Le dominicain Adrien Candiard vient de publier Quelques mots avant l’apocalypse, dans lequel il nous invite à relire les textes apocalyptiques de Jésus afin de trouver le sens réel des menaces actuelles qui pèsent sur l’humanité. Le Verbe s’est entretenu avec lui.
Le Verbe: Dans son discours lors de la COP27, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, a dit: «L’humanité a le choix: coopérer ou périr. Il s’agit soit d’un pacte de solidarité climatique, soit d’un pacte de suicide collectif.» Que pensez-vous de cette déclaration?
Frère Adrien Candiard: Effectivement, sans coopération internationale, on ne voit pas très bien où on va. Cependant, j’ajouterais que même avec de la coopération internationale, on n’est pas sûr d’aller très loin. Elle est absolument nécessaire, mais on n’est pas sûr que cela soit suffisant, car nous voyons bien que ce qui conduit au dérèglement climatique, c’est d’abord notre consommation, notre volonté de jouir de toutes les ressources existantes. Et cela est un péché présent dans le cœur de l’homme depuis bien longtemps. Simplement, s’imaginer qu’avec une régulation internationale adéquate on va mettre fin à ce péché et à ses conséquences destructrices, c’est probablement un peu naïf.
Le Verbe: Êtes-vous inquiet par rapport à la situation présente?
Frère Adrien Candiard: Je vais vous répondre de trois manières différentes. Premièrement, en matière de tempérament, je suis assez optimiste. J’ai 40 ans. Je dors bien. Je ne suis pas du tout rongé par l’anxiété. C’est une question de caractère. C’est une première chose.
La deuxième chose, sur le plan rationnel, évidemment, je suis inquiet. Je vois les menaces. Nous avons des défis.
La troisième réponse est sur le plan spirituel. Oui, je suis inquiet parce que le péché est une réalité. Le mal est une réalité. Il est complètement absurde et il n’est absolument pas conforme à la doctrine chrétienne d’affirmer que le mal n’existe pas et qu’il n’est rien. Ce que nous avons sous les yeux, c’est la conséquence du péché de l’homme. Mais je crois aussi que, malgré les réalités de ce mal, la victoire de Dieu sur celui-ci est une réalité. Il faut croire que le mal n’aura pas le dernier mot.
Le Verbe: Vous parlez du péché et du mal. Pour vous, ces réalités sont-elles au cœur de la situation dans laquelle se retrouve l’humanité?
Frère Adrien Candiard: Un des acquis indispensables de la modernité a été de renoncer à utiliser Dieu comme joker au sujet de nos ignorances et en particulier, de cesser de prêter à la volonté divine la cause de toutes les catastrophes naturelles. Pour autant, il me semble qu’il serait tout aussi dommageable de s’interdire d’utiliser des catégories théologiques, car il me semble que notre situation devient proprement incompréhensible si on refuse de considérer qu’à l’origine de la crise climatique et de la menace nucléaire, deux principales menaces qui pèsent sur la survie même de la vie humaine sur terre, il y a l’activité de l’homme, ses désirs d’appropriation qui sont exactement ce que l’on appelle le péché.
C’est le mal présent dans le cœur de l’homme qui est la source première de tous nos dérèglements !
La volonté de dominer et celle de posséder sont des catégories qui peuvent sembler démodées, mais tout de même assez éclairantes. Essayer de décrire notre situation avec ces menaces en s’interdisant de recourir à ces catégories, c’est volontairement s’aveugler devant l’évidence. C’est aussi risquer de refuser de chercher des solutions là où elles se trouvent, puisque c’est le mal présent dans le cœur de l’homme qui est la source première de tous nos dérèglements. La solution n’est pas l’actuelle négociation, mais évidemment la conversion du cœur pour en faire sortir le mal. Ce qui n’est pas une petite affaire, j’en conviens!
Le Verbe: Comment fait-on pour parler du péché dans notre société qui est nettement passée à autre chose?
Frère Adrien Candiard: Elle est passée à autre chose parce que sans doute se fait-elle du péché une image tout à fait inexacte. C’est-à-dire qu’on y voit quelque chose d’assez puéril: la simple transgression d’un interdit, plus ou moins arbitraire, d’ailleurs. Or, au contraire, ce que Jésus dans l’évangile révèle sur la nature même du péché, sur la nature même du mal, c’est que le mal est destructeur. Il n’est pas interdit parce que cela ne fait pas plaisir au bon Dieu. Il est interdit en raison de ses conséquences. Ce que nous expérimentons aujourd’hui, ce sont précisément ces conséquences destructrices. Il ne s’agit pas tant de réhabiliter un mot que de montrer la pertinence d’un concept.
Le Verbe: Vous nous invitez à lire les discours apocalyptiques bibliques, mais surtout ceux de Jésus. Pourquoi?
Frère Adrien Candiard: Car dans ses discours apocalyptiques, Jésus nous révèle d’abord le sens du mal et il nous déclare que le péché a des conséquences destructrices. Cela ne veut pas dire, qu’on le comprenne bien, cela ne signifie pas un retour à une tradition selon laquelle les catastrophes seraient une punition pour nos péchés. C’est évidemment une lecture absolument catastrophique de l’évangile. Ce n’est jamais ce que Jésus dit.
En revanche, les catastrophes sont les conséquences de notre péché dont les textes apocalyptiques nous révèlent les dimensions destructrices et dramatiques. Heureusement, cela ne s’arrête pas là. Essentiellement, dans ses discours apocalyptiques, Jésus nous dit que dans ces catastrophes-là se joue quelque chose de plus important: la naissance, la gestation du Royaume de Dieu. Cet enfantement, c’est le nôtre, celui de fils et de filles de Dieu.
Le Verbe: Les discours apocalyptiques de Jésus ne sont pas populaires auprès de certains chrétiens. Pourquoi, selon vous?
Frère Adrien Candiard: Parce que je crois, sans doute en réaction à cette modernité que j’évoquais tout à l’heure qui nous a forcés à sortir Dieu des explications du monde, que les chrétiens auraient tendance à rabattre Dieu sur le domaine de l’intime, du rapport personnel à Dieu, en évacuant tout ce que la bible nous dit de l’action de Dieu dans l’histoire. La relation intime avec Dieu compte, mais il n’y a pas que cela. Dieu ne se contente pas de murmurer à l’oreille des croyants. Il agit aussi dans l’histoire du monde. Sans doute avons-nous besoin de retrouver le sens de cette réalité-là.
Le Verbe: Et quelle serait l’action de Dieu en ce moment?
Frère Adrien Candiard: L’action de Dieu est celle de la victoire sur le mal qui prendra une forme définitive et complète, mais qui est déjà à l’œuvre. La première manière qu’a Dieu de sauver, c’est de se révéler. De révéler la réalité de son amour, ce à quoi le cœur humain aspire. Cette manière de sauver en révélant qui il est, en révélant son amour infini et inconditionnel pour chacun, peut à la fois provoquer la joie chez ceux qui l’accueillent et, en même temps, provoque – et a toujours provoqué – le rejet et la violence. C’est le cas depuis la venue du Christ, qui est mis en croix précisément parce qu’il annonce l’amour de Dieu donné à tous sans condition.
Cette contradiction n’est pas près de disparaitre. Le christianisme n’est pas une théorie sur l’histoire qui, par optimisme, imaginerait que tout va aller toujours pour le mieux, tout va progresser au fur et à mesure que la révélation est annoncée dans le monde. Au contraire, plus la révélation est reçue et plus progressent, en même temps, et le bien et le mal.
Le Verbe: On doit vivre avec?
Frère Adrien Candiard: «Vivre avec» pourrait signifier un fatalisme un peu résigné. Je n’y crois pas du tout. Il faut lutter contre le mal. Il ne faut pas s’y faire. Abstraitement, le mal, cela n’a pas l’air si mal. Toutefois, lorsqu’il s’agit de gens qui meurent, de souffrance, de cruauté, il faut tout faire pour lutter contre le mal. En revanche, dans cette action de lutter contre le mal, il ne faut pas s’imaginer que notre action associative, politique va suffire à éradiquer le mal. Justement, toute la difficulté de l’action humaine, c’est d’avoir l’humilité d’agir quand même. Cette action peut quand même faire du bien.
Le Verbe: Vous employez les verbes lutter et agir. Donc les chrétiens, face à la crise écologique, sont invités à lutter et à agir?
Frère Adrien Candiard: Bien sûr! De la même façon que la certitude de la vie éternelle n’a jamais poussé les chrétiens à se désintéresser de la vie sur terre ou encore à prôner le suicide collectif. De toute façon, nous avons à prendre soin de la création, non pas parce qu’elle serait une espèce de dieu éternel et notre seul espoir. Non, notre seul espoir, ce n’est pas la création, mais c’est le Créateur. Nous avons d’autant plus à prendre soin de la création que nous en faisons et que cette création est le terrain, le lieu de ce travail de gestation du Royaume de Dieu.
Le Verbe: Quel message avez-vous à donner aux adolescents d’aujourd’hui?
Frère Adrien Candiard: N’ayez pas peur! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la bible. Elle ne le dit pas simplement comme une injonction, un commandement qui ne servirait à rien. Elle le dit en nous apportant des raisons de ne pas avoir peur, des raisons d’avoir confiance. Non pas dans le résultat de nos actions, non pas dans l’Église qui a toujours raison. Elle nous demande d’avoir confiance en Dieu et de croire que le mal a été battu.