David Goudreault
Photo: Ioana Bezman

David Goudreault : «Ma blessure originelle, c’est le manque de foi.»

Sherbrooke. L’automne est doux. Les feuilles tapissent le décor. Dans un café du centre-ville, David Goudreault cherche la formule idéale. Regard allumé, sourire au coin des lèvres. Ses tâtonnements l’amusent. À l’issue d’une année consacrée à l’écriture d’un nouveau spectacle, l’écrivain, slameur et travailleur social, accorde au Verbe cet entretien.

Le Verbe : Lorsque nous t’avons approché, tu semblais enthousiaste à l’idée de nous accorder cette entrevue. Est-ce juste?

David Goudreault: C’est particulièrement intéressant de faire une entrevue avec vous parce qu’on sort de l’actualité. On sort de la promotion du dernier livre ou du nouveau spectacle pour prendre un pas de recul, pour se questionner sur le sens et faire de la place à la spiritualité. Pour moi, la spiritualité est hyper importante depuis l’enfance. Elle prend une part aussi significative dans mon œuvre et dans ma vie au quotidien. Et je crois que la spiritualité devient l’un des grands tabous de ce monde. Comme j’aime aller jouer dans les zones dangereuses et repousser les limites, spontanément, ça m’intéressait de m’exposer et de réfléchir en votre compagnie, de voir où l’on en est spirituellement dans le monde, de voir la place du religieux, la place de Dieu.

Tu nous as proposé de nous rencontrer dans un boisé. Pourquoi?

Ma vie spirituelle est très concrète et s’incarne notamment dans des lieux qui sont chargés de sens. La forêt, pour moi, est un lieu de spiritualité. Je crois beaucoup à l’idée que la prière et la méditation sont deux temps d’une même discussion. Dans la prière, je m’adresse à Dieu ou à une puissance supérieure à moi-même. Dans la méditation, je reçois des réponses dans la mesure où mon ouverture d’esprit me permet de les entendre ou de les voir, de les reconnaitre. Une des meilleures façons de m’approcher de cela, c’est d’aller me connecter à la forêt, de me laisser submerger par plus grand que moi.

Tu as évoqué des expériences spirituelles puissantes…

Il y a des lieux comme la forêt… mais il y a aussi des lieux qui peuvent sembler assez froids, comme un centre communautaire ou un sous-sol d’église, où j’ai vécu mes plus grandes expériences spirituelles. Moi, je suis un alcoolique toxicomane chronique, mais j’ai eu la grâce d’être débarrassé de l’obsession de consommer parce que j’ai capitulé, dans une démarche spirituelle que je dois renouveler depuis 15 ans. J’ai vu des miracles ordinaires: des dépendants, des alcooliques qui arrêtent de consommer. Quand je dis que ma spiritualité est concrète, pour moi, c’est voir une fille qui, ayant perdu la garde de ses enfants, décide d’arrêter de se piquer à la cocaïne pour avoir, cinq ans plus tard, un travail, des enfants qui poussent droit et même une vie spirituelle riche… Moi, je vois Dieu là-dedans.

Comment cette démarche pour te débarrasser des dépendances est-elle liée à la quête spirituelle?

J’ai tout essayé, mais la solution pour moi se trouvait dans la spiritualité et dans le soutien d’autres dépendants, dans une démarche d’introspection qui relève de la relation à soi, par la relation au monde, par la relation à Dieu.

Je crois que ma blessure originelle, qui m’a amené à me geler au quotidien pendant des années, c’est le manque de foi. J’ai besoin de croire, d’être rassuré, de voir qu’il y a un sens à l’existence. Quand j’étais très enfoncé dans la consommation, la vie n’avait vraiment plus aucun sens. Je me suis senti très démuni, très seul, en état de déréliction. Ça, c’est un mot hyper important qu’on utilise très peu: déréliction, la coupure spirituelle, d’un point de vue moral et spirituel. Le lien commun de toutes les dépendances, c’est l’isolement. Tu te retrouves coupé du monde, coupé de Dieu, coupé de toi-même.

C’est un drôle de parcours. Il y a des blessures d’enfance, un vide intérieur ou un manque de foi qui amène à consommer pour combler le vide, et une fois que tu as détruit en toi ce qui restait de spirituel par la consommation, que tu es allé au fin fond du vide, tu meurs ou tu te reconstruis autrement.

Pour toi, l’héritage catholique au Québec est-il plus qu’un patrimoine architectural?

On a une plus grande liberté aujourd’hui du point de vue de nos croyances, et ça, c’est bien. En revanche, en voulant créer cette liberté, on a aussi condamné des lieux de spiritualité qui convenaient à bien des gens, qui créaient effectivement du sens, qui les reliaient, au sens premier du religieux. Religare, la racine étymologique de «religion», c’est relier. Que les gens soient reliés entre eux par des croyances et des rituels, ça nous manque, je crois. Je ne dis pas que tous ces rituels et ces croyances étaient adéquats. En revanche, on sent en ce moment un appétit pour la morale qui cache aussi peut-être une soif de spiritualité.

On a des confrontations intenses autour du sens des mots et de la définition même des individus. Peut-être que ce sont des débats qu’on doit avoir, mais qu’est-ce qu’il y a derrière ces besoins-là? Est-ce qu’on a le droit d’aller puiser aussi dans des traditions séculaires? Est-ce qu’on a le droit d’aller puiser dans des croyances qui ont construit notre société dans ce qu’elle a de beau, aussi? Oui, j’y crois.

À une époque où chacun fixe sa propre norme morale et éthique, où il y a de moins en moins de repères communs, où te rattaches-tu? Où le don de toi-même, les liens humains et ce que j’appelle plus largement l’amour puisent-ils leur élan?

On a viscéralement besoin les uns des autres. Pensez-y, même les moines sont moines en gang! Malgré ma méfiance, mon anxiété, ma foi chancelante, je sais que les liens que je crée donnent du sens à ma vie et augmentent la signification de ma présence au monde. Même si parfois c’est très difficile, je dois tendre vers les autres et je dois accueillir ceux qui veulent s’approcher de moi.

Pour moi, c’est d’abord ça, la spiritualité. Il y a des phrases qui transcendent le catholicisme ou la chrétienté. «Aimez-vous les uns les autres» (Jean 13,34) – c’est le grand défi et le grand salut à la fois. Ce n’est pas quelque chose de facile, mais c’est une lutte à mener pour vivre ensemble. En plus, on est de plus en plus nombreux sur Terre, soumis à des influences morales et spirituelles diverses. Donc, travaillons à trouver des points de jonction, à tisser des liens, à créer du tissu social, parce que c’est beaucoup plus facile de se déchirer que de se réparer.

Au sujet de ta dernière année d’écriture, qu’est-ce qui te nourrit?

En ce moment, ce qui me porte le plus haut et le plus loin, c’est le nouveau spectacle En marge du texte. En plus de me permettre d’entrer en relation avec le monde dans les salles, il y a Geneviève Rioux qui fait mes premières parties. J’ai aussi réussi à m’associer à la fondation Evenko afin de financer l’achat d’instruments de musique neufs pour une école au centre-ville de Sherbrooke. Donc, j’ai hâte de présenter mes textes, de jouer du piano en public pour la première fois, mais j’ai aussi l’impression d’être en mission pour récolter de l’argent pour les enfants et faire découvrir une poète survivante et résiliente incroyable tout en faisant rayonner mon amour de la littérature.

+ Pour découvrir les lieux et les dates de la tournée: davidgoudreault.org

Photo: Ioana Bezman

Émilie Théorêt

Émilie Théorêt détient un doctorat en études littéraires. En historienne de la littérature, elle aime interroger les choix qui ont façonné et qui façonnent encore la société québécoise.