Depuis les années 1960, les sociétés occidentales sont profondément marquées par la « révolution sexuelle ». Elle se présente comme un mouvement de libération à l’égard de normes sexuelles jugées oppressantes afin que chacun détermine librement sa sexualité. Dans la présentation habituelle des choses, s’opposer à ce mouvement, c’est s’opposer à la liberté et au progrès de la société. Ne pourrait-on pas y jeter un nouveau regard, plus critique et nuancé ?
Pour renouveler notre regard sur la révolution sexuelle, la proposition de Louise Perry, jeune journaliste et féministe anglaise, est des plus pertinentes. Dans son récent livre intitulé The case against the sexual revolution, elle montre bien comment ce mouvement de libération sexuelle s’est avéré problématique à plusieurs égards. Plutôt que de libérer et d’épanouir la sexualité de tous, elle s’est plutôt révélée nuisible de bien des manières, surtout pour les femmes.
L’argumentation déployée est simple et puissante. Plutôt que de juger la révolution sexuelle en elle-même, de manière directe, l’autrice l’évalue à partir de ses effets, de plus en plus observables. L’idée n’est pas tant de critiquer la révolution sexuelle à partir d’idées extérieures, mais plutôt de montrer qu’elle n’a pas donné les fruits attendus, ce qui dévoile ses problèmes.
Trois fruits problématiques
Le désenchantement sexuel (sexual disenchantment), premier mauvais fruit. C’est l’idée que le sexe n’a rien d’intrinsèquement spécial, que c’est une activité parmi d’autres : « “C’est seulement du sexe” résume parfaitement l’idée du désenchantement sexuel[1]. » Il est une conséquence nécessaire de la révolution sexuelle, car « si tu veux être complètement libre, tu dois avoir comme cible toute forme de restriction sociale qui te limite, particulièrement la croyance selon laquelle le sexe a une certaine valeur unique, intangible ».
Cette idée s’impose comme une nouvelle norme même si peu de personnes y croient réellement et qu’elle engendre beaucoup de souffrances. Le mouvement #MeToo a bien montré que cette souffrance est encore plus manifeste chez les femmes : « Cet épanchement de rage et de tristesse est une évidence que la culture sexuelle ne fonctionne pas pour les femmes. » Plus généralement, les gens sentent bien que le sexe possède quelque chose de spécial ou d’unique, qu’« avoir du sexe n’est pas la même chose que faire un café ». Cependant, « quand l’idéologie du désenchantement sexuel nous demande de prétendre qu’il en est autrement, le résultat peut être une dissonance cognitive souffrante ».
La diminution de la jouissance chez les femmes, deuxième mauvaise surprise. En favorisant le sexe sans engagement (casual sex), la révolution sexuelle a promu une forme de sexualité qui apporte moins de plaisir et d’épanouissement aux femmes : « D’autres études trouvent systématiquement la même chose : après les relations d’un soir (hook-ups), les femmes ont plus de probabilité que les hommes d’expérimenter du regret, de la mauvaise estime d’elle-même et des détresses mentales. Et la plupart du temps, elles n’ont même pas d’orgasme. » En apportant plus de liberté sexuelle, nos sociétés n’ont pas augmenté, mais plutôt diminué la joie des femmes.
Il ne s’agit pas ici de choisir entre la liberté et les normes,
mais plutôt de voir que les repères naturels sont là pour
aider notre liberté sexuelle à s’épanouir.
Plus grand risque de solitude chez les femmes, troisième pomme pourrie. Enfin, le nombre de femmes à risque de se retrouver seules et enceintes a augmenté, ce qui est un grave problème. Comme les moyens de contraception n’enlèvent pas complètement la possibilité de tomber enceinte, les relations sexuelles libres représentent toujours un plus grand danger pour les femmes. En invitant à vivre des relations sexuelles en dehors du mariage, la «révolution» n’a pas libéré, mais fragilisé les femmes. Elle a attaqué une institution qui était précisément à leur service : « Une prohibition sur le sexe avant le mariage servait les intérêts non pas masculins, mais féminins, car elle protégeait le groupe de personnes qui porte (littéralement) les conséquences d’une grossesse extraconjugale. »
Un regard plus profond
Louise Perry a posé les bases d’un regard renouvelé sur la révolution sexuelle. Il faut maintenant approfondir afin d’en saisir la source. Si la racine de ces problèmes n’est pas exposée, comment les régler ?
Il nous faut revenir au cœur de cette révolution, à son idée centrale autour de laquelle tout le reste s’articule et qui est assez simple : la sexualité serait dépourvue de finalité naturelle. Si elle ne possède pas de nature propre ni d’orientation naturelle, les normes sexuelles qui en découlent et qui doivent guider nos choix perdent leur socle.
En fait, notre liberté est réelle, mais elle n’est pas absolue, elle doit se laisser guider par notre nature. Tant que nous n’accepterons pas que notre sexualité possède sa nature et ses finalités propres, nous retomberons toujours dans divers maux. Si nous ne voulons pas que notre liberté sexuelle se retourne contre nous, nos choix doivent prendre en compte ce qu’est réellement notre sexualité. Il ne s’agit pas ici de choisir entre la liberté et les normes, mais plutôt de voir que les repères naturels sont là pour aider notre liberté sexuelle à s’épanouir.
Comme le relevait bien Louise Perry, notre sexualité a quelque chose de spécial et d’unique qu’il nous faut redécouvrir. Cette merveille du sexe humain n’est pas quelque chose d’énigmatique et d’insaisissable, mais une réalité toute simple qu’il est essentiel de retrouver : elle est faite pour être une union féconde, un amour capable de donner la vie.
Voici une belle piste à redécouvrir pour notre époque, une voie pour déraciner les problèmes sexuels qui nous affectent : retrouver la vraie nature de la sexualité, sa double dimension d’union amoureuse et d’ouverture à la vie. Plutôt que de nier ou de séparer ces deux aspects de notre vie sexuelle, cherchons à renouer leur lien afin que la sexualité soit pleinement source d’amour et de vie.
[1] Louise Perry, The case against the sexual revolution, Polity, 2022. Toutes les citations françaises sont des traductions personnelles.