À l'Ouest rien de nouveau
Photo: Netflix

La futilité de la guerre en images

Il y a quelque temps paraissait sur Netflix un nouveau chef-d’œuvre du cinéma allemand: À l’Ouest, rien de nouveau. Adaptation du célèbre roman d’Erich Maria Remarque, publié en 1929, l’opus d’Edward Berger a fait l’objet d’une reconnaissance critique immédiate. On salue notamment la fidélité du film à l’esprit de l’œuvre originale, malgré certaines adaptations. Il est d’ailleurs le candidat allemand pour le prochain Oscar du meilleur film international.

Plusieurs auditeurs seront familiers avec l’histoire.

En effet, le roman de Remarque, qui raconte l’expérience de jeunes soldats allemands durant la Première Guerre mondiale, est devenu le symbole d’un certain pacifisme, d’une certaine critique de la guerre et de sa futilité. Elle a valu à son auteur, lui-même vétéran de la Grande Guerre, d’être censuré sous le régime nazi, avant qu’il ne devienne éventuellement citoyen américain.

Le film de 2022 dont nous parlons aujourd’hui n’est d’ailleurs pas la première adaptation cinématographique d’À l’Ouest, rien de nouveau. En 1930, l’année après sa publication, l’ouvrage de Remarque est porté à l’écran par Lewis Milestone. Il deviendra le premier film basé sur un roman à remporter l’Oscar du meilleur film.

Évidemment, le film de 2022, une production allemande, est très différent.

Cinématographiquement étudié et soutenu par une trame sonore poignante, le film raconte l’histoire de Paul Bäumer, un jeune homme de 17 ans qui s’enrôle dans l’armée allemande avec honneur et enthousiasme, accompagné par trois de ses amis, après y avoir été encouragé dans un contexte scolaire. Rapidement, la brutalité de la vie militaire et l’extraordinaire barbarie à laquelle il est exposé épuisent son enthousiasme initial, alors qu’il assiste en séquence à la mort de plusieurs de ses camarades, ceux qu’il avait au départ et ceux qu’il rencontre au front.

Un protaganiste éprouvé

Le film n’est pas sans quelques moments de répit, où la camaraderie de Bäumer avec certains de ses congénères est mise en évidence. Ce qui frappe, cependant, c’est leur évanescence.

La production de 2022 est organisée autour de deux trames narratives distinctes. On voit d’un côté l’expérience de Bäumer et de ses camarades au front; de l’autre, on assiste à la déroute et à la désunion des autorités politiques et militaires allemandes qui, confrontées à une défaite devenue presque inévitable, sont en désaccord sur les moyens à prendre pour y mettre fin. L’intransigeance des autorités françaises à l’égard du gouvernement allemand, déterminé à faire la paix en dépit de la résistance de l’armée, a quelque chose de choquant.

Au front, le personnage de Paul Bäumer est complexe. En dépit de ses désillusions, il combat vaillamment et avec une brutalité souvent choquante.

Une scène particulièrement prenante nous expose à l’un de ces moments de tension: alors qu’un soldat français menace de le mettre à mort, il le confronte et le poignarde plusieurs fois au torse. La lente agonie du jeune homme expose Bäumer à une souffrance qu’il peine à supporter et dont il cherche à précipiter la fin.

Dans son regard, on voit sa conscience s’éveiller, passer de l’impatience à l’agressivité puis au doute, pour enfin toucher une compassion tardive. Allongé contre sa victime, il demande pardon à sa dépouille alors qu’il découvre des photos de sa famille.

L’alternance entre les deux trames narratives met en lumière certaines des motivations qui poussent les jeunes soldats à continuer. Les récalcitrants sont brutalement fusillés, avec une violence pénible à supporter, suscitant une crainte qui amène les jeunes combattants à tenter, même en dépit d’un armistice imminent, des avancées aussi improbables qu’infructueuses, aussi pénibles que désespérées.

Représenter la guerre

À l’Ouest, rien de nouveau est un film d’une grande violence. Les moyens de la guerre moderne – armes chimiques, gaz létaux, lance-flammes – sont mis en scène dans des interactions militaires dures à contempler. Or, cette violence sert, à mon sens, un propos noble et toujours pertinent: elle dénonce la futilité de la guerre, l’absurdité des vies, jeunes et belles, qu’elle prend à des fins toujours plus minables.

En effet, la Première Guerre mondiale sera menée sur des fronts presque immobiles. Des centaines de milliers, voire des millions de vies humaines ont été perdues pour faire avancer le front de quelques centaines de mètres, souvent pour voir le processus inversé quelque temps plus tard. Pour toujours alimenter le zèle patriotique de hauts gradés des grandes puissances, une génération entière est perdue sous un regard presque indifférent.

Si la représentation des hautes autorités militaires allemandes et françaises a parfois quelque chose de caricatural, elle sert tout de même un propos généralement bien orienté.

Sont également mis en lumière les effets dévastateurs d’une telle guerre sur le corps social, alors que la société allemande et ses institutions se décomposent, que la solidarité entre les sujets est détruite, même parmi les soldats. L’empereur abdique, le peuple se révolte, les soldats se livrent à la désinvolture.

Une paix relative

À l’Ouest, rien de nouveau est un film éminemment actuel, en dépit de son caractère historique. Il met en évidence les risques immenses que représente un conflit entre grandes puissances et agit comme une profonde mise en garde contre ceux qui, pour différentes raisons, veulent voir l’Occident combattre par la force toute injustice réelle et troublante que notre monde connait.

Nous vivons, c’est parfois difficile de le concevoir, dans une période de paix relative entre grandes puissances qui est sans égale dans l’histoire humaine. Cette transformation, dont les causes sont complexes, a des conséquences immesurées. Chose certaine, elle est le résultat d’une immense désillusion, après ce que plusieurs ont appelé le suicide de l’Europe.

Regarder ce film, c’est aussi contempler la question du vrai courage, du vrai sacrifice, et de leurs vrais ennemis.

Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Quand il n’est pas en congé parental, il assume au Verbe médias le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés.