Christ
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

«Si le Christ n’a pas existé, alors la foi chrétienne est tout simplement fausse.»

Peut-on être certain que Jésus a réellement existé ? C’est à cette question que s’attaque Matthieu Lavagna, qui, après Soyez rationnel, devenez catholique !, nous offre maintenant sa Libre réponse à Michel OnfrayNON le Christ n’est pas un mythe. L’auteur, conférencier et apologète présente dans son dernier livre un plaidoyer en faveur de l’historicité du Christ. Il contredit le philosophe français, qui, dans son essai Théorie de JésusBiographie d’une idée, remet en question l’existence même du protagoniste des évangiles. Jésus : mythe ou réalité historique ?

Le Verbe : Dans votre livre, vous critiquez de façon frontale la thèse d’Onfray, selon laquelle le Christ est un mythe plutôt qu’une figure historique. Que lui reprochez-vous, principalement ?

Matthieu Lavagna : Je lui reproche une certaine forme de négationnisme historique. Pour rappel, personne dans le monde ayant un doctorat en histoire antique et enseignant dans une université majeure ne doute de l’existence de Jésus. Les preuves sont tellement solides qu’avant le XVIIIe siècle, personne n’avait osé remettre son existence en question.

Sur quelles sources les historiens s’appuient-ils pour démontrer l’existence du Christ  ?

En réalité, nous avons de meilleures sources concernant l’existence et la vie de Jésus que nous n’en avons pour la plupart des grandes figures de l’histoire. En plus d’être attestée dans les Évangiles, dans les écrits du Nouveau Testament et dans ceux des Pères apostoliques, l’existence de Jésus est aussi confirmée par un grand nombre d’auteurs non chrétiens : Flavius Josèphe, Tacite, Suétone, Pline le Jeune, Lucien de Samosate, Galien, Mara bar Sérapion et Celse, de même que dans le Talmud de Babylone.

Selon l’historien athée Bart Ehrman, il existe au moins 15 sources historiques différentes attestant de la crucifixion du Christ dans les 100 ans après sa mort. Au total, nous avons 42 sources datant de moins de 150 ans après la mort de Jésus mentionnant son existence, dont 9 non chrétiennes. En matière historique, c’est une chose excellente et inespérée ! En comparaison, pour Jules César, nous avons seulement cinq sources rapportant ses opérations militaires. C’est huit fois moins que le nombre de sources concernant Jésus ! 

Voilà pourquoi même les juifs ne remettaient pas en cause l’existence du Christ. Ce point est crucial, car s’il y avait eu le moindre doute quant à son existence, les juifs n’auraient pas manqué de le faire savoir ! Cela aurait été un excellent moyen pour eux de ridiculiser les chrétiens (ils auraient pu se moquer d’eux en les accusant d’adorer un Messie inexistant). Or, ils ne firent rien de tel et se contentèrent de critiquer le christianisme pour des raisons théologiques. Comme disait Pascal, les juifs sont des « témoins irréprochables ».

L’Église n’aurait-elle pas pu inventer le personnage et l’histoire de Jésus ?

Si l’existence de Jésus était une fiction montée de toutes pièces par l’Église primitive, pourquoi celle-ci aurait-elle inventé un évènement aussi embarrassant que la crucifixion ? Si quelqu’un voulait créer le personnage de Jésus pour convaincre les juifs qu’il était le Messie, pourquoi l’avoir inventé pour qu’il connaisse une mort aussi lamentable ? En effet, pour les juifs, la crucifixion était abominable. Le Messie était censé renverser les ennemis et conquérir la terre. Personne n’aurait donc eu l’idée d’inventer un Messie humilié, torturé et tué par ses ennemis. Ce serait exposer son propre récit au ridicule.

En outre, la thèse mythiste pose un autre problème d’ordre plus général : qui, parmi les apôtres, aurait accepté de mourir pour un personnage inexistant ? Comment peut-on croire qu’une douzaine de pauvres Galiléens aient soudainement accepté de risquer la persécution et la torture pour des histoires qu’ils auraient inventées ?

À sa manière, l’idée d’une invention secrète de Jésus par les premiers chrétiens ressemble à une théorie complotiste !

En effet, et le philosophe Frédéric Guillaud remarque avec beaucoup d’humour :

Quelle est la meilleure hypothèse explicative de tous les textes et de tous les récits dont nous disposons ? Qu’un homme nommé Jésus de Nazareth a effectivement existé et provoqué pas mal de remous à Jérusalem — hypothèse simple et qui explique tout cela d’un coup ? Ou bien qu’un gigantesque complot, comprenant des milliers de ramifications a été ourdi par une bande d’Hébreux en sandales, animés par le désir de mourir en martyrs pour des histoires qu’ils avaient inventées ?[1] 

D’ailleurs, la seconde hypothèse est tellement irrationnelle et peu crédible qu’elle a complètement été abandonnée au niveau académique. Paul Maier, professeur d’histoire antique, affirme que « toutes ces preuves sont si écrasantes, si absolues, que seul le plus simple des simples d’esprit oserait douter de l’existence de Jésus » . Quant à Craig Evans, largement reconnu pour ses écrits sur l’historicité de Jésus, il estime qu’« aucun historien sérieux, quelle que soit sa religion, s’il en a une, ne peut douter du fait que Jésus de Nazareth a réellement vécu au premier siècle et a été exécuté sous l’autorité de Ponce Pilate, gouverneur de Judée et de Samarie[2] ».

Enfin, Bart Ehrman conclut de manière magistrale en s’adressant aux mythistes comme Onfray :

Il y a tellement de preuves… Je sais que dans les milieux comme les vôtres, il est communément admis que Jésus n’ait pas existé. Laissez-moi vous dire qu’une fois que vous sortez de ce petit milieu, il n’y a personne qui pense cela. Ce n’est même pas une question débattue chez les spécialistes de l’Antiquité. Aucun universitaire occidental enseignant les lettres classiques, l’histoire ancienne, le Nouveau Testament, le christianisme primitif ou tout autre domaine similaire ne doute de l’existence de Jésus. […] Je pense que les athées ne se rendent pas service en défendant la thèse mythiste parce que, franchement, cela les fait passer pour des idiots aux yeux du monde extérieur.

Michel Onfray affirme que Jésus a bel et bien existé, mais comme concept. Quel est le problème avec cette théorie ? Le message et les valeurs des Évangiles ne demeurent-ils pas tout aussi pertinents, que Jésus ait existé ou non ?  

Le message central des évangiles est précisément que Jésus est mort et ressuscité pour nous sauver de nos péchés. Si le Christ n’a pas existé, alors la foi chrétienne est tout simplement fausse, et on peut la reléguer aux oubliettes ! On ne fonde pas une espérance sur un personnage non existant. Fort heureusement, les recherches contemporaines en archéologie, en exégèse et en histoire du christianisme primitif abondent dans le sens de la fiabilité historique des Évangiles, nous donnant ainsi un réel fondement pour savoir qui était le véritable Jésus historique.

Justement, comment peut-on savoir que les Évangiles sont historiquement fiables ?

Il y a un grand nombre d’arguments pour montrer cela. Je les développe dans mon livre Soyez rationnel, devenez catholique ! Pour en résumer quelques-uns, on peut commencer par remarquer que les écrits du Nouveau Testament ont été rédigés très tôt après les faits. Les experts s’accordent pour situer la rédaction des Évangiles entre les années 50 et 90. En comparaison, les meilleures sources sur la vie d’Alexandre le Grand ont été rédigées 300 ans après sa mort. Par rapport aux standards de l’époque, les Évangiles et les épitres de Paul ont donc été écrits très peu de temps après les évènements.

On peut aussi remarquer que la forme littéraire des Évangiles a un style très particulier qui ne ressemble absolument pas à celui des mythes ou des légendes de l’Antiquité. En réalité, le genre littéraire en question ressemble comme deux gouttes d’eau à celui des biographies gréco-romaines.

De plus, les évangélistes s’appliquent à donner des précisions historico-géographiques ultra détaillées pour appuyer leurs propos. L’exactitude des informations rapportées peut d’ailleurs être confirmée par des sources extérieures. Par exemple, Colin Hemer, spécialiste du Nouveau Testament, a réussi à dresser une liste de 84 détails exacts dans les 16 derniers chapitres des Actes des Apôtres. Cela montre que l’auteur (Luc) était très familier avec cette culture : il donne les bons noms aux ports et aux industries ; il ne se trompe pas sur les frontières des villes ni sur les différents repères géographiques ; il utilise parfois le vocabulaire du patois local ; il donne les bons titres aux régions et aux gouverneurs locaux, etc.

Bref, les Évangiles, les Actes des Apôtres et les épitres de Paul regorgent de détails historico-géographiques extrêmement fiables, ce qui renforce grandement leur crédibilité historique. Cela démontre que les évangélistes étaient bien renseignés et rigoureux dans leur transmission des faits.

Pourtant, certains auteurs écrivent des romans historiques avec une foule de détails d’époque extrêmement véridiques. Ne pourrions-nous pas avoir affaire à un tel genre littéraire ?

Non, car le contenu des Évangiles est beaucoup trop embarrassant et contreproductif pour qu’il s’agisse d’une invention littéraire. En effet, si vous voulez inventer une histoire, vous éviterez, en général, de vous ridiculiser en relatant des détails gênants à votre égard, juste pour le plaisir. Or, c’est exactement ce qu’ont fait les évangélistes : ils ont raconté un bon nombre d’évènements embarrassants qu’ils auraient surement évités s’ils avaient voulu mentir ou inventer des histoires.

Pourquoi revendiquer haut et fort que Jésus est Dieu et créer un scénario dans lequel il meurt lamentablement, percé de clous sur une croix ? Question crédibilité, il est difficile de faire pire si vous voulez inventer quelque chose pour convaincre les gens.

De même, pourquoi raconter que ce sont des femmes qui ont trouvé le tombeau vide, en sachant pertinemment que leur témoignage n’avait aucune valeur auprès d’un tribunal juif de l’époque ? Si les apôtres avaient voulu mentir, pourquoi n’ont-ils pas raconté que c’étaient eux qui avaient trouvé le tombeau vide et qu’ils avaient été les premiers témoins de la résurrection du Christ ? Pourquoi se ridiculiser en racontant avoir fui comme des incrédules apeurés ? De même, pourquoi raconter l’évènement humiliant du reniement de Pierre, chef de l’Église primitive, si une telle histoire n’est pas vraie ? Pourquoi raconter la divergence d’opinions sur la circoncision et dire que les plus hauts membres de l’Église n’étaient pas capables de se mettre d’accord sur cette question ? Pourquoi dire explicitement que les disciples doutaient (Mt 28, 17) ? Pourquoi prendre le risque permanent d’être ridiculisés par des histoires qu’ils savaient fausses ?

Comme vous le voyez, les Évangiles contiennent des évènements très embarrassants. Si de telles choses n’étaient pas vraies, leurs auteurs n’auraient jamais eu l’idée de les inventer pour promouvoir leur religion et pour aller évangéliser les nations. Ils couraient le risque permanent de se ridiculiser aux yeux des juifs et des païens. Ces faits ne nous sont connus que parce que les évangélistes ont fait preuve d’honnêteté et qu’ils ont voulu retranscrire méticuleusement les évènements de la vie de Jésus, en dépit des conséquences humiliantes à leur égard. Le critère d’embarras permet donc de renforcer la crédibilité historique des Évangiles.

Si je comprends bien, il est donc plus rationnel et conforme à la science historique d’affirmer l’existence de Jésus que de la nier, voire d’en douter ?

Tout à fait. À la lumière des travaux récents sur la fiabilité historique, Graham Stanton, spécialiste du Nouveau Testament, conclut ainsi : « Aujourd’hui, presque tous les historiens, qu’ils soient chrétiens ou non, acceptent que Jésus ait existé et que les Évangiles contiennent beaucoup d’informations valables (…). Il y a un accord général pour dire que, mis à part peut-être Paul, nous en savons beaucoup plus sur Jésus de Nazareth que sur n’importe quel chef religieux ou païen du Ier ou du IIe siècle[3]. »

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Diplômé en philosophie et en théologie, Matthieu Lavagna se spécialise dans la défense rationnelle de la foi chrétienne (apologétique) et travaille depuis 2021 pour l’association catholique Marie de Nazareth. Son livre, Libre réponse à Michel Onfray – NON le Christ n’est pas un mythe, est paru le 13 mars en France et sera disponible au Québec le 13 mai 2024.


[1] Frédéric Guillaud, Catholix Reloaded, les Éditions du Cerf, 2015, p. 66.

[2] Craig A. Evans et N.T. Wright, Jesus, The Final Days – What Really Happened, Westminster John Knox Press, 2009, p. 3.

[3]. Graham Stanton, The Gospels and Jesus, Oxford University Press, 2002, p. 145.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.