Sur la terre comme au ciel
Image : AXIA FILMS

Sur la terre comme au ciel : entre aliénation et authenticité

À l’affiche dès le 12 avril, Sur la terre comme au ciel, de la réalisatrice Nathalie Saint-Pierre, est assurément l’un des tout premiers films québécois à mettre à l’écran un processus de désaliénation religieuse. Les performances attachantes d’Édith Cochrane et de la recrue Lou Thompson servent un récit qui donne à réfléchir au sens de la liberté et de l’identité.

Deux sœurs — Sarah et Clara Gagnon — ignorent tout du monde en dehors de leur communauté chrétienne aux relents sectaires, isolée dans la campagne maniwakienne. Sarah saisit une occasion pour s’enfuir, créant un vide qui propulse sa petite sœur Clara à sa poursuite jusqu’à la métropole québécoise. À l’improviste, Clara surgit chez sa tante Louise, qu’elle ne connait pas, mais chez qui elle croit pouvoir retrouver son ainée. En vain, elle prolonge ses recherches aux côtés de cette tante alcoolique et libertine qu’elle apprend à aimer ; un séjour pendant lequel s’amorce la quête de sa propre identité.

Dans le même genre de récit d’émancipation, on peut penser à Unorthodox, diffusée sur Netflix en 2020. Cette minisérie raconte l’histoire d’une jeune femme juive qui fuit à Berlin pour s’affranchir de sa communauté hassidique new-yorkaise.

Il y a un certain danger à s’attaquer au phénomène de l’endoctrinement : celui de tomber dans un manichéisme facile où le religieux est présenté de manière caricaturale par opposition à un monde séculier aux aspects idylliques. Autrement dit, ce serait inverser bêtement les pôles moraux et appliquer la même logique que l’on cherche à dénoncer.

Plaidoyer pour le questionnement

L’intérêt de Sur la terre comme au ciel, c’est justement qu’il ne tombe pas dans ce piège. Certes, la critique de la certitude religieuse est présente, mais elle ne se déploie pas à l’avantage d’un monde séculier idéalisé ou supérieur. Bien au contraire, la société et les personnes que Clara découvre sont aussi porteuses de fragilités qui mènent à une forme ou à une autre d’aliénation.

En ce sens, le film de Nathalie Saint-Pierre n’est pas une critique de la religion. Il est plus profondément un plaidoyer pour le questionnement, l’ouverture d’esprit, voire la liberté de conscience.

« Je trouvais important de montrer une vision du monde avec toute sa complexité, explique la réalisatrice. Je ne voulais pas avoir un personnage qui quitte un dieu pour un autre, sa chapelle pour une autre. Je voulais faire un portrait de notre monde, des fractures sociales existantes parce que nous sommes campés dans nos certitudes et que nous ne nous écoutons pas vraiment. »

Selon elle, l’aliénation y est présentée sous sa forme religieuse, mais elle peut se manifester autrement : relations, dépendances, idéologies, etc. Le film montre bien la variété de ces échappatoires, surtout avec l’alcoolisme du personnage d’Édith Cochrane.

«Les deux sœurs ont des ressources intérieures pour faire
ce qu’elles font. Avoir été aimé, c’est ce qui donne de la force,
de la confiance en soi. Clara, elle est droite. »

Clara, la jeune protagoniste, agit donc comme figure emblématique de l’émancipation. Son cheminement, qui lui fait prendre ses distances par rapport à ce qu’elle a reçu, lui permet de développer une pensée et une personnalité qui lui sont propres.

« C’est dramatique de renoncer à l’amour des siens, de sa famille, ajoute Nathalie Saint-Pierre. On peut imaginer que, dans son avenir, elle vivra un décalage constant avec sa génération. Elle aura de la difficulté à connecter avec eux. La solitude est le prix à payer pour suivre son chemin. »

Le doute et la quête

La thèse de Sur la terre comme au ciel est nommément inspirée de Voltaire : « Le doute n’est pas une condition agréable, mais la certitude est absurde », cite la réalisatrice. Selon elle, c’est l’angoisse de l’incertitude qui plonge les individus dans l’aliénation personnelle ou sociale.

À cette « certitude » voltairienne, d’autres y verront — et y préfèreront — la confession augustinienne : « Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais […] Tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi. »

Même si elle affirme sans ambages ne pas avoir voulu y aborder la question spirituelle, la réalisatrice de Sur la terre comme au ciel donne à voir un personnage principal qui se démarque de tous les autres par son intégrité, une qualité qui ne nie pas son origine : « Je pense qu’elle a été une enfant aimée et soutenue, avec une communauté, avec sa sœur, qui est sa meilleure amie, avoue Saint-Pierre. Les deux sœurs ont des ressources intérieures pour faire ce qu’elles font. Avoir été aimé, c’est ce qui donne de la force, de la confiance en soi. Clara, elle est droite. »

On ne peut que s’émerveiller de l’authenticité de la quête de Clara, qui, par une véritable démarche intérieure, devient un peu plus elle-même.

Fidèle à sa position relativiste, Nathalie Saint-Pierre se refuse à donner une seule et unique interprétation au titre de son film. Elle en apprécie la référence religieuse et « l’aspect plus ouvert, plus lumineux, poétique », mais elle laisse libre cours à chacun de l’interpréter.

Sur la terre comme au ciel est un film touchant qui, malgré une finale aux aspects formels douteux, a le mérite d’éveiller en nous un grand respect pour la dignité de chaque personne et pour son histoire personnelle.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.