sacrifice
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

5 oeuvres à ne pas sacrifier

Plusieurs épisodes du récit biblique illustrent le sacrifice. Pensons, par exemple, à des figures comme Caïn et Abel, à Abraham et Isaac, à Samson, au prophète Isaïe, aux Maccabées, à saint Étienne, premier martyr, ou bien évidemment au Christ lui-même. Ces sacrifices survenant à des moments remplis de vives et grandes émotions, ils fournissent un terreau plus que fertile à l’expression artistique. En effet, c’est par le drame inhérent au sujet du sacrifice que les artistes chrétiens réussiront le mieux à véhiculer le sens véritable de l’enseignement biblique que leurs œuvres cherchent à illustrer pour ceux y faisant face. Explorons ici cinq œuvres d’art ayant pour thème le sacrifice sous différents rapports afin d’en révéler le sens véritable.

Caïn et Abel, enluminure, dans Bible historiale, anonyme, début du XVe siècle, France.

sacrifice

Le récit de Caïn et Abel est rapporté dans le livre de la Genèse (4,1-17). Après leur expulsion de l’Éden, qui a pour conséquence de les rendre mortels, Adam et Ève ont deux fils: Caïn et Abel. Le premier devient laboureur et le second se fait berger. L’enluminure ici reproduite nous présente l’épisode du sacrifice offert à Dieu par les deux frères. Le côté gauche de la composition est consacré à Abel, tandis que sur le côté droit figure Caïn. Sur l’autel se trouvent l’agneau – à gauche – et le boisseau de blé – à droite – offerts en sacrifice par les deux frères.

Nous apercevons la main de Dieu sortant des nuages et pointant vers l’agneau. Cela indique clairement, comme mentionné dans la Genèse, que ce dernier agrée le sacrifice d’Abel. Caïn est alors jaloux et en colère. Dieu le prévient qu’il doit lutter afin de dominer le péché qui monte en lui. Or, Caïn fait fi de l’avertissement divin et tue son frère alors qu’il est aux champs. C’est le premier fratricide. Ce récit fait partie des thèmes qui ont été le plus souvent illustrés par les artistes chrétiens. Il illustre notamment la lutte constante que nous devons tous livrer afin de résister aux pulsions qui conduisent au péché.

Le sacrifice d’Isaac, huile sur toile, Michelangelo Merisi da Caravaggio (dit Le Caravage), 1603, Italie.

sacrifice

Après avoir accompli les promesses faites à Abraham, Dieu lui demande de lui offrir Isaac, son fils bienaimé, en sacrifice. Ce récit qui est décrit dans le livre de la Genèse au chapitre 22, versets 1 à 18. Le texte rapporte que dès le lendemain matin, Abraham charge du bois sur un âne et part à la montagne avec son fils, afin d’y ériger un autel pour y accomplir la volonté divine. Isaac s’étonne que son père n’emporte pas un agneau pour l’holocauste. Abraham lui répond que Dieu pourvoira lui-même l’animal. Une fois sur la montagne, le père ligote son fils, le place sur l’autel et saisit un couteau pour l’égorger. Au moment où il va accomplir le sacrifice, un ange apparait et retient la main du patriarche.

C’est ce moment précis que Le Caravage représente sur cette peinture. Quelques versets plus loin, la Genèse mentionne qu’Abraham trouve un bélier sur la montagne et l’offre en sacrifice à la place d’Isaac. La tradition juive interprète ce récit comme celui d’une marque de la crainte de Dieu et de la démonstration de la loyauté indéfectible d’Abraham envers lui. Il est également interprété comme une interdiction formelle du meurtre et de l’infanticide, notamment à des fins sacrificielles. De plus, l’exégèse chrétienne y voit non seulement un acte de foi, mais aussi une préfiguration de la crucifixion du Christ, fils unique de Dieu, qui sera offert en sacrifice pour le salut du monde.

Mattathias refuse de sacrifier aux idoles, huile sur toile, Paul Alexandre Alfred Leroy, 1882, France.

sacrifice

La révolte des Maccabées est un ensemble de conflits qui se sont déroulés en Judée entre 175 et 140 avant J-C. Il s’agit à la fois d’un conflit entre le peuple juif et la dynastie grecque des Séleucides, et entre deux factions juives, l’une traditionaliste et l’autre hellénisante. Le point de discorde majeur est, justement, la question du sacrifice. Les Séleucides pratiquent la religion païenne de la Grèce antique, et en tant que dynastie régnant sur la Judée, exigent du peuple juif qu’il se conforme à la coutume d’offrir des sacrifices aux idoles grecques. Cette demande est inacceptable aux yeux des Juifs traditionalistes qui considèrent que cela viole la loi mosaïque. Ce refus entraine une interdiction de pratiquer la religion juive et mène rapidement à la révolte.

Leroy nous présente ici l’un des épisodes les plus connus de ce récit. On aperçoit Mattathias, habillé de noir, qui vient de tuer un officier du roi et un Juif ayant accepté d’offrir un sacrifice aux idoles païennes grecques. Ce geste de Mattathias fait de lui l’un des chefs de la révolte. C’est cependant son fils, Judas, qui finira par chasser les Séleucides de Jérusalem. Après la victoire de Judas, les statues des idoles grecques sont enlevées du Temple de Jérusalem qui est à nouveau dédié au Dieu unique. Cette victoire juive sur les Grecs est encore commémorée de nos jours lors de la fête de Hanoukka.

Le Christ en croix, huile sur toile, Joseph Légaré, 1824, Québec, Canada.

sacrifice

Le tableau du Christ en croix ici présenté est une œuvre de jeunesse du peintre Joseph Légaré (1795-1855), natif de la ville de Québec. Il s’agit d’une commande des sœurs augustines de l’Hôpital général de Québec, destinée à orner la chapelle Notre-Dame-des-Anges. Il fait partie d’une série de neuf œuvres de Légaré acquises par la communauté augustine. On peut, encore aujourd’hui, admirer six tableaux de l’ensemble en visitant la chapelle, puisqu’ils s’y trouvent toujours, près de 200 ans plus tard.

Le Christ sur la croix est évidemment la plus commune des représentations du sacrifice dans l’art chrétien. C’est par son sacrifice, par le versement de son sang sur la croix, que le Christ vient racheter les péchés de l’humanité et permettre le salut du monde. Il existe plusieurs variations picturales sur le thème de la croix. Il est ici intéressant de constater l’accent, tout en discrétion, qui est mis par le peintre sur le sang du Christ. Loin de tomber dans une représentation sanguinolente de la Passion, le motif du sang est surtout visible grâce aux trois petits angelots qui le recueillent à l’aide de calices. Cela renvoie également à la doctrine de la transsubstantiation, selon laquelle le Christ est réellement présent dans les saintes espèces lors de la consécration eucharistique.

Le martyre de saint Étienne, fresque de l’église Santa Croce, Bernardo Daddi, 1324, Florence, Italie.

sacrifice

Le récit de saint Étienne, premier martyr, est ici représenté par le peintre florentin Bernardo Daddi (1280-1348). La fresque est séparée en deux sections par l’élément architectural que l’on retrouve en son centre. Ce procédé pictural permet de présenter sur la même œuvre les deux principales scènes de l’hagiographie du protomartyr. L’influence de Giotto (1266-1337) est frappante dans cette manière de représenter l’espace.

Daddi respecte rigoureusement le texte des Actes des Apôtres (6,8 à 8,3) relatant l’épisode. Sur la gauche, on voit saint Étienne, identifié par son auréole, être condamné par le Sanhédrin, qui lui reproche d’avoir blasphémé en affirmant que le Christ est le fils de Dieu et en prononçant son nom. La droite de la composition présente la conséquence de la décision du tribunal: le saint est lapidé pour avoir refusé de se rétracter.

Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.