond pour entrer en contact avec le Dieu réel, et non avec un dieu préconçu. C’est pourquoi ce film est la continuité de L’heureux Naufrage.
Xavie : Va vers toi nous a vraiment permis d’aller chercher plusieurs voix dans plusieurs réseaux différents, comme le réseau scientifique. On sait si peu de notre cerveau, des chemins neuronaux ou de l’inconscient. Je ne savais pas, avant cette recherche, que presque 93% de mes réactions sont inconscientes, automatiques. Je respire, je digère puis je n’y pense pas. Il y a aussi plein d’émotions que j’ai développées pour différentes histoires, en prendre conscience explique souvent pourquoi je fais les choses que je n’ai pas le gout de faire, comme le dit saint Paul. Quand ça arrive, c’est une invitation à aller voir en profondeur.
Ça fait peur, mais ça vaut la peine, parce qu’on va trouver d’où viennent ces réactions puis on pourra les changer. C’est aussi une bonne nouvelle : nous ne sommes pas des êtres déterminés. Nous sommes créateurs en fait, la Bible le dit depuis toujours que nous sommes à l’image de Dieu créateur, nous pouvons créer notre vie en n’étant plus victimes de ce que nous avons subi.
J’ai l’impression que Va vers toi est moins structuré que son prédécesseur où la thèse était peut-être plus manifeste, êtes-vous d’accord ?
Xavie : Dans L’heureux Naufrage, c’est l’animation qui aidait. On aurait aimé en avoir une dans celui-ci pour créer une ligne directrice, mais le budget ne nous le permettait pas.
On l’avait même déjà imaginée. L’animation se serait déployée autour du gland de chêne : au début c’est complètement noir, puis arrive une craque. On pense qu’on va mourir, la craque fait peur, on ne sait pas ce qui se passe. La lumière entre (un peu comme dans la caverne de Platon), puis finalement on sort et tous les dangers sont là : le vent, la grêle, la neige, les épines, les animaux. Plus elle grandit et fait face et plus elle se solidifie. Un jour, elle va voir par-dessus tout et avoir une vision d’ensemble, jusqu’à devenir un arbre qui va porter du fruit et bénir une multitude.
C’est beau parce que cette métaphore, je l’ai vécue dans la création de ce film et encore dans la distribution. Tous les jours, je ne connaissais pas le troisième pas devant moi. Ce n’était pas complètement planifié, je ne savais pas qui j’allais lire ou interviewer ou découvrir. On me parlait de quelque chose ou je rencontrais quelqu’un. Les gens qui sont dans le film, j’en connaissais peu, ils ont été choisis presque sans que je ne le sache, ils ont été présentés à moi, et ils se sont avérés les bonnes personnes.
Guillaume : C’est une belle métaphore parce qu’il y en a parmi eux qui ont fait des expériences de morts imminentes. Ça m’a fait du bien, parce que j’ai peur de mourir. Pas au sens strict, mais j’ai peur de mourir à mon travail, à mes amis, à mes relations. Toutes ces personnes disent : « n’aie pas peur». Il y a quelque chose de fondamental qu’on a à apprendre en tant qu’être humain : arrêter d’avoir peur. C’est la peur et le besoin de contrôle qui souvent motivent nos décisions. On pense qu’elles sont libres, mais en fait c’est la peur qui opère.
Vous vous considérez chrétien, mais ce n’est pas un film à travers lequel vous voulez conduire les gens à Dieu directement, vous voulez que les gens fassent leur propre cheminement, c’est bien cela ?
Guillaume : Pour moi c’était très important de faire ça avec L’heureux Naufrage et ce l’était d’autant plus avec Va vers toi. Si tu vas vers toi et si, en fin de compte, tu ne trouves rien d’autre que de grandir personnellement, c’est extraordinaire ! Si tu trouves Allah ou le Bouddha, c’est aussi extraordinaire !
Xavie : Je ne le vois pas exactement comme ça. J’ai plus l’impression que tous les chemins qui mènent à l’intérieur mènent à la Vie. En tout cas, c’est comme ça que je le vis alors qu’on fait des projections présentement : très peu de chrétiens viennent, ce sont des gens de partout et, pourtant, on parle tous le même langage. On parle de présence à soi, de mourir à son égo, de devenir vraiment qui on doit être, d’oser nos talents, d’être créateur de nos vies, de sortir du rôle de victime/coupable, de sortir du jugement. Parfois c’est avec des bouddhistes, des membres des Premières Nations, etc.
Guillaume : On ne peut pas faire un film qui va dire au final «va vers Jésus» parce qu’on y interviewe des bouddhistes, des Autochtones, etc., et si on dit ça, on ne les respecte pas. Selon moi, ces gens-là sont aussi extraordinaires. Parce qu’avec ce qu’ils ont trouvé, ils nous ont énormément aidés.
Xavie : [Ils nous ont donnés] des outils qui nous aident à travers nos ombres et, à rester dans notre souffrance et à trouver la joie malgré elle, des outils qui nous aident à rester humain, qui aident tout le monde. Le prochain film ira peut-être vers Jésus, je ne sais pas. On chemine dans ce qu’on découvre, dans ce qu’on sent que Dieu nous appelle à découvrir, et puis on le partage.
Les chrétiens diraient que la croissance spirituelle est une grâce. Il y a souvent une méfiance par rapport au développement personnel, car il s’apparente un peu à une mentalité de selfmade man dans laquelle c’est nous qui nous construisons par des efforts, des techniques, etc. Comment répondre à cette opposition ?
Xavie : Ma recherche m’amène à dire que Va vers toi c’est une action, une recherche. Je suis en recherche depuis que je suis jeune et mon expérience est que si tu cherches, tu trouves. Alors je dirais : cherche. La grâce arrive, j’y crois, mais ça ne nous appartient pas, Dieu la donne comme il veut, mais il dit quand même «cherche, et tu vas trouver». Être en mouvement, dans l’humilité , pour moi est essentiel, car Dieu est avec nous dans cette marche.
Éric-Emmanuel Schmitt parle de la beauté du voyage parce que tu sors de ta zone de confort et tu te places dans un état de vulnérabilité. Tu laisses le mystère venir te parler. On n’a pas à craindre les autres philosophies ou religions. En tout cas, je n’ai pas craint, j’ai parlé à tout le monde, j’ai écouté tout le monde. Il n’y a pas de menaces.
Guillaume : On est dans une époque où l’on doit devenir adulte. Qu’est-ce qu’on fait de nos enfants ? On ne veut pas qu’ils sortent, qu’ils voyagent, qu’ils fréquentent telle personne. Fais tes devoirs puis rentre à la maison. Je suis très castrant, je suis immature comme père si je fais ça. Dieu ne le fait pas avec nous. On doit apprendre à les laisser explorer et à faire confiance, même s’ils se plantent et qu’ils font une erreur.
On est tous un peu dans l’erreur. On est en chemin. Quand ma fille apprend à marcher et qu’elle tombe, je ne l’empêche pas de marcher. Je peux être fier d’elle, même si elle ne marche pas bien. Le cheminement qu’on propose dans Va vers toi, c’est «marche!». Même si tu marches croche et que tu te casses un pied. Il y a le vieux sentier tout propre tracé depuis 50 ans, mais tu manques peut-être une chute d’eau qui est là, derrière la forêt touffue.
Xavie : J’ai grandi dans une petite église mennonite à Joliette, c’était vraiment beau. Dieu était vraiment beau. Une fois ado, j’ai voulu aller avec Jeunesse en Mission à l’international, j’ai vu plus grand et Dieu est devenu encore plus grand. Quand je suis allée à l’université, j’ai découvert l’être humain avec l’anthropologie et Dieu est devenu encore plus grand. Dieu grandit quand on lui laisse la place.
Je souhaite que les gens qui verront notre film n’aient pas peur d’aller en eux puis de transcender leurs ombres parce que je suis de plus en plus certaine qu’ils vont trouver quelque chose de magnifique qui a été déposé là. S’ils le font fleurir, ce sera beau pour eux, leur famille et le monde.