La chicane (pas le groupe, la vraie)

Être né dans une grande famille comporte de nombreux avantages. Parmi ceux-ci, il y a celui, indéniable, de pouvoir raconter une histoire à propos d’un frère ou d’une sœur tout en maintenant un flou artistique sur son identité. C’est entre autres pour cela que mon épouse et moi avons décidé d’offrir le même privilège à nos enfants.

L’autre jour, je discutais donc avec une de mes sœurs de sujets tous plus légers les uns que les autres : masculinité toxique, immigration, dérives bioéthiques. Puisqu’on ne se voit pas souvent, on ne perd pas trop de temps avec le placotage météorologique. Et comme c’est souvent le cas dans les grandes familles, je dois avouer que nous n’étions pas dans le plus parfait des accords. Il se peut même que le ton ait monté.

Pour ne pas nuire à sa réputation, je ne vous dévoilerai rien des opinions qui étaient les siennes sur ces sujets. Pour des raisons similaires, je vous épargnerai aussi les miennes.

Cet article est d’abord paru dans notre magazine de janvier 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

À la fin de la soirée, il fallait bien prendre congé de l’autre et retourner chacun dans ses quartiers. Comme j’avais le bonheur de la revoir le lendemain à l’occasion du baptême d’un neveu commun (au moins ça en commun !), nous avions le loisir de nous laisser sur une querelle en suspens.

Dénominateur commun

Toute la journée qui séparait nos deux rencontres, je l’ai passée à retourner mes arguments, à fourbir mes armes discursives et surtout à mariner dans l’amertume de m’être un peu trop emporté la veille. J’avais l’intime conviction que j’avais raison sur toute la ligne, mais quelque chose me disait que ce n’était pas suffisant. Mieux encore que d’écraser l’adversaire, il me fallait faire de ma sœur une amie. Alors, ce serait la victoire totale.

Voici comment – après avoir prié un peu, je le concède – je suis revenu à la charge. Ce qui m’inquiète, lui dis-je entre deux bouchées de sandwich-pas-de-croute, tant chez certains nationalistes conservateurs un brin rigides du bas du dos que chez les abonnés de l’Internationale « woke », c’est le désir de laver le monde de tout ce qui pue, ce qui dépasse, ce qui ne cadre pas parfaitement dans leur vision du Bien. Et pas n’importe comment : à grands coups de lance-flammes, de seaux d’eau de Javel et de bulldozer. Nous nous entendions là-dessus.

En descendant jusqu’à ce « plus petit dénominateur commun », celui de la méfiance envers les pharisiens de tous acabits, je savais qu’il y aurait là un socle commun pour que la dispute reparte non plus à partir de nos divergences, mais sur la base de nos sentiments partagés.

La constance de mon interlocutrice lui aura permis de pardonner mon emportement de la veille. Mais il serait hasardeux de penser que l’exposition au grand jour de nos désaccords n’était pas un passage nécessaire de la communion à venir. Étape aussi déroutante qu’utile dans la dispute. Une étape pas jolie, pas proprette, rien de pur ici.

Pour 2022, je nous souhaite des chicanes de qualité supérieure, du type qui forge la communion.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.