Elliot Maginot
Photo : Maxime Boisvert

Elliot Maginot, au front des relations

Reconnu pour son talent de compositeur, Elliot Maginot ne cesse depuis presque dix ans de parfaire un son folk-pop unique au Québec, rappelant Peter Gabriel et le groupe The War on Drugs. Son plus récent album, Easy Morning, lui a valu une mise en nomination pour le prestigieux prix Polaris ainsi que pour le prix de l’album anglophone de l’année 2022 au gala de l’ADISQ. À la fin de mars, il fera paraitre I Need To Stay Here, un douze pièces aux sonorités américaines traditionnelles, presque country. Avec un nom d’artiste qui évoque une ligne de fortifications, on peut imaginer que le combat est présent quelque part dans l’œuvre d’Elliot Maginot. Il a généreusement accepté d’en parler avec Le Verbe.

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Le Verbe: Qu’est-ce qui t’a inspiré pour ce nouvel album?

Elliot Maginot: J’ai toujours l’impression que, parmi toutes les époques, la nôtre est la plus folle, la plus désorganisée et la plus chaotique. C’est comme tough de ne pas avoir le sentiment de fin du monde en ce moment. J’ai des amis qui ont des enfants, donc il faut penser qu’ils vont être encore sur cette planète pour les 80 prochaines années. Comment se réconcilier avec le fait qu’il y a beaucoup de choses qui vont très, très mal et qu’on veut continuer à vivre et à être là?

Tous mes amis sont à peu près dans le même milieu que moi, des travailleurs autonomes, du monde de la culture, et c’est tough. La game est vraiment tough. C’est un constat: si on décide qu’on veut rester ici, au sens large des choses, comment on fait? Comment on fait pour ne pas vouloir se tirer en bas d’un pont, ne pas virer fou et trouver des raisons qui valent la peine de se lever le matin?

«Je me dis qu’il faut accepter de ne pas être d’accord,
d’être blessé, de piler un peu sur soi-même, parce que sinon,
on meurt tout seul avec nos grands idéaux.»

Plus on vieillit, plus la vie doit avoir un sens profond. On dirait que, plus jeune, on est seulement dans le mouvement: tout arrive vite, on est en réaction, tout est nouveau. Passé un certain âge, je trouve qu’il faut plus de recul, se poser davantage de questions sur le sens de nos actions, sur les répercussions qu’elles ont sur les autres, etc.

Aussi – je n’arrête pas de parler comme si j’étais un vieillard –, je pense beaucoup au fait que, plus on vieillit, plus les gens se foutent de nous. J’ai la chance de faire un job public, mais la plupart des gens, plus ils vieillissent, moins les valeurs de la société sont pour eux. Nos ainés, nos grands-parents, sont tout le temps tout seuls.

Plus on vieillit, moins les gens s’intéressent à ce qu’on a à dire et à ce qu’on est, moins on est considéré dans les décisions de société. J’ai l’impression que l’étoile de l’humain brille beaucoup dans les vingt premières années de sa vie, puis plus ça va, plus elle pâlit, que mourir, c’est comme disparaitre graduellement. On s’éteint de plus en plus, en faisant de moins en moins de bruit, et de moins en moins de gens remarquent notre présence. À un moment donné, on est juste tout seul et puis on meurt.

As-tu vu Testament, le dernier film de Denys Arcand? C’est tout à fait dans le propos.

Non, pas encore! Mais c’est ça, comme tous mes amis font de la musique ou écrivent, ce sont des trucs dont on parle beaucoup entre nous. J’ai l’impression qu’on est tous à peu près au même constat, en tout cas ceux qui n’ont pas d’enfants: on va juste tous mourir, et si l’on ne fait pas vraiment attention, on va tous mourir seuls. À partir d’un certain âge, les gens n’ont plus d’amis. On valorise beaucoup la carrière, mais pas le fait d’entretenir des relations, autres qu’amoureuses. Si l’on n’y met pas d’efforts, elles tendent à s’étioler puis à disparaitre.

Même quand les gens ont des enfants, de la famille, la chicane peut pogner et les gens peuvent ne plus se parler.

Exact. Avec des amis aussi, c’est vraiment compliqué, les relations, je m’en rends compte. C’est vraiment facile de vouloir tirer la plug aussitôt qu’il y a un petit irritant. Je me dis qu’il faut accepter de ne pas être d’accord, d’être blessé, de piler un peu sur soi-même, parce que sinon, on meurt tout seul avec nos grands idéaux.

I Need to Stay Here, c’est donc un peu ça?

Oui, vraiment. Maintenant qu’on a établi qu’on restait ici, comment on fait pour s’en tirer sans trop se faire mal? Le Here dans le titre de l’album, c’est l’existence humaine et l’endroit où je me trouve avec les gens avec lesquels je suis. I Need to Stay, c’est d’essayer de faire fonctionner ce Here plutôt que de le jeter. On peut bien vouloir sortir de nos relations compliquées (familiales, amoureuses, professionnelles), mais on réalise vite qu’on peut reproduire les mêmes affaires. Il s’agit de faire le mieux qu’on peut avec ce qu’on a.

As-tu des réponses à toutes ces questions qui t’habitent?

Non. C’est sûr que non. Je pense que c’est le combat d’une vie. Mais je me sens maintenant plus outillé pour être en relation avec les gens, pour travailler sur ces relations. J’ai l’impression d’avoir fait des choix pour améliorer mon sort, et il s’est effectivement amélioré. J’en suis très reconnaissant. J’ai du monde autour de moi avec qui ça va bien. J’ai plus d’outils pour vivre et évoluer dans mon écosystème.

Dans Easy Morning, plusieurs titres contiennent des références catholiques. Tu disais pourtant à l’animatrice Catherine Pogonat qu’elles sont symboliques, que tu te considères comme athée. Pourquoi recourir à ces symboles?

Je n’ai pas reçu une éducation et une culture religieuse. Mais je suis allé dans un collège de Saint-Hyacinthe où des sœurs enseignaient, où il y avait des cours de catéchèse et des crucifix dans les classes. C’est du symbolisme et du vocabulaire auxquels j’ai été exposé, qui ont fait partie de mon quotidien.

Le Québec reste une société qui est encore très influencée par le catholicisme et son symbolisme. En tournée, quand j’arrive dans les villages, je vois encore beaucoup de crucifix. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne seraient pas prêts à ce qu’ils soient retirés. La croix reste un symbole hyper chargé, elle n’est pas comme d’autres symboles. Elle évoque quelque chose de plus grand que moi, que je ne comprends pas et qui ne fait pas partie de mon quotidien. On dirait qu’elle vient avec tout un bagage, toute une histoire.

Est-ce que tu as toujours été athée?

Oui. Dans ma famille, c’était même valorisé, je dirais. Mes parents sont des athées actifs. Moi, je suis plus un athée passif, dans le sens que je ne ressens pas d’animosité envers la religion. Je comprends que cette génération et celle d’avant ont pu vivre des traumatismes à cause de l’institution. Mais on dirait qu’en vieillissant, je trouve ça intense d’avoir une position si arrêtée sur un sujet sur lequel tu n’as pas mis beaucoup d’heures de recherches, de réflexions. Je trouve que ça n’a comme pas de sens.

On dirait qu’en grandissant dans une famille d’athées, on se fait juste dire que les gens sont stupides de croire à des histoires inventées dans un livre. Mais au fond, ce n’est pas aussi simple que ça. Ça ne peut pas avoir été aussi important, et continuer à l’être pour la majorité de la population mondiale, et que ce soit seulement des stupidités. Je pense que chaque humain a un besoin de spiritualité et un besoin qu’il y ait quelque chose de plus que notre expérience corporelle, terrestre. Alors, fermer la porte, je trouve que ça ne donne rien et que c’est un peu entêté.

Tu es plutôt agnostique, au fond?

Oui, à 100 %. Comme plusieurs personnes, j’ai des problèmes avec l’institution, mais encore là, ça ne veut rien dire, parce qu’elle prend plusieurs formes. Dans mon for intérieur, je ne crois pas en un être suprême qui aurait créé toutes choses, mais j’aimerais ça en ho****! Ce serait tellement rassurant! Il y aurait quelqu’un avec un plan. Tout aurait un sens.

Tout ça, pour toi, ce serait trop beau pour être vrai?

Un peu, oui. Puis, s’il y a un dieu, il faut ouvrir tout le dossier des choses hyper injustes qui arrivent à des gens qui ne le méritent pas. C’est un gros dossier. Tellement gros que tu ne peux pas faire comme si toute cette histoire de Dieu était juste des niaiseries. Mais je ne peux pas non plus me dire: «Tu vas voir, tout va être correct à la fin, il y a un plan.» J’aimerais savoir c’est quoi le plan, parce que, de mon point de vue, s’il y en a un, il est weird en ce moment.

On vit aussi tellement juste dans notre petite réalité. On a de grandes opinions sur des choses qu’on ne connait pas. On lit une affaire sur Internet et on pense qu’on est en droit de s’exprimer sur la chose. On parlait de vieillir seul, tantôt. Moins on vit dans un réseau, moins on vit dans le vrai monde et uniquement sur Internet, plus on en vient à confirmer ce qu’on pense déjà.

Je suis plus ouvert au fait que la science n’est peut-être pas la seule affaire qui peut nous aider à fonctionner dans la vie, qu’il y ait d’autres manières d’aborder les choses. Ça ne donne rien d’être fermé, parce qu’au pire ce n’est pas vrai, mais si c’est vrai, on est mieux d’être du côté de ceux qui disent: «Laissons les miracles arriver.»

Photos : Maxime Boisvert

I Need To Stay Here, paru le 22 mars 2024 chez Audiogram.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.