Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Lectures d’été : sur la route, du bitume à la rivière

Les beaux jours sont arrivés et l’envie nous prend de s’évader. S’évader sur la route et, pourquoi pas, par la voie d’une rivière, et surtout s’évader par la lecture… Je vous suggère deux livres pour explorer le territoire québécois et voyager vers ses vastes horizons. Lectures d’été, lectures légères, mais ne les sous-estimons pas, car ces voyages nous permettent parfois d’aller à la rencontre de nous-mêmes.

Sur la route avec Vincent Vallières

Je me suis laissé emporter par l’écriture de Vincent Vallières. Si, comme il l’écrit dans son prologue, c’est avec les mots d’Hergé qu’il a entrepris son premier voyage littéraire, jusqu’à la lune, c’est encore avec les mots, les siens cette fois, que Vallières nous entraine sur les routes du Québec, de Chicoutimi à Magog en passant par Sainte-Thérèse.

«[…] guidé par les mythes de la route et du rock, je poursuis la quête née avec la guitare de mes quatorze ans. D’instinct, je savais que l’instrument représentait la planche de salut, l’outil qui m’ouvrirait les portes de l’imaginaire et du territoire.» (p.23)

Son doux récit nous amène donc avec lui sur la route du rock, à travers sa propre tournée de spectacles. En arpentant les routes du Québec (avec quelques écarts hors de la province), réflexions et souvenirs personnels ressurgissent. Vallières nous livre de façon touchante les méandres de son cœur d’homme (de petits-fils, d’ami, de père, etc.).

En même temps, des pans de notre histoire collective sont revisités, de la grève d’Asbestos de 1949 à la toute récente manifestation du convoi de la liberté à Ottawa.

Surtout, les lieux, les éléments du paysage naturel et les bâtiments sont porteurs de mémoire : le Moulin Marcoux à Pont-Rouge, une défunte usine de pâtes et papiers de Grand-Mère (communément appelée la Consol) ou encore Le moulin 7 à Asbestos. On apprend que « c’est le nom de leur commerce, en l’honneur des six moulins qui ont cassé de la pierre pendant les cent années d’extraction du minerai. Une manière de s’inscrire dans la continuité. » (p.102)

Voilà une question intéressante : l’inscription dans la continuité. Il y a dans le livre de Vallières ce désir d’habiter le présent tout en se rappelant le passé. L’habitation de l’espace-temps se fait notamment en prenant acte de la manière dont on habite encore les bâtiments d’hier.

Je repense au dernier (et excellent) essai de Pierre Nepveu, Géographie du Pays proche. Je ne suis pas surprise de découvrir que Vallières l’a lu, puisque son livre s’inscrit dans cette découverte « que les lieux et les transports débouchent sur un pays et qu’ils se situent dans le temps et dans l’histoire. » (Pierre Nepveu)

Lire Vallières, c’est découvrir un rapport conciliant entre le passé et le présent. C’est aussi découvrir des rapports à l’autre et à soi équilibrés.

Après ce voyage autoréflexif, je vous propose d’arpenter le territoire et son histoire par le biais de sa faune.

Dans la peau d’un saumon

J’ai été attirée par la qualité du papier de la couverture et par les centaines de petites billes rouges qui l’illustrent. L’histoire des Saumons de la Mitis tire son origine d’un spectacle présenté aux Jardins des Métis à Grand-Métis, dans le Bas-Saint-Laurent, là où se rencontrent la rivière Mitis et le fleuve Saint-Laurent.

L’idée de relater une histoire par le biais de sa mise en scène peut s’avérer périlleuse. On peut facilement y perdre l’intérêt d’un lecteur qui n’accède à la mise en scène que par truchement. Grâce à l’abondance des illustrations, l’auteure réussit toutefois à restituer la valeur du récit central : le long pèlerinage du saumon de la Mitis. C’est ainsi que le lecteur se voit emporté par la trajectoire de ces poissons qui viennent frayer dans la rivière avant de repartir vers le détroit de Belle Isle, avec leurs cousins venus de toutes les rivières du Québec, et en direction de la mer du Labrador.

Autour de cette trajectoire épatante se révèle la force de la nature. En ce sens, le livre s’avère très instructif et sait réveiller la curiosité.  En outre, par le parcours du saumon, le lecteur revisite aussi un peu l’histoire du Québec :

« Nous sommes dans une frayère de la rivière Mitis. Dans le ventre de notre maman saumon […]. Nous sommes à l’automne, il y a très longtemps, avant que Jacques Cartier ne rencontre Donnacona à Gaspé. Les Mi’kmaq, qui empruntent régulièrement la rivière pour atteindre le fleuve, l’ont baptisée Mitisipu, « rivière aux peupliers ». » (p.10)

Le lecteur se retrouve donc dans la peau du poisson qui est le narrateur par lequel passe toute l’histoire. C’est par lui que l’on entreprend le voyage marin et par lui toujours, que le regard est posé sur le monde.

Cependant, vers la fin, j’ai craint que l’auteure ne tombe dans l’antispécisme. Certes, l’humain gère souvent très mal le patrimoine écologique. Mais je ne partage pas cette tendance à nier la spécificité de l’être humain par rapport aux autres espèces.

Christine Beaulieu se détourne toutefois cette avenue et, en fin de compte, nous convie à une belle éthique environnementale : « Nous pouvons prendre le temps de nous mettre dans la peau d’une autre espèce quand nous avons à prendre une décision qui a une incidence sur elle. Pour volontairement changer notre rapport à la nature. »

Bref, ce livre propose un beau voyage illustré à travers la nature et l’histoire. À entreprendre seul ou avec les enfants.

Émilie Théorêt

Émilie Théorêt détient un doctorat en études littéraires. En historienne de la littérature, elle aime interroger les choix qui ont façonné et qui façonnent encore la société québécoise.