Dune
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Dune 2 : désert et chaos

Après nous avoir happés par ses images grandioses, ses sons surréels, sa lenteur angoissante et son symbolisme puissant, Dune (2021) a laissé un arrière-gout de dévastation, mais adouci par une lueur d’espérance. J’ai vu le deuxième opus en avant-première et il y a beaucoup à dire.

Notre héros semble destiné à se relever des cendres de la maison Atréides, massacrée en première partie, pour accomplir ce que son père n’a pas pu : faire alliance avec les Fremen, peuple du désert qui en détient les secrets.

Sans rien divulgâcher, soyez toutefois avertis : je présente ici les thèmes principaux de Dune, deuxième partie.

Au creux du désert

Paul Atréides est une figure ambigüe : héritier d’un duc qui dirigeait avec bonté et apprenti d’une mère froide, membre de l’ordre sectaire des Bene Gesserit, sa trajectoire narrative est pourtant très claire. Son monde s’effondre et il est poussé jusqu’à son extrémité : le désert. Là, il devra faire face à sa part d’ombre pour devenir le héros que la prophétie nous promet. Un motif de mort et de résurrection classique, structuré, universel et élégant.

Quand j’ai pris place dans mon siège pour la deuxième partie de l’aventure, je m’attendais donc à un bon vieux récit messianique. J’oubliais cependant que le désert n’est ni structuré ni élégant. Il est pur chaos, continuel changement. Toute constance et tout rythme régulier y sont instantanément engloutis par le ver géant qui y rôde. Le génie de cette suite, c’est de faire entrer la trame narrative elle-même dans le chaos du désert en même temps que Paul.

Le récit de ce sauveur, quoique familier, devient donc incertain et insaisissable. Si, dans le dernier film, son destin se déroulait comme un tapis devant lui, la balle est maintenant dans son camp et plus rien n’est évident. La source de tout ce trouble? Le pouvoir, cet inépuisable problème.

Grand pouvoir, grande responsabilité

L’ouverture du film proclame d’une voix extraterrestre : « le pouvoir sur l’épice est le pouvoir sur tout » (traduction libre). Le film déploie ensuite tout l’éventail des différents types de pouvoir : politique et militaire pour l’empereur; économique pour les Harkonnen, à la brutalité et à la déloyauté reconnues; intellectuel et religieux pour les Bene Gesserit. Ce dernier sera d’ailleurs le thème majeur du film. Dans un univers où chaque faction a déjà placé ses pions et où la partie est bien entamée, le seul pouvoir qui peut déstabiliser l’ordre établi est celui qui se cache à l’extérieur des règles du jeu, dans les profondeurs du désert.

C’est ce pouvoir insoumis qui appelle et menace Paul. Il porte en lui le potentiel de soulever toute une population s’il endosse leur prophétie, mais y croit-il seulement? Et si non, devrait-il tout de même l’exploiter comme outil de propagande? La difficulté qu’il rencontre, c’est que le pouvoir n’a jamais en lui-même de moralité. Il ne vient pas avec la sagesse d’en faire bon usage. Il n’est que possibilité et opportunité aveugle. Graduellement, je ne savais plus moi-même ce que je souhaitais que Paul accomplisse.

Un messie pour quoi?

Ironiquement, le nom que la prophétie veut lui plaquer est « celui qui pointe la voie ». Mais quelle voie? Dans cet univers dur, un bien supérieur se fait attendre afin de guider les choix de Paul. La bonté de son père était-elle naïveté pathétique ou semence de cette transcendance qui pourrait montrer le chemin? Impossible même de deviner ce qu’en pense l’auteur. Le film ne laisse à son héros aucune issue facile. Il ne lui suffira pas de se morfondre dans l’obscurité pendant quelques scènes en regardant la bague de son père puis de vaincre ses démons intérieurs pour en ressurgir illuminé. Pas d’intervention de Gandalf, de Dumbledore ou d’Obi-Wan. Le problème reste trop vrai à notre gout et Paul doit pourtant agir.

La citation d’un autre Paul vient à l’esprit : « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas » (Rm 7,19). Pas moyen de mettre le pied sur du solide alors que nous regardons notre (vrai?) prophète tenter de maitriser le chaos en y plongeant corps et âme…

C’est ici que je laisse planer le mystère du film de peur d’en avoir déjà trop dit. Laissez-moi cependant m’attarder un peu à la question symbolique du désert que Frank Herbert, auteur des romans, comprenait en profondeur en écrivant Dune.

Nécessaire périphérie

On peut voir partout dans nos vies des exemples de ce « potentiel chaotique » que représente inévitablement tout désert. Le désert c’est l’inconnu, ce qui se trouve à l’extérieur des murs de la ville. C’est une image de ce qui est hors de nos systèmes (socialement, techniquement, psychologiquement, etc.). C’est également dans l’inconnu que se trouve la nouveauté, c’est pourquoi notre curiosité nous pousse à explorer. Mais c’est aussi toujours dans l’inconnu que se trouve le loup qui nous déchire, alors par prudence nous érigeons des murs. Le désert attire et effraie.

Dans nos vies, son ambigüité se manifeste tantôt comme la belle-mère qui débarque, tantôt comme le nouveau camp d’été où on me largue. C’est cette relation amoureuse qui commence ou encore l’intelligence artificielle générative qui vient d’apparaitre. – Dans l’univers de Dune, le problème de l’intelligence artificielle a été réglé en bannissant complètement l’utilisation des ordinateurs et des robots! – Ces réalités, parfois bénédiction, parfois catastrophe, sont comme le désert qui promet de nous enrichir et menace de nous engloutir. En embrassant le thème du désert, Dune, deuxième partie a donc nécessairement une résonance universelle.

Un chef-d’œuvre?

J’ai adoré l’expérience et j’en prendrais même davantage. On retrouve l’univers que l’on a aimé dans le premier opus et on découvre ce que Denis Villeneuve nous avait laissé imaginer jusque-là. L’histoire est poignante et certains moments sont d’une intensité difficile à décrire. Cela dit, le film n’est pas parfait. Si on pardonne aisément les compromis inévitables d’une adaptation d’un livre à l’écran, d’autres problèmes sont plus délicats. La représentation du religieux et du spirituel notamment est parfois maladroite et simpliste.

Je redoute un peu que le troisième et dernier Dune n’arrive pas à fournir de réponse aux questions qu’il pose quant au rôle de la spiritualité. Dans tous les cas cependant, il m’aura fait réfléchir à ma propre relation au chaos inévitable des périphéries de ma vie.

Jérémie Laliberté

Jérémie Laliberté est animateur à la Villa des jeunes, centre lasallien de formation humaine et chrétienne pour les ados. Jeune père, étudiant en théologie et en philosophie, il s’intéresse à la multiplicité des phénomènes — d’un repas en famille au symbolisme biblique en passant par l’escalade de roche, les sciences et le cinéma — qui pointent vers un sens ultime, vers l’Unique nécessaire.