Lucas
Avec l’aimable autorisation de PVP média

Quelle place pour les «Lucas» dans le monde?

Rares sont les occasions concrètes aujourd’hui de s’arrêter quelques instants pour réfléchir à la valeur de la vie. De se demander ce que signifie réellement cette expression galvaudée qu’est «la qualité de vie». De remettre en question ce que la société nous présente comme des évidences.

Le documentariste Éli Laliberté nous offre le cadeau d’une de ces occasions. À travers son documentaire Lucas, une espèce humaine en voie de disparition, il s’attaque avec doigté et pertinence au sujet sensible de l’eugénisme.

Au premier plan, le réalisateur nous présente l’univers de son fils Lucas, porteur de trisomie 21. Le jeune homme de 22 ans voyage avec son père, a le rythme dans le sang, fait du rap, vit une vie où il s’épanouit complètement. Pourtant, à l’annonce (postnatale, il faut le noter) du diagnostic de son fils, Éli Laliberté s’est senti désemparé, se demandant à quoi ressemblerait désormais sa vie, avec un enfant différent. Aujourd’hui, sa quête est portée par la question inverse : impossible pour lui d’imaginer sa vie sans la présence de la trisomie dans sa famille.

Lucas

Un programme discutable

Sa réflexion le mène à remettre en question le programme québécois de dépistage prénatal offert gratuitement (et souvent même sans en informer explicitement les parents) à toutes les femmes enceintes. Il rencontre ainsi des médecins en néonatalogie, des chercheurs, des familles ayant accueilli un enfant trisomique, et voyage jusqu’au Danemark (où des mesures semblables au Québec sont en place) afin de comprendre les réelles conséquences d’une telle politique.

Le sujet est pour le moins épineux puisqu’il implique nécessairement de parler d’avortement. Mais le documentariste s’en tire bien : il n’accuse personne, il ne cherche à culpabiliser aucune famille. Il s’attaque plutôt, avec raison, aux décisions de société, aux choix que les gouvernements ont faits sans se soucier réellement de leurs répercussions sur les femmes et les familles. Pourquoi, en effet, dépister la trisomie 21 pendant la grossesse, si ce n’est pour réduire le nombre de naissances d’enfants trisomiques? Et c’est là l’hypocrisie de la chose : il s’agit d’une politique nationale qui oblige en fait les parents à prendre l’ultime décision et à vivre avec les conséquences, peu importe la direction dans laquelle ils s’engagent.

Parce que si le but réel de ce programme de dépistage était simplement d’informer les parents, il y aurait alors un véritable accompagnement qui viendrait avec le résultat du test. On présenterait un éventail d’informations sur ce qu’implique concrètement le fait de vivre avec la trisomie 21, sur la réalité des familles qui accueillent ces enfants différents, sur ce qu’ils apportent aux autres, à leurs proches, à la société.

L’amour d’un père pour son fils

Éli Laliberté pose ces questions directement, sans prendre de détour. Il ne cache pas non plus son opinion. Plusieurs choix dans sa réalisation appuient son propos : il n’hésite pas à transposer des images de parades nazies, alors qu’il visite des pays d’Europe qui appliquent les mêmes politiques périnatales qu’au Québec, il parle avec des intervenants qui partagent son malaise, etc.

Mais ce documentaire n’est pas lourd. Certes, son visionnement est par moment troublant, voire choquant par les statistiques présentées, mais la simplicité de la réalisation allège le propos. On suit Éli Laliberté dans sa quête. En fait, on suit Éli Laliberté et son fils Lucas dans cette quête. Et on présente aussi d’autres familles comme la leur, dont une qui s’est donné la mission, au Danemark, d’accueillir des couples ayant reçu un diagnostic de trisomie 21 pour leur enfant à naitre et qui sont encore en réflexion, seulement pour qu’ils puissent voir autre chose que des statistiques et des données. On voit de jeunes trisomiques qui font du rap avec Lucas, qui donnent des concerts en Europe devant des salles pleines à craquer, on les entend souhaiter avoir une place dans la société, être utiles.

Lucas, une espèce humaine en voie de disparition mérite d’être vu par tous les généticiens, les gynécologues, tous les étudiants en médecine. Par tous les couples attendant un enfant, et pourquoi pas avant même de subir les dépistages prénataux!

Un film plein de l’amour d’un père pour son fils, disponible gratuitement sur tou.tv.

Florence Malenfant

Détentrice d'un baccalauréat en histoire de l'art à l'université Laval et d'un certificat en révision linguistique, Florence a une affection particulière pour le bouillon de poulet et un faible pour la littérature russe!