l'abbé Pierre
Image tirée du film L'abbé Pierre: une vie de combats (avec l'aimable autorisation de AZ Films).

Les mille-et-un combats de l’abbé Pierre

Un texte d’Alexis Drapeau-Bordage

L’Abbé Pierre : Une vie de combats arrive dans les cinémas québécois le 22 décembre prochain. Réalisé par Frédéric Tellier et sorti en France depuis novembre, il s’agit du premier long métrage représentant l’homme de foi français depuis son décès en 2007. Le Verbe a vu le film en projection de presse et a rencontré son acteur principal, Benjamin Lavernhe, de passage à Montréal pour une tournée de promotion.

À l’écran, le célèbre prêtre, cofondateur d’Emmaüs (mouvement d’aide contre la pauvreté et l’exclusion), y est incarné par Benjamin Lavernhe. Un rôle qui vient avec une grande responsabilité considérant l’ampleur du personnage : « on n’a tellement pas envie que les gens qui l’ont connu soient déçus, mais il y a eu plus de plaisir et de joie que de peur », explique l’acteur. 

« Tout biopic est une trahison, c’est un point de vue du réalisateur sur la vie de l’abbé Pierre résumé en deux heures et quart », ajoute-t-il.

Une vision globale 

La vision de Tellier consiste à raconter toute la vie du prêtre, de son départ du couvent des frères capucins en 1939 pour des problèmes de santé jusqu’à sa mort en 2007, en passant par tous les grands moments de son activité.

On découvre entre autres le jeune abbé Pierre, portant encore le nom d’Henri Grouès, comme soldat de la Deuxième Guerre mondiale, puis en tant que membre de la Résistance face à l’occupation nazie. Ses premiers pas en politique à la suite de la guerre y sont aussi abordés.

Le spectateur assiste également aux débuts d’Emmaüs, alors précaire et prompt à diverses embuches judiciaires. Affaire qui changera notamment après l’appel lancé par le prêtre en décembre 1954. Cette prise de parole fera prendre une nouvelle ampleur au mouvement.

Enfin, l’expansion du groupe qui fait de l’abbé Pierre une véritable personnalité médiatique est mise en scène, témoignant de son rapport au pouvoir, à l’argent et aux caméras.

Au cours de l’histoire est présenté un individu décidé à aider les plus démunis, mais également « un homme qui avait des zones d’ombres, qui était aussi injuste, qui était égoïste parfois, qui était complètement dispersé et qui faisait des gaffes », explique Frédéric Tellier.

Ce qui a le plus fasciné l’acteur Benjamin Lavernhe lors de ses recherches sur le personnage, c’est sa résilience et sa détermination à aller jusqu’au bout de son œuvre. « Cet homme, il m’inspire parce que jusqu’à la mort, il a continué à trouver ça insupportable, le fait de ne jamais s’habituer j’ai l’impression que c’est le plus grand défi de notre humanité à tous », résume-t-il.

Des appuis solides

Des réalisations comme celles de l’abbé Pierre ne se font pas toutes seules. Le film permet aussi de découvrir ceux qui ont rendu possible son œuvre caritative. Le rôle de principale complice revient à Lucie Coutaz, secrétaire du prêtre de leur rencontre lors de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort. 

« Elle était là tout le temps, comme un ange gardien », remarque Benjamin Lavernhe, qui a bien étudié ses mentions dans les correspondances de l’abbé. Il se dit particulièrement touché par leur relation et « la poésie de cette tendresse, de cette complémentarité de ce compagnonnage ; je trouve que c’est une très belle histoire d’amour platonique ».

Par ailleurs, le dernier fil de Tellier développe les rapports que l’abbé Pierre entretenait avec plusieurs personnes marquantes de sa vie. Nommons par exemple François Garbit, avec qui il partage grandement sur ses rêves dans sa jeunesse, et Georges Legay, premier compagnon d’Emmaüs que l’abbé a sauvé du suicide. 

Incarner le mythe

Pour bien interpréter le personnage, Lavernhe a fait ses devoirs. Il a lu plusieurs ouvrages sur l’abbé, en plus de nombreuses pages de son journal intime de jeunesse et de lettres provenant de ses correspondances.

« C’était vraiment nouveau pour moi de découvrir l’adolescent qu’il était, un être extrêmement sensible », raconte-t-il. Par ce point de vue changé, il pense avoir pu mieux comprendre, expliquer et incarner la personnalité à l’âge adulte.

Sa préparation comportait également un voyage à Assise, où l’abbé Pierre a vécu une épiphanie particulière. L’acteur a, lui aussi, senti un certain éveil dans la ville de saint François, qui lui a permis de mieux connecter avec l’homme de foi.

Il admet ne pas avoir assisté spécialement à des messes pour se préparer pour le rôle puisque, même s’il était prêtre, « le film ne parle pas tant de ça, mais surtout de son action sociale ». Le port de certains objets religieux l’a également aidé à se rapprocher du personnage : un chapelet qu’il portait tout le temps et une statue de saint François qu’il s’est procurée à Assise.

Incarner ce rôle a aussi permis à Benjamin Lavernhe d’explorer son rapport à la concentration et à l’écoute. Les huit années qu’a vécu l’abbé Pierre chez les capucins l’ont fortement marqué et lui auraient donné de mieux affronter les épreuves qu’il a rencontrées dans le monde.

L’acteur principal a aussi consulté de nombreuses archives vidéo et audio laissées par le fondateur d’Emmaüs afin de pousser le mimétisme plus loin. « C’était un grand orateur et un grand tribun, il y a quelque chose de théâtral en lui et je crois que mon passé au théâtre m’a aidé à l’incarner. » 

Mourir et vieillir

À travers le film, la mort prend une place importante. Que ce soit celle de proches ou d’inconnus n’ayant pas les moyens de se réchauffer en hiver, elle guide l’abbé du début à la fin du long métrage.

Avant la mort vient souvent la vieillesse. Le fait de jouer le passage du temps aura été un véritable plaisir pour Benjamin Lavernhe, dont la scène qu’il a préféré interpréter est toute simple. Un petit moment d’intimité entre son personnage et Lucie Coutaz, ou l’abbé la borde pour qu’elle dorme.

« Il y a quelque chose d’enfantin de jouer la vieillesse, on avait autant envie de rire que de pleurer. On se prend au jeu et on pense à tous les vieux qu’on a connus. C’est une drôle expérience. En fait ça m’a marqué. »

Le passage du temps permet aussi de montrer dans l’œuvre la constance et l’évolution de l’abbé Pierre. D’un côté, il continue de marteler le même message, même si ses cheveux deviennent de plus en plus grisonnants. De l’autre, il se transforme de plus en plus en « l’abbé Pierre qu’on connait », explique l’acteur. 

Collaboration spéciale

Il arrive parfois que nous ayons la grâce d'obtenir un texte d'un auteur qui ne collabore habituellement pas à notre magazine ou à notre site Internet. Il faut donc en profiter, pendant que ça passe!