déclinistes
Illustration: Judith Renaud/Le Verbe

Le nouvel arrivant est-il cet autre qui me menace?

Je partage avec vous aujourd’hui l’une de mes dernières lectures, Les déclinistes, un essai de nature analytique qui saura, je l’espère, stimuler votre esprit critique ainsi que les réflexions de société sur les enjeux très actuels de l’immigration et de l’intégration des nouveaux arrivants.

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Avec Les déclinistes, Alain Roy propose un examen de la théorie du «grand remplacement». Il passe au peigne fin les écrits des principaux tenants de ce discours qui, selon lui, s’impose aujourd’hui à tort comme un discours rigoureux : ceux de Renaud Camus, d’Alain Finkielkraut, d’Éric Zemmour, de Mathieu Bock-Coté, de Michel Houellebecq et de Michel Onfray. Roy consacre un chapitre à chacun d’eux et s’applique minutieusement à faire ressortir les faiblesses d’un tel discours.

En quoi consiste-t-il, ce discours? À soutenir l’idée d’un changement de peuple en France. On assisterait à la déchéance de la nation en raison de la forte immigration de musulmans. Autrement dit, la population «de souche» serait lentement remplacée par une population africaine et, surtout, musulmane. La culture et l’identité nationales seraient mises en danger par le nouvel arrivant, cet autre qu’il faut craindre. Ceux qui ont rejoint cette pensée et contribuent à la nourrir et à la légitimer portent un nom : les déclinistes.

Les principales lacunes relevées chez ces auteurs se résument ainsi : manque de données factuelles, discours de l’anéantissement basé sur les affects, vision de l’autre comme menace, argumentation déficiente, pistes de solution irréalistes et, enfin, manque d’empathie envers l’immigré.

Un outil et un débat

J’accueille positivement ce travail qui sert à la fois d’introduction et d’analyse à ce discours. Car les propos déclinistes sont certes, bien présents dans les médias, et parce qu’ils attirent et repoussent à la fois. Je reviendrai sur ce qui peut les rendre attrayants, mais en ce qui concerne l’aspect repoussant, il y a notamment leur côté pessimiste, qui nous amène sans cesse à soupçonner le pire. Il y a aussi, et surtout, que la théorie remplaciste véhicule un rapport à l’autre plutôt dérangeant que Roy n’hésite pas à qualifier de xénophobe (et plus précisément d’islamophobe).

Cette dynamique me rend personnellement mal à l’aise, mais je n’ai jamais pris le temps d’aller au fond des choses. À chacun son combat! Merci à Roy de l’avoir fait, son ouvrage fournit les outils pour y faire face. Et quelle que soit votre position, le livre vous sera utile, soit pour vous armer contre la théorie du «grand complot», soit pour vous obliger à répondre de façon rigoureuse à cet argumentaire, ce qui permettra de nourrir favorablement le débat public.

Y aura-t-il une réponse rigoureuse?

En fait, après la lecture de Roy, l’argumentation des déclinistes m’apparait tellement déficiente que je me demande comment cette théorie a pu prendre autant d’ampleur. Elle prend dans cet essai les allures d’une grande farce. 

Durant la lecture, je me suis surprise plusieurs fois à souhaiter que certains des adeptes du grand remplacement prennent le temps de répondre. Je dis certains, parce que d’autres font plutôt figure de clowns! (Je pense surtout à Houellebecq).

La culture et l’identité nationales seraient mises en danger par le nouvel arrivant, cet autre qu’il faut craindre.

Pour ce qui est de répondre, j’ai en tête ceux qui adoptent la posture d’intellectuel; je pense à Mathieu Bock-Coté, notamment. Sur lui, Roy s’exaspère un peu plus que sur les autres, d’ailleurs. L’attaque personnelle n’est pas nécessaire, l’argumentaire suffirait. Pourquoi ce ton polémique, qu’il reproche pourtant à Bock-Côté? C’est une tactique discursive (façon pastiche), mais elle implique une connaissance du style de Bock-Côté pour l’apprécier et m’apparait quelque peu déloyale.

Enfin, si je souhaite que Bock-Côté réponde, c’est certainement parce qu’il nous touche de plus près : ce Québécois très présent sur la scène médiatique amène le remplacisme sur notre territoire, et plus précisément dans sa critique du multiculturalisme canadien. Pour toutes ces raisons, j’aimerais qu’il se défende de façon rationnelle, qu’il propose des données tangibles à l’appui de ses propos.

Les prémisses

Roy reproche aussi à Bock-Côté «une pensée entièrement déterminée par ses prémisses». J’ai plutôt tendance à voir la chose d’un bon œil, tel un gage de constance et de logique dans une pensée. Comme le texte l’indique, le reproche de Roy doit probablement se lire dans le sens où Bock-Côté «est motivé par un programme bien arrêté (défendre le nationalisme conservateur contre les dérives de la gauche diversitaire)». En d’autres mots, il lui reproche ses couleurs idéologiques.

La critique peut ici se retourner contre son auteur. Roy ne porte-t-il pas lui-même ses propres prémisses? On ne publie pas chez Écosociété sans avoir une certaine ligne de conduite (ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse apprécier le travail de cette maison d’édition, bien au contraire). Aussi, la conclusion du livre me laisse perplexe.

À la toute fin de son essai, à la manière de Houellebecq (qu’il critique pourtant vertement), Roy propose à son «tour de jouer le jeu de politique-fiction», c’est-à-dire qu’il propose son propre scénario du futur. Reprendre à son compte la manière de faire que l’on dénonce m’apparait encore ici contradictoire. Même si je lui reconnais une intention ironique (ou sarcastique?), il reste que Roy livre lui aussi, de cette façon, sa propre vision des choses (vision de gauche, écologiste). Est-elle plus réaliste? Pour son lectorat, certainement, cela va de soi, mais sa critique ne consiste-t-elle pas à refuser de tenir les choses pour acquises?

Relancer la réflexion de façon posée

Somme toute, le travail de Roy m’apparait pertinent. Il faut maintenant reconnaitre que tous ces déclinistes répondent (bien que mal, manifestement!) à quelque chose, soulèvent un malaise, un besoin, un problème qui ne saurait être simplement balayé du revers de la main. Et c’est là où se situe l’aspect «attrayant» du discours décliniste. Aussi, il ne s’agit pas d’ignorer ce malaise, mais, comme Roy le reconnait lui-même dans sa conclusion (et c’était essentiel qu’il le fasse), il s’agit de dépasser l’émotivité afin de faire cet «examen posé et réfléchi des questions soulevées».

Émilie Théorêt

Émilie Théorêt détient un doctorat en études littéraires. En historienne de la littérature, elle aime interroger les choix qui ont façonné et qui façonnent encore la société québécoise.