précarité alimentaire
Virginie Coignet. Photo : Yves Casgrain.

Précarité alimentaire : lutter contre la faim, un panier à la fois

Au Québec, la COVID-19 a fait augmenter sensiblement le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire dans la province. Cependant, la pandémie n’est pas la seule responsable de la faim dont souffrent de nombreuses familles. L’inflation, le travail à petit salaire, l’exclusion et les préjugés sont aussi en cause. Devant cette réalité, plusieurs organismes et citoyens luttent contre la précarité alimentaire. 

En 2019, l’organisme Les Banques alimentaires du Québec (BaQ) a aidé 500 000 personnes en leur distribuant 345 184 paniers de provisions. La survenue de la COVID-19, en 2020, a fait augmenter considérablement ces statistiques. Ainsi, en 2021, l’ONG est venue en aide à 610 000 personnes, et le nombre de paniers distribués s’est chiffré à 472 285. 

« Nous jugions que nous étions un service essentiel. »

Martin Munger

Fondé en 1988, l’organisme est un réseau constitué de 32 banques alimentaires régionales, dont Moisson Montréal, qui distribuent des aliments à 1200 organismes de différentes régions. 

Le directeur général des Banques alimentaires du Québec, Martin Munger, se dit très fier d’avoir poursuivi la distribution d’aliments malgré la pandémie et les difficultés causées par les mesures sanitaires. « Nous jugions que nous étions un service essentiel. »

Alerte Providence

Grâce au dévouement de leurs membres, les BaQ ont permis à l’organisme montréalais Alerte Providence de poursuivre sa distribution hebdomadaire de victuailles. « Nous distribuons environ 230 paniers », précise sa fondatrice Paula Alerte. 

Paula Alerte. Photo : Yves Casgrain.

Située au sous-sol de l’église Saint-Gilbert à Saint-Léonard, Alerte Providence a été créée en 2013 par Paula. Après avoir travaillé 42 ans comme coiffeuse, elle a pris sa retraite en se demandant comment elle allait pouvoir poursuivre ce qu’elle aimait le plus : partager. « J’ai demandé au Seigneur de me guider. Après mure réflexion, j’ai décidé d’ouvrir une banque alimentaire. »

Aidée par l’ancien curé de la paroisse, l’abbé Lauréot Couture et par Mgr Roger Dufresne, Paula a fait croitre l’organisme dont elle est l’âme et la cheville ouvrière. « Tout le monde me connait. Cela fait 40 ans que je fréquente l’église. Ici, c’est chez moi ! », me lance-t-elle du haut de ses 74 ans. 

Elle me parle de l’évangile qu’elle a entendu le matin même de notre entretien. Dans ce passage, le Christ dit à ses disciples que ceux et celles qui prennent soin des plus petits et des exclus prennent soin de lui-même et qu’ils jouiront de la vie éternelle (Mt 25,31-46).

Les valeurs d’Alerte Providence sont également partagées par Entraide Agapè, un organisme de Québec. Cette banque alimentaire aide environ 30 ménages par jour. 

C’est en 1981 que Josiane et Émilien Thériault, un couple de catholiques, fondent l’organisme. « C’était dans leurs valeurs d’aider leur prochain », souligne Geneviève Beaubien, directrice des communications d’Entraide Agapè.

Aujourd’hui, Entraide Agapè a délaissé son aspect religieux. Néanmoins, les valeurs sont toujours proches de celles des fondateurs : « Celles-ci sont l’accueil, la solidarité et le partage », explique madame Beaubien. Par ailleurs, le slogan de l’organisme est « Nourrir le corps, le cœur et l’âme », comme nous pouvons le lire sur leur site Internet. 

Un camion béni

Les liens avec le diocèse de Québec et des communautés religieuses sont encore très forts. « Il y a peu de temps, nous avons été invités par la Table du Cardinal afin de présenter le portrait de la situation alimentaire. On compte des sœurs parmi les bénévoles. Le soutien des communautés religieuses est vraiment important. Nos camions ont été financés par le diocèse. Le camion réfrigéré a été béni par Mgr Marc Pelchat lors d’une petite cérémonie », explique-t-elle. 

Outre les communautés religieuses et le diocèse, Centraide et le CIUSSS contribuent au financement de l’organisme. « Les dons des particuliers sont aussi très importants », souligne-t-elle.

Entraide Agapè fait de la récupération alimentaire chez les producteurs maraichers, les boulangeries, et chez d’autres commerces de la région. « Toutes les denrées sont ensuite triées et distribuées dans notre épicerie économique. Nous avons des fruits et légumes, des mets préparés, des aliments en vrac », indique Geneviève Beaubien.

En plus de la distribution alimentaire, Entraide Agapè est engagé dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. « Nous faisons aussi beaucoup de réinsertion professionnelle. Nous pilotons plusieurs programmes avec Emploi Québec et avec d’autres organismes », mentionne la directrice des communications.  

Une porte d’entrée

Cette volonté d’aider les bénéficiaires à sortir de la pauvreté et de l’exclusion est également partagée par Les Banques alimentaires du Québec. « Nous travaillons sur les causes de la pauvreté, car nous sommes souvent, pour les utilisateurs, une porte d’entrée vers des organismes qui développent leurs compétences. Cependant, notre mission première reste de combattre l’insécurité alimentaire », soutient son directeur Martin Munger.

Le Frigo de l’Est, situé dans le quartier montréalais Mercier-Est, est également bien ancré dans cette philosophie. « L’aide alimentaire, c’est une porte d’entrée vers l’inclusion, vers la responsabilisation. Lorsque les personnes viennent dans notre épicerie communautaire, ce n’est pas juste de la nourriture qu’elles viennent chercher, c’est le pouvoir sur leur propre vie qu’elles reprennent », lance la fondatrice et désormais directrice, Virginie Coignet.

Originaire de France, elle est venue s’installer au Québec à l’âge de 21 ans. Virginie Coignet connait bien la précarité, car elle a elle-même traversé une période très difficile qui a affecté sa vie personnelle et professionnelle. En 2012, après avoir travaillé dans le monde des affaires et avoir été propriétaire d’un Bed and breakfast situé devant le parc Lafontaine, Virginie Coignet a vu sa santé décliner en raison d’une maladie orpheline dégénérative. 

précarité alimentaire
Photo : Yves Casgrain.

Sa situation particulière l’empêchait de recevoir certains services d’aide. Étant propriétaire de son entreprise et ne possédant pas d’assurances correctes, elle a dû se résigner à déclarer faillite afin d’être admissible à certains services d’aide. 

Tout en voulant se nourrir convenablement et aider ses voisins, elle a alors décidé de faire la tournée des marchands. « J’ai commencé à exploiter un frigo communautaire chez moi, tout simplement dans mon salon. J’ai récupéré de la nourriture chez les commerçants pour pouvoir la distribuer aux personnes qui ne pouvaient pas recevoir régulièrement de l’aide dans les banques alimentaires. »

Puis, petit à petit, le frigo du salon est devenu un organisme : Le Frigo de l’Est. Ce dernier fait partie d’un réseau présent dans plusieurs villes au Québec et dans le monde. À l’origine, les fondateurs de ce nouveau concept voulaient lutter contre le gaspillage alimentaire. Rapidement, des pauvres, des étudiants et des travailleurs à faible revenu s’en sont servi pour choisir des aliments frais tout à fait gratuitement. 

« Pour l’année 2020-2021, nous avons distribué presque 90 tonnes de nourriture à 780 de nos membres. La majorité revient chaque semaine. Les bénéficiaires sont des familles, des célibataires, des étudiants et des travailleurs à faible revenu », détail Virginie Coignet. 

« Des gens viennent ici porter des denrées. Il y a deux frigos qui sont disponibles. En dehors du lundi et du mardi, journées où l’on fait du dépannage alimentaire, des personnes viennent chercher la nourriture qui s’y trouve », explique la fondatrice. 

L’organisme espère pouvoir en installer d’autres dans le quartier Mercier-Est. Virginie Coignet encourage d’ailleurs les citoyens à ouvrir des frigos communautaires. Des guides pour les personnes qui veulent tenter l’expérience du partage, tout en contribuant à la diminution du gaspillage alimentaire, sont publiés sur Internet. 

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La lutte contre la faim au Québec prend différents visages. Ceux et celles qui s’y engagent le font pour différentes motivations. Peu importe, d’ailleurs, car leur implication sociale ressuscite la dignité des exclus et des pauvres, à l’image de ceux et celles qui ont donné leur vie pour suivre le Christ. 

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.