Il y a sept ans, Zahra se convertit de l’islam au christianisme. Dans son pays natal, l’Iran, sa foi nouvelle peut lui couter la vie. L’histoire de Zahra, arrivée au Canada il y a quelques mois à peine, serait comme celle de tant d’autres femmes demandeuses d’asile, si ce n’était qu’elle a traversé le monde, seule, chargée de son énorme sac au dos, avec trois membres en moins.
La jeune trentenaire est née avec un lourd handicap physique. Je la vois arriver joyeusement dans le corridor de son foyer d’accueil avec son unique jambe, aidée par une prothèse. La première chose qui me frappe chez Zahra, ce ne sont pas ces deux bras ou cette jambe qui lui manquent, mais son sourire franc et ce rire incroyable.
«Quand je suis arrivée ici, je voulais juste être en vie. Je n’avais aucun plan», commence-t-elle par me dire.
C’est sa mère qui l’aide à s’enfuir d’Iran. Zahra, orpheline de père, s’apprêtait à être vendue par son oncle sur le marché de l’esclavage sexuel. «J’ai un handicap, je ne peux pas avoir un bon mari. Alors, ils ont décidé de me vendre à des hommes.»
En Iran, c’est la loi: une femme n’a pas le droit de prendre des décisions majeures sur sa vie sans l’accord de l’homme qui la «possède». «Ils peuvent faire de toi ce qu’ils veulent.»
«Je ne pouvais pas», souffle-t-elle. Elle exprime alors à sa mère le désir de s’enfuir. «Comment veux-tu partir?» s’est-elle exclamée, alors que Zahra n’est même pas capable de s’habiller sans aide. «À l’intérieur de moi, je savais que je devais partir.» Sa mère vend sa maison. Elles partent se cacher dans un petit village, d’où Zahra s’enfuira.
La mère et la fille n’ont plus aucun contact depuis. Les risques sont trop grands.
Du dieu patron au Dieu père
«Comment Dieu peut-il m’aimer, mais m’avoir donné cette souffrance? Est-il heureux quand je suis dans la détresse?» se demande la jeune femme depuis toujours. Une colère et une incompréhension profonde l’habitent avant sa conversion. «J’avais cinq ou six ans et je me souviens que, alors que toute ma famille dormait, je me suis réveillée et j’ai pensé: “Pourquoi suis-je ici?” C’est si jeune pour avoir de telles questions…»
Dieu est un patron. Il commande. Elle doit obéir. Se soumettre. Endurer. Point.
Lectures philosophiques, méditations… Elle cherche désespérément la «vraie raison» de son infirmité et de sa condition de vie, mais rien ne désaltère sa soif. Elle se sent desséchée.
Puis un jour, tout bascule dans un bus.
«À ce moment, tout a changé. Ma prière s’est transformée.
Je ne voyais plus Dieu comme un patron.
Il est devenu comme mon père.»
«J’étais assise, en colère, triste. Il faisait vraiment chaud. C’était l’été et je devais porter mon hijab. Une femme dans le bus m’a demandé pourquoi j’étais dans cet état. “Tu es si jeune”, m’a-t-elle dit. Avec ironie, je lui ai répondu: “À l’intérieur de moi, j’ai deux dieux. Ils se font la guerre tous les deux.” Elle a été très surprise. Elle a ouvert son sac et m’a donné un livre en me disant de le lire une fois chez moi. Je me suis dit: “Elle est folle ou quoi? Je suis en colère et elle me donne un livre!”
«Je l’ai ouvert. C’était la Bible.
«J’ai commencé à lire, lire, lire. J’ai lu sans arrêt jusqu’au lendemain matin.
«À ce moment, tout a changé. Ma prière s’est transformée. Je ne voyais plus Dieu comme un patron. Il est devenu comme mon père. Je lui parle partout, tout le temps. Ce n’est pas du tout la même dynamique que de se dire que je ne peux m’adresser à lui que trois fois par jour.»
«Quand j’ai accepté d’être chrétienne à ce moment, ce n’était pas parce que j’avais trouvé le vrai Dieu ou que tout était vrai dans le christianisme. Non. Je l’ai accepté parce que j’ai trouvé des réponses à ma question: pourquoi suis-je née ainsi? La Bible dit: pour la gloire de Dieu.»
Porteuse de la Parole en secret
Jusqu’alors, toute sa famille était musulmane. Zahrah est la première à se convertir. Incapable de garder pour elle ce trésor, elle en parle à sa sœur, qui découvre à son tour la foi. Elles osent ensuite en parler à leur mère, qui vivra la même expérience. Puis sa nièce, puis des inconnus. En quelques mois, Zahra devient porteuse de la Parole partout où elle va: «La Parole de Dieu change nos actions et nos comportements.» Les gens autour d’elle sont étonnés de la voir soudain si calme et paisible et lui posent des questions.
Elle étudie d’abord la Bible en ligne; puis de bouche à oreille, en chuchotant, elle en parle autour d’elle en secret. Elle organise ensuite des sessions d’étude biblique en ligne pour transmettre la parole à d’autres Iraniens. «Je ne sais pas combien de personnes se sont converties après que je leur ai parlé… Dans mon tout petit village en Iran, au moins neuf familles sont venues.»
De fil en aiguille, ils sont plus d’une centaine en ligne. Ils prient ainsi ensemble pendant plus de six ans. Mais Zahra ne peut entrer dans une église sans être repérée par les autorités. En Iran, même si certaines familles traditionnellement chrétiennes peuvent encore pratiquer, passer de l’islam au christianisme est un acte passible de prison et parfois même de peine de mort.
Quand je lui demande si elle avait peur, elle me répond: « Je crois. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais personne ne peut me retirer cette foi. Dieu a un plan, une mission pour chaque personne. Je crois que ma mission est de parler de mon Dieu et de ma vie. Les gens autour de moi me disaient de faire attention, de ne pas faire ceci ou cela. J’ai découpé ma Bible, je l’ai imprimée et je l’ai partagée.»
Pour Zahra devenue chrétienne, impensable de ne pas parler de Dieu le Père autour d’elle.
«Il y a deux ans, quand j’ai perdu mon frère, je me suis vraiment mise à en parler comme une folle en public. Je me disais: “La vie est trop courte! Personne ne peut m’empêcher de parler. Ils peuvent me trouver et me tuer. OK. Je vais mourir. Et alors?” Quand tu n’as plus peur de la mort, qu’est-ce qui peut t’effrayer? “Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?” (Rm 8,31).
«Je n’ai jamais oublié cette femme qui m’a donné la Bible dans le bus.»
Venir au Canada pour tout sauf une vie normale
Si Zahra marque par sa force vitale et sa foi profonde, elle traverse aussi les ravins de la mort et de la peur de temps à autre. Dirigée vers une travailleuse sociale de PRAIDA en arrivant au Québec, elle pleure toutes les larmes de son corps. «Je voulais mourir. Pourquoi suis-je venue ici? J’ai perdu ma famille au nom de quoi?» Seule, femme, le chemin a été pénible.
«J’ai la foi, mais parfois, c’est correct de ne pas être correcte. Parfois je me bats avec Dieu, je suis en colère, je lui dis: “Pourquoi tu as fait ça?” C’est quelque chose que tu peux faire quand tu te sens proche de Dieu.»
Histoires de femmes iraniennes
«Tout ce qui se passe dans mon pays, ce n’est pas du tout à cause d’une religion. C’est une question d’humanité!»
Zahra, comme la plupart de ses sœurs en Iran, est fatiguée de la violence et de l’oppression envers les femmes, envers les chrétiens… Pourtant, elle aime son pays. Elle voudrait pouvoir y vivre librement. «Comment se fait-il qu’un gouvernement laisse une femme se faire tuer sur la place publique et sans procès à cause de ses cheveux?» me dit-elle en évoquant également le récent drame de Mahsa Amini.
Celle qui allait être vendue comme esclave sexuelle a quelque chose à dire.
«Quand j’ai dit au revoir à ma mère… j’ai vu toute la peine, la peur dans ses yeux. Mais elle m’a dit: “Tu dois y aller, parce qu’ils vont te tuer.”» La voix de Zahra se brise. «Je ne veux pas abandonner. Je veux que ma mère me voie un jour devenir quelqu’un dans ce pays. Nous avons pleuré toutes les deux en nous regardant silencieusement.»
Zahra se sent appelée à partager publiquement son témoignage. Elle le fait sur Instagram et dans les églises qui l’accueillent. Elle reste à l’affut de là où le Seigneur la portera.
«Je ne suis pas venue ici, au Canada, pour avoir une vie normale. J’ai une voix à faire entendre. La question n’est pas de devenir célèbre. Mon histoire n’est pas une histoire qu’on entend tous les jours. J’ai quelque chose à partager. J’ai un handicap et je suis venue ici seule. Quand les gens me voient et réalisent mon parcours, je veux leur partager d’où me vient cette force», me dit-elle en attrapant habilement sa tasse de café.
Sa force, elle vient de Dieu, son Père.