prêtres épuisés
Illustration : Caroline Dostie

Enquête sur les prêtres épuisés

Si Dieu se repose le septième jour, ses prêtres, eux, ne chôment pas: confessions, messes, catéchèses, baptêmes, rencontres, déplacements, etc. Le reste de la semaine est tout aussi occupé par les réunions, sans parler de la journée de «congé» qui a souvent son lot de demandes imprévues. Plusieurs en viennent ainsi à souffrir d’épuisement professionnelparfois appelé burnout – et quittent parfois temporairement, voire définitivement, le ministère. Nos curés pèchent-ils par excès de zèle? La charge qui leur incombe est-elle insupportable?

Au Québec, le bassin de prêtres actifs ne se renouvèle pas à un rythme suffisant pour administrer les territoires pastoraux qui s’agrandissent. Il est à parier qu’après les abus sexuels, l’épuisement des prêtres est, dans l’Église, au deuxième rang des sujets les plus tabous. Le taux de perches lancées, de refus essuyés ou d’appels sans suite pour ce reportage apparait comme le plus haut jamais observé dans l’histoire récente du Verbe.

Le père Jacques préfère d’ailleurs préserver son anonymat «parce qu’il n’a pas encore parlé à l’évêque et qu’il ne sait pas ce qu’il pense de tout ça». Quand je lui témoigne de cette difficulté à faire des entrevues sur le sujet, il explique que «les prêtres ont peur d’en parler. C’est comme une maladie honteuse; ils ont peur d’être jugés par leurs confrères».

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«On est quand même de plus en plus capables de montrer notre vulnérabilité dans l’Église, il me semble», ajoute le père André, qui a été curé pendant neuf ans. «Plusieurs en sont encore blessés, ils ne sont pas remis sur pied et ne peuvent donc pas en parler», ajoute-t-il.

«Il y en a d’autres, dans mon diocèse, qui ont fait des burnout et il y en a qui sont en mauvais état depuis très longtemps et qui continuent! À un moment donné, ils vont se planter et ça va faire mal. Moi, j’ai arrêté avant de dire: “Je sacre tout ça là.” Je peux aller travailler ailleurs, je peux travailler dans d’autres choses, j’ai plein de ressources et j’ai plein d’amis aussi. Ma vision, c’était de rester, mais je trouve qu’il y a peu d’aide. Et on aborde peu le sujet de la santé mentale; je n’ai jamais eu de ressourcements là-dessus», témoigne le père Jacques.

Maladie du don

C’est un fait bien établi dans la littérature scientifique: les «métiers d’aide» – enseignants, éducateurs, soignants et travailleurs sociaux – sont les plus touchés par l’épuisement professionnel. Les prêtres n’y échappent pas. Parus récemment aux États-Unis, les résultats du plus gros sondage réalisé depuis cinquante ans auprès des prêtres catholiques rapportent que, sur 10 000 d’entre eux, 45 % présentent au moins un symptôme d’épuisement professionnel, les plus jeunes y étant plus enclins que les plus âgés.

En 2015, le père Pascal Ide a publié aux Éditions de l’Emmanuel un ouvrage-clé: Le burnout, une maladie du don. Sur le sacerdoce, il écrit:

«Bien qu’étant l’un des secteurs les plus concernés par le BO [burnout], il est encore l’un des plus oubliés, du moins en France. […] J’ai rencontré un certain nombre de mes frères prêtres, souvent jeunes, en BO ou en pré-BO. C’est cette expérience qui m’a poussé à m’intéresser à ce syndrome, qu’auparavant j’ignorais.»

Il existe plusieurs définitions de l’épuisement professionnel, qui tendent à en décrire plutôt les symptômes. «Aussi parle-t-on du BO non pas comme d’une maladie, mais comme d’un syndrome», pointe Pascale Ide.

«Il existe aujourd’hui un consensus presque général autour des trois signes caractéristiques du BO», poursuit-il: l’épuisement émotionnel (aspect affectif du processus), la dépersonnalisation (aspect relationnel) et la diminution de l’accomplissement personnel. Les manifestations sont toutefois plus nombreuses et peuvent être regroupées en trois catégories: émotionnelles (ou affectives), cognitives, somatiques (ou physiques) et motivationnelles et comportementales.

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Les bons Samaritains déçus

Le syndrome du bon Samaritain déçu: c’est une image employée par une grande étude sur l’épuisement des prêtres réalisée en Italie au début des années 2000. Si aucune différence de signes ne semble se révéler entre les laïcs et les prêtres, certains observent que le stress presbytéral conduit à travailler encore plus durement et aussi à se réfugier dans une attitude froide, quasi bureaucratique.

«Je travaillais comme d’habitude, et en même temps je voyais bien que j’étais fatigué, irritable, j’avais du mal à récupérer. J’avais décidé de prendre les choses en main en prenant huit jours de repos, et au retour, j’étais aussi fatigué qu’à l’aller. C’est là que plusieurs personnes m’ont dit que je devrais aller voir un médecin. J’ai fini par me rendre à l’évidence. Il m’a donné deux semaines», raconte le père André. «Le fait d’oser voir le médecin pour cause de fatigue, c’est un pas énorme. C’est déjà le début où tu acceptes de réaliser que tu ne t’en sortiras pas tout seul. Ç’a été vraiment le point de basculement pour moi.»

Il continue: «Quand je suis rentré avec ce diagnostic, l’un de mes confrères – un vieux loup de mer – m’a dit: “Toi, tu en as pour plus que deux semaines, il faut que tu t’arrêtes plusieurs mois.” J’ai écouté et je me suis réfugié dans un monastère où j’ai été accueilli inconditionnellement pour un temps indéterminé. Les jours qui ont suivi, mon corps a lâché: une grosse décompensation pour tout ce que j’avais essayé de retenir de force depuis des mois. J’ai dormi à n’en plus finir. Je n’avais plus de force physique; j’avais du mal à monter trois étages.»

Une expérience similaire à celle du père Jacques: «Je me suis levé le matin et je n’avais plus envie de travailler. Je me disais: “Je suis prêtre, ça ne se peut pas.” Je vivais beaucoup de culpabilité. Je commençais à être moins souriant, à être plus bougon, plus écœuré. À un moment donné, je m’en allais sur la route et je regardais le bord du champ et j’ai dit: “Je saute-tu dans le clos?” C’est à ce moment que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Je suis allé consulter un médecin. J’ai arrêté deux mois et un peu plus. Il a fallu que je sorte du presbytère.»

The show must go on

Les manifestations sont multiples. Les causes aussi. Il est toutefois possible de distinguer les causes externes des causes internes de l’épuisement professionnel.

Pascale Ide rapporte que, «si certains [prêtres] relèvent comme cause principale le manque de soin apporté à leur vie intérieure, une bonne partie prend plutôt en compte les causes extérieures: la surcharge de travail pastoral, l’impression désagréable d’offrir un “produit” en décalage avec la demande, le stress lié à l’affrontement de situations presque toujours improgrammables, la privation de la reconnaissance manifestée autrefois au prêtre, les tensions avec l’institution, le poids des décisions du curé (lorsque le prêtre est vicaire), l’insistance excessive sur le don de soi lors des années de formation, etc.»

Nos deux prêtres ne se défilent pas lorsque vient le moment de parler de leurs excès respectifs: «J’avais une espèce de politique concernant le sommeil; pour moi, c’était une perte de temps», me confesse le père André. «Je suis quelqu’un d’assez volontaire qui entreprend les choses, qui est assez actif. Je ne reste pas beaucoup en place.»

Et Jacques de renchérir: «Même si je ne me sens pas au top de ma forme, the show must go on. On ne vit pas sur une autre planète, on est dans la même culture de performance que tout le monde. On veut que ça marche, que les gens soient heureux.»

Problèmes de gouvernance

«Ce ne sont pas les personnes et le ministère qui sont fatigants, ce sont l’administration, le manque de fonds, les bâtisses à gérer, les problèmes financiers», ajoute le père Jacques.

Ces problèmes administratifs, il les avait déjà suffisamment affrontés comme curé à la campagne. Il avait alors demandé de retourner en ville, parce qu’il était surtout fatigué de faire de la route dans les petits rangs. L’évêque l’a pourtant nommé curé d’une autre paroisse rurale avec une dizaine de clochers. «Je n’étais pas content. Je lui ai dit et j’ai obéi, tout simplement, parce que c’est à ça que je me suis engagé. Mais je ne me suis pas fait prêtre pour ça», explique-t-il.

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Il poursuit: «Ce n’est pas suffisant d’avoir une journée de ressourcement de temps en temps. Il faut mettre en place autre chose pour qu’on voie à la santé des prêtres, qu’on s’occupe d’eux et que cette situation nous préoccupe vraiment.»

La récente étude américaine citée plus haut évalue les différents facteurs qui peuvent menacer le bienêtre des prêtres et les conduire à l’épuisement professionnel. Il s’avère que l’un des principaux est la confiance qu’ils éprouvent envers leur propre évêque.Dans le même esprit, une recherche de 2017 souligne que les six principales causes de l’épuisement professionnel sont directement influencées par les décisions de ceux qui dirigent les églises locales.

Au beau milieu d’une situation paroissiale complexe et conflictuelle comme il n’en avait jamais expérimenté auparavant, le père André regrette d’avoir trop joué le rôle de paratonnerre: «Je n’ai pas assez réparti la charge et la pression de dossiers. J’ai pris les coups de foudre parce que je ne voulais pas que toute mon équipe en souffre, donc il y a des aspects que je n’ai pas partagés.»

«J’ai senti un mauvais soutien de mon évêque dans tout ça. Il n’a pas su mesurer l’impact de cette situation sur moi», ajoute-t-il.

Pascale Ide soutient que «les études sur le BO accordent une place trop importante aux factures institutionnelles». Il avise toutefois qu’il ne faudrait pas «négliger la part liée à l’institution. Un prêtre […] qui tombe en BO doit le conduire à s’interroger sur sa part de responsabilité et la mise en place de moyens prophylactiques – qui ne pourront toutefois jamais se substituer à la libre responsabilité de la personne».

Partager sa vulnérabilité

Les pères André et Jacques sont du même avis: sans l’aide des autres, ils n’auraient pu guérir de leur épuisement:

«Moi, tu sais, j’ai la chance d’être entouré, d’avoir eu des ressources. J’ai un excellent médecin, j’ai le même directeur spirituel depuis mon séminaire, que je peux appeler n’importe quand. C’est comme un deuxième père. Sinon, c’est facile de retomber dans le pattern, de se dire: “C’est moi qui sauve le monde.” Ce n’est pas moi qui sauve, c’est le Christ. Aujourd’hui, on ne vit plus dans des presbytères avec d’autres confrères prêtres, on est seuls, isolés. Imagine, j’ai un bon entourage et j’ai quand même fait un burnout. Tu imagines quelqu’un qui n’a pas de ressources autour de lui?» s’interroge le père Jacques.

Le père André abonde dans le même sens:

«J’ai appris l’importance de partager ma vulnérabilité, de montrer que je ne suis pas tout-puissant, que j’ai des échecs, qu’il y a des moments où je ne vais pas bien, où je sens de la tristesse, de la solitude. Il ne s’agit pas de le crier sur tous les toits, mais d’avoir des lieux où je peux être moi-même en vérité, comme une soupape en fait. Un lieu où je ne suis pas en train de jouer ou de représenter quelque chose.»

«Même si je vois bien que mon tempérament n’a pas foncièrement changé, j’ai acquis une prudence, ça m’a fait gagner dix ans de sagesse. En fait, je vois que je me suis pris une grosse claque qui m’a conforté dans ma vocation de prêtre.»

Illustrations : Caroline Dostie

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.