Ababouiné

Ababouiné : plus qu’un pamphlet anticlérical

Avec Ababouiné, André Forcier signe son 16e long-métrage. Il nous offre ici un portrait du Québec des années qui précèdent tout juste la Révolution tranquille, bien arrosé d’une dose de tout ce qui fait la marque du réalisateur : magie, humour, langue imagée, etc. Le Verbe a rencontré le réalisateur et deux de ses acteurs fétiches, Rémy Girard et Gaston Lepage, pour parler de ce tout dernier opus.

Campée dans l’ancien quartier du Centre-Sud de Montréal, le célèbre Faubourg à m’lasse, l’action se déroule en 1957 et nous fait découvrir l’univers d’une classe de septième année de l’époque. On retrouve à sa tête le professeur Rochette (Martin Dubreuil) dont le souhait le plus cher est de faire paraitre un « dictionnaire des mots oubliés et inventés », qui a pour titre et comme première entrée le mot « ababouiné ». Ce mot rare et ancien, que disait déjà le personnage de Léa à sa mère dans Le vent du Wyoming, qualifie un « bateau abandonné par le vent ». Pour Forcier, il s’agit d’une belle façon de décrire l’abandon amoureux.

Au cœur de l’action se trouve aussi le petit Michel (le très talentueux Rémi Brideau), atteint de la polio, qui apprend à typographier en travaillant avec son ami Archange (Gaston Lepage) sur un pamphlet intitulé « Vive le Québec laïque ». Après que Michel l’ait fait circuler dans la classe, le vicaire Cotnoir (Éric Bruneau) fait congédier le professeur qui a laissé faire cet acte de sédition. Cela provoque chez les enfants une révolte qui sera le départ de grandes aventures et d’une quête féroce de justice.

Célébration de l’enfance, du rêve et de la poésie

De retrouver ainsi à l’avant-plan des personnages d’enfants est loin d’être inhabituel dans le cinéma de Forcier (on n’a qu’à penser à L’eau chaude l’eau frette, entre autres). Il dit vouloir « célébrer la liberté et la cruauté de l’enfance », mais une cruauté toujours au service d’une cause juste. Gaston Lepage insiste : « dans le film, ce sont eux qui ont la parole, pas les adultes »; ils portent avec conviction le message d’une volonté profonde de changement. En cela, on pourrait être tenté de crier à l’invraisemblance devant un personnage comme celui de Michel, si jeune et pourtant avide de poésie, de philosophie et de laïcité, mais « l’œuvre du poète c’est de rendre ça possible », nous dit le cinéaste.

Ababouiné

Voilà de quoi est fait ce film : de rêve et de poésie. « Moi j’écris des films comme un poète écrit un poème », en laissant s’exprimer ce que la vie contient de réalités, mais aussi d’éléments qui vont au-delà du possible. Forcier ne se prive pas d’aller jouer jusque-là. Pour lui, c’est par l’exploration de la réalité que la magie émerge. Son but n’est pas de dénoncer ou de revendiquer quoi que ce soit, mais bien de « montrer la réalité de façon poétique », et surtout de « faire rêver ».

Une critique sociale, mais pas que

Ce serait donc réducteur de ne retenir du film que son aspect anticlérical. C’est à une plongée dans l’univers onirique du réalisateur de 77 ans, une plongée dans son enfance et dans celle de notre société moderne, à laquelle nous sommes invités. D’ailleurs, Forcier se dit toujours chrétien, animé d’une « foi réelle au Christ ». Il nous a même confié qu’il attribuait la guérison récente de son foie atteint d’une cirrhose à sa prière au frère André. « Le frère André, ce n’est pas un mythe, c’est un saint », affirme celui qui a tenu à faire baptiser ses enfants et qui a choisi pour eux l’enseignement religieux plutôt que la morale. « On vit dans une société chrétienne, et c’est important de connaitre un peu c’est quoi avant de le rejeter. »

Il n’en demeure pas moins que le « message du Christ » a été selon lui « trahi » par l’Église catholique, sans quoi nous aurions sans doute aujourd’hui « un meilleur lien avec la foi ». Le film comporte des scènes qui montrent très directement tout le côté obscur de la présence de l’Église au sein de la société québécoise.

Mais, comme le fait remarquer Rémy Girard, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Celui qui dit avoir eu affaire à « d’excellents éducateurs » lors de son passage chez les Oblats de Marie-Immaculée insiste pour rappeler le rôle capital de la religion dans la préservation de la langue française. Cela peut paraitre surprenant venant de l’acteur qui incarne le cardinal Madore (pour une seconde fois après son apparition dans Je me souviens) avec fantaisie, irrévérence, mais surtout beaucoup d’humour. Lui aussi, d’ailleurs, a tenu à nous parler de sa tante « miraculée » : « les miracles, ça existe! »

Âmes pieuses s’abstenir

Le rire à travers le tragique, la rébellion au sein de l’obscurantisme, la magie dans le réel, c’est cette sorte de lumière qui transperce ce qu’on appelle la Grande Noirceur pour se rendre jusqu’au public d’Ababouiné.

Il faut toutefois savoir que certaines scènes sont profondément troublantes. D’aucuns pourraient aussi dire que la finale relève du mauvais gout. Elle risque pour le moins de provoquer un fort malaise chez le spectateur croyant. Est-ce que Forcier cherche à choquer? « Je choque toujours un peu le monde, mais ce n’est pas voulu ni recherché. Je suis né de même. »

Ababouiné sort en salle le 23 aout.

Images : Nathalie Moliavko Visotzky, Filmoption


Encore plus de culture !

Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie termine avec nous sa formation en journalisme. Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.