Les plus vieux d’entre vous se souviendront très probablement du temps où les petites images pieuses étaient omniprésentes dans la vie des gens. Les plus jeunes auront peut-être le souvenir vague d’une petite image, souvent un peu kitch, qui trainait sur la table à café ou dans la bibliothèque des grands-parents. Incursion dans l’univers de l’imagerie pieuse de petit format.
La meilleure manière d’illustrer ce qu’est l’imagerie pieuse de petit format est de reprendre l’analogie que l’ethnologue Pierre Lessard, au début des années 1980, utilisait pour vulgariser le phénomène : les cartes de hockey.
Sauf que, dans ce cas-ci, les joueurs étoiles sont le Christ, la Vierge, les saint(e)s, les anges, la messe, le baptême, etc. Bref, c’est l’ensemble des récits bibliques, hagiographiques et même parfois apocryphes qui sont représentés.
L’imagerie pieuse est donc une illustration en pièces détachées de l’histoire sainte, de la Genèse à l’Apocalypse, et de la vie religieuse du chrétien, du baptême aux funérailles. Des centaines de milliers d’images pieuses de petits formats existent, produites à diverses époques, dans divers matériaux et esthétiquement très variées. Comme avec les Pokémons, c’est donc impossible de les attraper toutes !
Les origines
Ces petites images dévotes trouvent leur origine dans les manuscrits enluminés du Moyen Âge où l’image venait accompagner le texte. Petit à petit, la demande grandissante des élites pour des supports dévotionnels à usage privé a fait en sorte que l’image s’est émancipée du livre. Pourquoi cette demande ?
D’abord, parce que ce n’est tout simplement pas pratique pour se recueillir en prière que de devoir tenir son livre ouvert en même temps !
Ensuite, parce qu’il faut bien se l’admettre: toujours devoir se rendre à l’église pour prier devant l’image de son saint préféré, c’est agaçant, surtout l’hiver… Et c’est ce qui explique que des images enluminées ayant un usage dévotionnel ont été produites sur des feuilles volantes.
Le fidèle qui se retrouve en présence d’une image familière, par exemple le Christ, tombe instinctivement dans des dispositions mentales plus favorables pour prier.
À partir du 15e siècle, avec l’apparition de la gravure, les techniques de production commencent à changer. L’enluminure cède sa place au canivet. Étymologiquement, le mot canivet signifie tout simplement « petit canif ».
La technique de fabrication des canivets est somme toute assez simple. Le support, souvent en vélin, en parchemin ou plus simplement en papier, est appliqué sur une plaque de bois dur et découpé à l’aide d’une lame (le petit canif de tantôt) dans le but d’y créer des motifs décoratifs imitant la dentelle sur les contours de l’image.
Au 19e siècle, le procédé se mécanise et une machine remplace le canif. Dès le premier quart du 20e siècle, la grande majorité des images finiront par être tout simplement lithographiées ou imprimées, procédés qui sonnent le glas de l’imitation des motifs de dentelles.
Des outils d’évangélisation
Pour l’Église, l’image pieuse, peu importe son format, a d’abord un rôle mémoriel en rendant possible la représentation d’un divin désormais invisible. C’est le même principe qu’avec les photos des membres de votre famille qui sont décédés. À défaut de ne plus pouvoir aller leur faire un petit « coucou » en personne, l’image vous sert à en garder le souvenir vivant.
L’image peut aussi être narrative. Dans ce cas, elle fait surtout appel à la mémoire du fidèle qui se remémore le récit hagiographique ou l’épisode biblique qu’il connait. L’image narrative est évidemment un excellent outil d’évangélisation. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’aux 19e et 20e siècles, la majorité des petites images pieuses seront distribuées dans un contexte scolaire.
Mais surtout, comme nous l’avons vu, l’image peut faire appel aux émotions du fidèle et être un support dévotionnel. Et lorsque l’usage dévotionnel prime, l’image, dans sa qualité d’objet, devient pour le dévot une référence mentale, une image d’abord intérieure.
Pour le dire simplement, le fidèle qui se retrouve en présence d’une image familière, par exemple celle du le Christ, tombe instinctivement dans des dispositions mentales plus favorables pour prier. C’est ce qui fait que la prière risque d’être plus satisfaisante face à une image du Sauveur que devant un microonde… (Faites le test. Je vous assure que ça fonctionne.) Thérèse d’Ávila, Thomas d’Aquin, une horde de psychologues et d’historiens de l’art l’ont démontré : l’image a un grand pouvoir.
Et c’est ce qui explique l’immense diffusion et le succès ininterrompu des images pieuses depuis des siècles : c’est peu dispendieux, esthétiquement plaisant, et surtout, ça fonctionne.