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Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

À propos d’Antoine… et de tous les autres

Cet hiver, on a assisté à l’arrivée d’un objet rare dans le milieu culturel : une série entière consacrée à la vie extraordinaire de la famille d’Antoine, un jeune garçon polyhandicapé.

Le scénario raconte l’histoire de Julie, une comédienne, qui devient la belle-mère d’Antoine. Cette histoire, elle est inspirée de celle de Cathleen Rouleau, interprète de Julie et scénariste de la série. Elle y présente son arrivée dans cette famille particulière, où le quotidien est ponctué de changements de couches grand format et de séjours aux soins intensifs.

Si le ton semble parfois trop comique, voire burlesque, dans les premiers épisodes, on s’attache toutefois rapidement aux personnages principaux, particulièrement à Antoine, qui joue son propre rôle. On s’y attache, pas parce qu’il fait don’ pitié ou qu’il est « attachant » (comme on qualifie ceux à qui on ne trouve pas vraiment d’attributs louables), mais parce que son sourire nous enveloppe, son regard pétillant est troublant de profondeur.

Il faut savoir d’emblée qu’Antoine ne parle pas. La longue liste des maux qui l’affligent est énumérée à quelques reprises au long des épisodes. Mais au-delà de ces mentions littérales de la condition du jeune garçon, on reste pudique et respectueux de ce à quoi peut ressembler son quotidien, dans l’intimité. On assiste, certes, à quelques changements de couche cocasses et à des crises d’épilepsie récurrentes, mais rien qui aille dans l’épanchement ou, pire, le voyeurisme.

Parents d’enfants handicapés

En créant la série, Cathleen Rouleau et son conjoint (le père d’Antoine, accessoirement président-fondateur de l’agence ComédieHa!) tenaient surtout à montrer la vie des parents d’enfants lourdement handicapés.

Ces parents représentent en effet une catégorie à part de la société, alors qu’on les entend rarement prendre la parole publiquement, qu’on ne les voit jamais manifester devant le parlement pour réclamer plus d’aide. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas besoin ou qu’ils sont parfaitement satisfaits du traitement de l’État à l’égard de leurs enfants. C’est seulement qu’ils n’ont pas le temps. Les 24 heures de leurs journées sont remplies par les soins à leurs enfants, qui nécessitent souvent une surveillance ininterrompue.

Je ne sais pas si l’objectif de la série est parfaitement atteint. En effet, les parents d’Antoine nagent dans l’argent et la plupart des membres de la famille élargie sont très présents. Cela n’enlève évidemment rien à la souffrance et aux deuils quotidiens auxquels ils sont confrontés, j’en suis bien consciente. Mais je pense que leur situation financière et familiale est loin d’être représentative de celle des familles d’enfants polyhandicapés au Québec et ailleurs. Toutefois, si À propos d’Antoine peut être utile dans le monde d’aujourd’hui, c’est en donnant une vitrine plus que nécessaire à ce type de famille.

Mon histoire

Mon fils est handicapé. Il n’est pas polyhandicapé. Ses limites ne sont vraisemblablement que motrices.

Il parle. Ce n’est pas ce qu’on nous avait laissé croire quand il était encore au chaud dans mon ventre, mais aujourd’hui, du haut de ses deux ans et demi, il parle. Ses frères diraient même qu’il parle trop. Il se déplace aussi. Différemment de ses frères à son âge, difficilement sans sa marchette, mais il marche.

Depuis l’annonce de son diagnostic, au beau milieu de la grossesse, je me suis autant, sinon plus, questionnée sur mon rôle de parent pour lui que sur les possibles conséquences de sa malformation.

Il faut dire que nous avons été appelés à être, mon mari et moi, de féroces avocats pour défendre son droit à la vie, dès ses 21 semaines de gestation. Déjà, notre rôle de parent venait de prendre une avenue nouvelle. Il m’a ensuite fallu défendre cette même décision à quelques occasions après sa naissance, entre autres auprès d’infirmières bien intentionnées qui s’étonnaient qu’on n’ait rien détecté pendant la grossesse. Oui, oui, madame. On savait.

Quand on nous a dit qu’il serait handicapé, on nous a parlé de sa qualité de vie. Ou plutôt de son absence de qualité de vie. On a dit que ses atteintes l’empêcheraient de s’épanouir. À les écouter, on en venait à penser que garder ce bébé était une décision égoïste.

Ce que j’ai compris depuis, c’est que la qualité de vie de mon fils dépend bien plus de facteurs extérieurs à sa condition médicale que de ses incapacités physiques.

L’accessibilité des lieux. La manière dont les gens le regardent. Le fait qu’il n’y a pratiquement pas d’autres enfants comme lui dans notre municipalité, à l’école, au centre commercial, parce qu’on ne leur laisse pas la chance de voir le jour. Les politiques impliquant que les personnes dans sa situation sont mieux mortes que souffrantes, qu’elles sont mieux mortes que dépendantes des autres. Le fait que les règles du Centre de services scolaire stipulent qu’on ne peut modifier notre école de quartier (celle que fréquentent tous ses frères) parce qu’il y a une école adaptée dans le village voisin. Entre autres choses.

Lieu de salut

J’espère que notre enfant ne sentira jamais qu’il y a un problème avec lui, que son handicap est une malédiction. Je prie que ce qu’on lui transmet palliera ce que la société lui fera sentir.

Je me laisse parfois étouffer par cette responsabilité. Ce rôle de « parent d’enfant handicapé » me semble souvent trop lourd pour mes capacités. Je crains d’être trop émotive, trop épuisée pour livrer, pour et avec mon fils, des combats qui me dépassent.

En fait, je voudrais porter sa croix. Cette croix si visible. Cette croix ostentatoire.

Cette idée qui me terrorisait il y a quelques années est aujourd’hui la source de mon réconfort : mes enfants sont d’abord les enfants de Dieu.

Mais elle est justement là, la clé. Pour lui, comme pour tous mes autres enfants, d’ailleurs. Leurs croix seront leurs lieux de salut.

C’est la seule pensée qui peut rendre ma maternité légère. Cette idée qui me terrorisait il y a quelques années est aujourd’hui la source de mon réconfort : mes enfants sont d’abord les enfants de Dieu.

Dès lors, je sais que, comme il le fait pour moi et pour toute personne, handicapée ou pas, il s’occupera de leurs souffrances, de leurs limites, de leurs maladies, de leurs faiblesses. Et ça rend les petites et grandes injustices de ce monde, au travers des changements de couches grand format, des formulaires interminables à remplir et des commentaires inappropriés, un peu plus faciles à accepter.

Florence Malenfant

Détentrice d'un baccalauréat en histoire de l'art à l'université Laval et d'un certificat en révision linguistique, Florence a une affection particulière pour le bouillon de poulet et un faible pour la littérature russe!