Saint Patrick
Illustration: Judith Renauld/Le Verbe

Saint Patrick n’a jamais chassé de serpents, mais…

Saint Patrick est sans conteste le saint le plus connu et le plus célébré d’Irlande, sa notoriété dépasse même largement le cadre du pays. Selon la légende, il aurait chassé tous les serpents de l’ile à son arrivée. Les recherches ont cependant démontré qu’il n’y en avait aucun à cette époque. D’où vient donc ce mythe ?

Au cours de l’évangélisation de l’Irlande, saint Patrick a suivi les pas du Christ à de nombreuses reprises. Il a ainsi jeuné pendant 40 jours au sommet d’une montagne, le Cruachán Aigle (la montagne de l’aigle), dans le comté de Maigh Eo, à l’ouest de l’ile.

C’est au cours de ce jeûne qu’il aurait effectué son célèbre combat contre Corra, une déesse à la forme de serpent, et les vipères qui l’accompagnaient. Après l’avoir vaincue, il l’aurait bannie de l’ile et forcé les serpents à se jeter en bas de la montagne.

Cependant, aucun fossile de serpent n’a jamais été retrouvé sur l’ile, et pour cause : le climat y était beaucoup trop froid lors de la dernière période glaciaire et, une fois les glaces fondues, l’eau est demeurée trop froide et la distance trop grande pour que les reptiles du continent puissent traverser. De quels serpents parle-t-on alors, dans ce cas ? S’agit-il d’une déformation de l’histoire, d’une erreur de traduction, ou bien faudrait-il y voir une allégorie avec des serpents plus spirituels ?

L’histoire derrière les serpents

À l’époque de saint Patrick, le Cruachán Aigle était le site d’une fête païenne en l’honneur de Lugh, le dieu du soleil. Celle-ci se déroulait le 1er aout, car selon le calendrier celtique, cette date correspondait au premier jour de l’automne. Ce festival, appelé Lughnasa, a d’ailleurs donné son nom au mois d’aout qui se dit Lúnasa en irlandais moderne.

Pour mettre fin à cette tradition, saint Patrick a eu le courage de sermonner les fidèles et d’affronter les druides qui animaient le festival. Il a ensuite mis en place un pèlerinage annuel sur cette montagne afin de remplacer la fête de Lughnasa. Ce pèlerinage, qui inclut normalement l’ascension de la montagne pieds nus, a toujours lieu aujourd’hui et se déroule le dernier dimanche de juillet. En l’honneur du célèbre saint, le sommet a été renommé le Croagh Patrick. Près de 25 000 pèlerins le gravissent chaque année à cette occasion.

Plus généralement, saint Patrick a confronté, et parfois même tué, nombre de druides celtiques. Ceux-ci n’avaient malheureusement aucune parenté avec le bienveillant et sympathique Panoramix et leurs pratiques étaient très douteuses, impliquant même des sacrifices humains.

Aux yeux du saint évêque, il s’agissait là de pratiques démoniaques et, tout comme Jésus et ses disciples avaient chassé les démons, il convenait de faire de même avec ceux qui s’y adonnaient. Le bannissement des serpents mentionné dans les légendes serait donc plutôt celui des druides et des rites païens.

Certains druides utilisaient aussi la symbolique du serpent pour leur culte. Comme elle représente le démon dans la Bible, saint Patrick les pensait même possédés par le démon et a effectué plusieurs exorcismes, y compris des exorcismes de masse.

Le plus connu d’entre eux s’est déroulé sur le site du Crom Cruich, dans le comté de Cabhán (Nord). Chaque année, le 1er novembre, de nombreux druides se rassemblaient pour une cérémonie particulièrement sanglante. Pour assurer le succès des récoltes, il était demandé aux fidèles d’offrir leur premier-né en holocauste à Crom, le dieu de la fertilité dans la mythologie celtique.

Dès qu’il a été mis au courant de ce rituel macabre, saint Patrick a cherché à y mettre fin, usant à la fois d’armes physiques et spirituelles. Un poème irlandais du 6e siècle raconte qu’il serait venu sur le site accompagné de nombreux missionnaires armés, aurait chassé les démons, béni l’endroit et finalement détruit le site. Les fidèles de Crom ont alors craint que le dieu se venge sur eux, mais devant le silence du dieu, ils ont abandonné son culte et se sont convertis au christianisme.

Alors qu’aujourd’hui certains en Irlande se disent nostalgiques de l’époque préchrétienne et critiquent saint Patrick pour avoir tué ou chassé des druides et détruit la culture celtique, il n’est peut-être pas mauvais de se rappeler les rituels que ceux-ci effectuaient pour remettre en perspective les actions du saint sur l’ile. 

Lá Fhéile Pádraig shona daoibh / Bonne Saint-Patrick à vous !

Romain Martiny

Romain est professeur en sciences au collégial.