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C’est pire d’année en année. Dès les premiers jours de novembre, des publicités nous annoncent les soldes du Vendredi fou, du pré-Vendredi fou et du pré-pré-Vendredi fou. Chaque compagnie tente de nous allécher avec ses rabais, de nous inciter à dépenser beaucoup et maintenant. Peut-être serez-vous tentés de faire des girl maths pour justifier vos achats?
#Girlmath. Connaissez-vous ce mot-clic qui a fait son apparition sur TikTok cet été? Ou êtes-vous, comme moi, un millénarial qui ne voit les vidéos populaires que deux semaines après leur succès, quand ils sont relayés sur Facebook et Instagram?
Dans tous les cas, laissez-moi vous présenter une petite analyse de ce mot-clic et peut-être même vous mettre en garde contre son utilisation.
C’est quoi, les girl maths?
Les vidéos de #girlmath présentent des jeunes femmes qui expliquent les calculs qu’elles font pour justifier certaines dépenses ou, de manière plus générale, pour gérer leurs finances personnelles. Cette tendance se veut satirique, mais on peut grincer des dents si l’on s’y reconnait un peu trop.
Après une bonne séance d’écoute, j’ai dégagé le tronc commun des girl maths :
- Acheter comptant, c’est gratuit. Comme ce montant avait déjà quitté le compte bancaire, il n’a pas vraiment été dépensé au moment de l’achat.
- Moins de 5$, c’est gratuit. De nos jours, ce montant est trop petit pour être considéré comme une dépense.
- Retourner un achat, c’est gagner de l’argent. De même, si un chandail à 40 $ est retourné et qu’un autre à 100 $ est acheté, il ne coute finalement que 60 $. C’est donc un achat raisonnable.
- Ne pas acheter en rabais, c’est perdre de l’argent. Forcément, l’article devra être acheté plus tard, pour plus cher, quand il ne sera plus en rabais.
Logique appliquée à nos situations personnelles
Une jeune femme nous expliquera que, si elle achète des billets pour un spectacle des mois à l’avance, le jour du spectacle, c’est gratuit. Une mère influenceuse argumentera qu’en utilisant des couches lavables, elle gagne 100 $ par mois. Une autre nous dira qu’en allaitant ses deux enfants, elle a économisé suffisamment pour se payer des lattés à vie.
Exit la culpabilité.
Peu importe l’âge, les femmes en question cherchent toutes à justifier leur Starbucks quotidien. La stratégie la plus commune : utiliser une carte cadeau prépayée. En arrivant au café, pas besoin de sortir la carte de crédit personnelle. C’est donc gratuit.
« Si tu ne t’achètes pas de café les journées où tu portes cette jupe,
elle devient gratuite. »
En découvrant la tendance des #girlmath, des femmes – particulièrement celles qui ne se reconnaissent pas dans ces vidéos – pourraient se mettre en colère devant une énième représentation de préjugés sexistes: « Les femmes ne sont que des consommatrices, elles ne savent pas calculer. Heureusement que les hommes sont là pour gérer le portefeuille des ménages! »
Ma première réaction en découvrant la tendance des #girlmath a été un rire franc. Je trouve que ces vidéos sont plutôt cocasses, mais que, comme toute bonne blague, elles contiennent un fond de vérité.
N’ayant pas peur de l’autodérision, je me reconnais dans plusieurs de ces justifications. Par exemple, si un site propose la livraison gratuite à partir d’un certain montant, il est certain que ma facture va atteindre ledit montant. Sinon, je perds de l’argent!
Rire jaune
La mise en scène des vidéos nous montre l’éventail des réactions possibles. L’interlocuteur des jeunes femmes est souvent un copain ou un père complètement médusé par ce qui lui est expliqué. Certains rient de bon cœur, d’autres sont en panique.
Lorsque deux filles discutent ensemble, dans une cabine d’essayage par exemple, on renchérit pour trouver la meilleure justification : « Si tu ne t’achètes pas de café les journées où tu portes cette jupe, elle devient gratuite. » Souvent, l’influenceuse s’adresse directement à la caméra, laissant le public réagir dans les commentaires.
Ce que les #girlmath nous montrent en fin de compte, c’est comment les grandes compagnies et les publicitaires aimeraient que les femmes réfléchissent quand elles consomment. Dans la mesure où cette tendance est satirique, les femmes répondent à ce marketing qui les vise trop souvent : « Nous voyons clair dans votre jeu. Nous ne tombons pas dans le panneau, nous sommes même capables d’en rire. »
Pourtant, si cette tendance était seulement matière à blague, nous n’aurions pas le taux d’endettement que nous constatons présentement en Amérique du Nord. On comprend donc les copains et les pères qui s’énervent devant des calculs si absurdes et, finalement, ravageurs pour les personnes qui font des maths de cette manière.
Maintenant, je pense que je ris jaune.
Les rôles traditionnels
D’une manière plus intéressante encore, la tendance #girlmath nous pose la question suivante : est-ce qu’économiser de l’argent et gagner de l’argent, c’est la même chose?
Traditionnellement, les hommes rapportaient l’argent à la maison et les femmes s’occupaient de le dépenser. Les hommes travaillaient à l’extérieur et les femmes géraient la maisonnée/le foyer. Elles faisaient les courses, elles rémunéraient les employés de maison, elles réglaient les comptes.
Elles n’avaient pas de moyen de gagner de l’argent. Tout ce qu’elles pouvaient faire, c’était économiser de l’argent. Dans ce contexte, tout achat excédentaire devait être effectué à partir des économies sur les autres postes budgétaires. À mon sens, ça pourrait bien être la racine de ces maths de fille.
La tendance des girl maths nous pose la question suivante : est-ce qu’économiser de l’argent et gagner de l’argent, c’est la même chose?
Beaucoup des rôles traditionnels de la femme représentent des économies pour la famille, mais puisqu’ils ne sont généralement pas rémunérés, ils sont souvent ignorés ou méprisés. En faisant des girl maths, on peut mettre un prix sur ces efforts. Combien de milliers de dollars par année est-ce que je gagne en gardant à la maison mes deux plus jeunes enfants? Combien de centaines pour mes repas maison et l’entretien de notre appartement? Je fais même notre déclaration de revenus! Savez-vous combien ça coute, un comptable, en 2023? Moi non, je n’en ai pas.
Vraie et fausse économie
En soi, gérer un budget de manière responsable et intelligente afin de dégager un surplus qui servira à d’autres dépenses, peut-être à des petites gâteries, c’est tout à fait louable. Le problème de ces vidéos, c’est que l’économie ne mène jamais vers l’épargne, la charité ou le remboursement d’une dette. Si l’on économise quelque part, c’est forcément pour dépenser plus ailleurs.
C’est là où la société de consommation nous tient, en nous faisant croire que toute économie ou entrée d’argent doit être immédiatement dépensée. On en vient à travailler plus pour pouvoir dépenser plus.
Si nous pouvions voir les autres options qui s’offrent à nous, comme faire soi-même et dépenser moins, à ce moment nous arriverions collectivement à faire un pied de nez aux publicitaires et nous cesserions de tomber dans le panneau du marketing.
Exit la surconsommation.