Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Des gangs de rue à la bande de marmots

Avec ses deux sacs poubelles et sa boite en carton, Mathieu était loin du prestige des gangs de rue de Montréal. Itinérant depuis des mois, il venait d’atterrir à Verdun, sur le perron du presbytère des moines barbus en bures grises. Il était prêt à tout.

Sa carrière criminelle avait été brève. Il n’était pas très bon, se plait-il à dire. Il avait arnaqué son entourage au grand complet. «Je squattais chez l’un, puis chez l’autre. J’ai même volé ma mère. J’ai trahi la confiance de tous. Je me suis retrouvé seul», laisse-t-il tomber, avec ce regard tendre des criminels repentis.

Il errait dans les parcs de Hochelaga-Maisonneuve, là où il avait grandi. Sa mère, inquiète, passait à l’occasion. «Elle m’a proposé de revenir chez elle. J’y suis pas resté longtemps. On se chicanait trop.»

Combines

Trouver le tour de gagner 10 ou 20 dollars pour acheter quelques grammes de pot, c’était le but de sa journée. Tous les moyens étaient bons: vendre sa carte d’assurance sociale; se faire passer pour un dealeur et filer avec l’argent.

Il avait l’expérience des combines. À sept ans, il trainait dans les ruelles avec sa gang: «On pitchait des roches, on sonnait aux portes. Au secondaire, j’ai monté une gamique pour foxer mes cours, tous les jours, sans que personne s’en rende compte. J’étais bon à l’école, mais j’étais paresseux. Je m’ennuyais, alors je suis parti. Le seul reproche que je pourrais faire à ma mère, c’est de ne pas avoir insisté pour que j’y reste.»

On pourrait croire qu’il faisait tout ça juste pour mal faire. Mais il sait, mieux que personne, que c’était pour être quelqu’un aux yeux des autres, lui qui n’avait jamais été grand-chose pour personne, à commencer par ses parents. «Ma mère avait 18 ans quand elle m’a eu. Mon père était parti. Les services sociaux ont voulu lui faire signer des papiers d’adoption, mais elle a refusé. J’ai été barouetté d’une famille à l’autre: ma grand-mère, ma tante Danielle, ma tante Johanne, mon oncle aussi… Le jour où j’ai appelé ma tante “maman”, ma mère est arrivée en trombe et m’a gardé.»

Encore aujourd’hui, à 43 ans, Mathieu est un homme qui crée difficilement des liens. «Je suis attaché à ma femme et à mes enfants, mais ceux qui sont gentils avec moi, qui veulent me rendre service, qui manifestent de l’amitié? Je demeure méfiant… Mais j’y travaille!»

Avec l’adolescence arrivent les gangs de rue, l’alcool, la drogue, le sexe. «Ce n’était pas comme les gangs d’aujourd’hui, rattachés aux motards et au crime organisé, c’étaient les années 1980. Il y avait les Haïtiens, les Latinos… On se tenait au parc. On se battait à coups de bâtons de baseball et de machettes. Aujourd’hui, c’est des guns

Jusqu’à 23 ans, il y va à fond: abus de drogues et d’alcool, trafic de stupéfiants, vols de voitures, vols par effraction. Son dossier criminel prend de l’épaisseur, les amendes pénales s’accumulent, comme les démêlés avec la justice. Les quelques «détentions préventives» ne changent rien.

Y avait-il une petite voix qui lui disait d’arrêter? «Tout l’temps! Je regardais le monde, la vie “normale”, je me disais qu’un jour j’allais devoir rentrer là-dedans, mais je retournais à la dope pis au sexe pour faire taire ma conscience.»

La vie adulte

Sa blonde le quitte. Il consommait trop. Cette rupture pousse Mathieu vers une réunion de Narcotiques Anonymes.

«J’ai arrêté de consommer, mais sans changer mes comportements. Je ne payais pas mon loyer. Je volais des trucs à ma job. Mais il y avait une fille qui m’attirait. Les mercredis, elle se rendait au Pharillon, des soirées qui ressemblaient à celles des NA, mais chrétiennes. J’étais méfiant par rapport à ça, mais comme elle en revenait toujours tellement joyeuse, j’y suis allé. J’ai rencontré le fondateur, l’abbé Christian Beaulieu, un passionné! Sa façon d’enseigner m’a accroché. C’est là que ma guérison a commencé, en même temps que ma foi.»

C’est ainsi qu’il aboutit sur le perron des frères franciscains de l’Emmanuel, qui l’accueillent avec charité, tout en cultivant la vérité.

«J’ai vécu cinq ans là-bas. Les moines ont joué le rôle de père avec moi. Avec eux, j’ai repris contact avec ma masculinité, j’ai appris à agir en homme.»

Un matin, par exemple, frère Denis-Antoine le voit dans la cuisine. Surpris, il demande: «Tu travailles pas aujourd’hui?» Mathieu répond que non, qu’il n’en a plus envie.

«Il m’a répondu: “Mon père a travaillé dans les mines de Rouyn-Noranda six jours sur sept toute sa vie. Travailler, c’est pour mettre du pain sur la table; pas pour s’amuser!” Cette réponse m’a marqué. J’avais la mentalité du moindre effort. Après toutes ces années, je lutte encore contre ça. Je reste vigilant.»

Une autre fois, Mathieu exprime son désir de rencontrer une femme. Il voulait, disait-il, partager sa vie avec quelqu’un. Frère François-Marie, réputé pour ne pas avoir la langue dans sa poche, avait lancé: «Si tu veux offrir ta vie à quelqu’un, faudrait d’abord que tu la rendes intéressante!»

«C’était raide, mais c’était la première fois qu’un homme me parlait comme ça, avec douceur, sans jugement. Il avait raison! Je n’avais pas de travail sérieux, pas de scolarité. Je recherchais toujours la facilité.»

Les cicatrices

À travers quelques rechutes et des problèmes de comportement qui persistent, Mathieu «grandit comme homme et comme chrétien». Il fréquente le groupe de prière des Sœurs de la Providence, lesquelles l’aident énormément.

«Là, j’ai rencontré Annie, ma femme. Elle avait son appartement, sa job, son auto… Moi? Deux sacs! Une boite! J’habitais un presbytère! Je ne pouvais même pas encaisser un chèque, c’est elle qui me les changeait. Je faisais dur! Ça m’a challengé

Le couple décide de se marier. Annie reçoit un diagnostic de cancer. Ils retardent le mariage. Par miracle, Annie s’en remet tandis que Mathieu déniche un travail dans une multinationale. Ils se marient le 3 juillet 2005.

«Après 17 ans de mariage et trois enfants, on est un couple uni. Juste ça, c’est un miracle! lance Mathieu tout souriant. On n’est pas parfaits. On claque les portes, mais on se pardonne. On s’ajuste. Avec le temps, on a trouvé la communauté chrétienne idéale pour notre famille. À force de fraterniser et de prier ensemble, je constate que chaque famille, chaque couple a ses défis.»

Devenir chrétien ne signifie pas vivre au pays des merveilles. Le passé laisse des cicatrices. «La drogue a bousillé ma mémoire et ma concentration. Je souffre d’être incapable de lire. Prier est ardu. Ma relation aux femmes et à la sexualité demeure complexe. Je suis attiré par les plaisirs faciles qui sécrètent de la dopamine, comme boire, manger, dormir, scroller [NDLR: faire défiler l’écran à l’infini] sur Facebook… J’y résiste de plus en plus, par la grâce de Dieu.»

Cette connaissance de soi, de ses forces, de ses faiblesses, ça, c’est du solide. Il a une résilience hors du commun. Peu de choses l’intimident. Il ne craint pas les itinérants éméchés, couchés par terre. «On leur fait des biscuits et on va les leur porter, en famille.»

Il n’a pas peur non plus d’aller parler au voisin qui cause des embêtements. «J’ai une force de caractère et physique qui me permet d’endurer beaucoup de choses. Je pense que ça m’aide à être un rocher pour ma famille.»

Se défaire de la méfiance reste un combat, mais la vie spirituelle procure un nouvel éclairage. «Le jour où j’ai reçu l’Esprit Saint, tout a changé. C’est comme si j’avais des vitres toutes sales et que les prières les avaient nettoyées. J’ai pu voir les dons que Dieu avait préparés pour moi depuis toujours.»

Et le plus beau? «C’est le pardon. Dieu m’a pardonné tout ce que j’ai fait. Ce serait mal de ne pas me pardonner à moi-même. Ça voudrait dire que mon jugement à moi est plus grand que celui de Dieu.»

Mathieu en est venu à remercier Dieu pour son histoire. Cette histoire, comme il le dit, qui parle bien plus des actes concrets et bienveillants de Dieu que de ses mauvaises actions à lui. N’est-ce pas dans le fumier, d’ailleurs, que poussent les plus belles fleurs?

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.